Coup d’envoi d’un déconfinement graduel en France
par Myriam Rivet et Tangi Salaün
PARIS (Reuters) – La France a entamé lundi sa sortie graduelle de près de deux mois de quasi-paralysie avec l’espoir de remettre en marche une économie malmenée par la crise sanitaire, tout en espérant que la levée progressive du confinement ne déclenchera pas une deuxième vague de contaminations par le nouveau coronavirus.
Après 55 jours de confinement, la prudence reste de mise face au risque de nouvelle flambée épidémique, alors que trois nouveaux foyers de contamination ont été découverts ce week-end, en Dordogne, dans la Vienne et dans les Hauts-de-Seine.
Avec la levée progressive des restrictions de déplacements en vigueur depuis le 17 mars, la propagation du virus va inéluctablement repartir au moins légèrement à la hausse, mais le gouvernement mise sur la discipline de l’ensemble des citoyens pour éviter une nouvelle vague de cas.
« Si le virus devait reprendre sa course folle avec l’absence de contrôle et des risques pour la santé des Français, nous serions amenés à prendre à nouveau des mesures de confinement territorialisées », a rappelé lundi le ministre de la Santé, Olivier Véran, sur BFMTV et RMC.
« La possibilité d’une réversibilité des mesures doit ainsi toujours pouvoir être offerte et l’éventualité d’un reconfinement en urgence doit rester dans les esprits et être anticipé par les pouvoirs publics », abonde Jean Castex, coordonnateur national chargé de la stratégie de déconfinement, dans son « Plan de préparation de la sortie du confinement » mis en ligne https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/rapport_jean_castex_-_preparation_de_la_sortie_du_confinement.pdf par le gouvernement.
« Le risque de deuxième vague impose d’engager la sortie du confinement avec prudence », ajoute-t-il, soulignant que « l’objectif premier est de relancer l’activité économique du pays, tout en maintenant un très haut niveau de vigilance sanitaire ». Il sera toujours possible d’envisager début juin d’engager une deuxième phase, avec l’éventuelle reprise d’activités toujours suspendues le 11 mai « en fonction de l’évolution de l’épidémie », insiste-t-il.
Avec 263 morts, le bilan quotidien de l’épidémie est reparti à la hausse lundi, ce qui porte le total depuis le 1er mars à 26.643 décès. Dimanche, ce bilan avait toutefois été le plus faible depuis la mi-mars, avec 70 décès seulement. [nP6N2CB00L]
L’EXÉCUTIF EN APPELLE AU « SENS DES RESPONSABILITÉS »
La loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet n’a pu être promulguée dans les temps, ce qui a repoussé l’entrée en vigueur de deux de ses mesures phare, la limitation des déplacements à 100 kilomètres autour du domicile et l’obligation pour les usagers des transports en commun franciliens de disposer d’une attestation de leur employeur pendant les heures de pointe.
L’Elysée et Matignon ont dû en appeler « au sens de la responsabilité des Français » pour que ces dispositions soient quand même respectées. En début de soirée, le Conseil constitutionnel a finalement donné son aval, mais a censuré des dispositions relatives au « traçage » et à l’isolement.
Avec la levée du confinement, des établissements scolaires devraient à nouveau accueillir des élèves à partir de mardi et des millions de personnes vont reprendre le travail avec la réouverture programmée d’environ 400.000 entreprises.
Cette reprise devrait prendre du temps, en particulier en Ile-de-France, une des « zones rouges » sur la carte sanitaire du déconfinement, où le télétravail est fortement encouragé.
Dans le quartier d’affaires de La Défense, qui abrite de nombreux sièges de grandes entreprises dans l’ouest parisien, « on va vers une reprise extrêmement lente et progressive », a expliqué à Reuters Marie-Célie Guillaume, directrice de Paris La Défense, l’établissement public qui gère les espaces communs.
Alors que 98,5% des 180.000 salariés de la zone sont restés en télétravail ces dernières semaines, elle estime que « 10 à 15% des salariés reviendront ce mois-ci, environ 25% en juin et 70% en septembre si la situation sanitaire le permet ».
Tout comme bon nombre d’entreprises, les commerces non essentiels fermés depuis le 17 mars peuvent à nouveau accueillir des clients sous réserve de respecter des consignes sanitaires strictes, à l’exception des restaurants, cafés et bars, dont le sort sera connu fin mai.
PEU DE VOITURES EN RÉGION PARISIENNE
Les transports en commun franciliens – où le port du masque est obligatoire – ont fait l’objet d’une attention particulière ce lundi.
Des images ont circulé montrant la forte affluence sur la ligne 13 du métro parisien, déjà souvent bondée en temps normal, une situation que le gouvernement et la RATP ont imputée à un démarrage plus tardif que prévu de cette ligne en raison de travaux nécessaires à la suite des intempéries de la nuit en région parisienne.
Le secrétaire d’Etat aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari, a cependant estimé qu’à quelques exceptions près, cette première journée de déconfinement se déroulait « correctement » et que les dispositifs mis en place évolueraient en cas de besoin.
La SNCF se félicite pour sa part que « la quasi-totalité de nos voyageurs portaient un masque en gare et dans les trains ce matin et ce soir ».
« Aujourd’hui nous avons transporté environ 15% des voyageurs habituels à bord de nos TER et Transilien et 10% des voyageurs habituels à bord de nos TGV », ajoute l’entreprise ferroviaire dans son bilan national de ce premier jour du déconfinement.
Le trafic sur les routes franciliennes est également resté très faible, avec un cumul de bouchons d’une cinquantaine de kilomètres peu avant 08h00, alors que le pic moyen dépasse les 350 km en temps normal.
A Paris, les forces de l’ordre sont intervenues dans la soirée à l’aide de porte-voix pour évacuer les quais du canal Saint-Martin, où de nombreux promeneurs s’étaient rassemblés.
Globalement, la France, comme tous les pays ayant déjà amorcé la levée des restrictions visant à contenir la propagation de l’épidémie, est hésite entre impératifs sanitaires et relance de l’activité, alors qu’elle a vu son économie connaître au premier trimestre une contraction de 5,8%, sans précédent depuis l’après-guerre.
« Il y a un risque sanitaire, mais il y a aussi un risque social, un risque de voir se multiplier les faillites d’entreprises et le chômage », a souligné Bruno Le Maire devant la presse dans la matinée à l’occasion de la visite d’un chantier à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines). « On ne peut pas se permettre d’avoir une économie à l’arrêt ou au ralenti pendant des mois », a ajouté le ministre de l’Economie.
(avec Noémie Olive à La Défense et Dominique Vidalon, édité par Bertrand Boucey, Henri-Pierre André et Jean-Philippe Lefief)