François Bayrou: un discours teinté d’humilité et de réalisme
Le nouveau Premier ministre français, François Bayrou, s’est assigné vendredi pour priorités la « réconciliation » d’une société fracturée et la résolution « sans timidité » du problème de la dette et des déficits publics qui étreint le pays.
Dans un discours teinté d’humilité et de réalisme lors de la passation de pouvoirs avec Michel Barnier, renversé par une motion de censure le 4 décembre, le Béarnais a souligné avoir conscience d’affronter un « Himalaya » de difficultés et s’est engagé à briser « le mur de verre » entre citoyens et pouvoirs.
« Je n’ignore rien de l’Himalaya qui se dresse devant nous de difficultés de toute nature, la première est budgétaire naturellement, puis politique, et puis l’éclatement de la société où nous sommes. Je sais tout ça », a-t-il déclaré après que son prédécesseur a dépeint « une situation inédite et grave ».
« Je pense qu’il faut essayer. Je pense que si on essaie, peut-être pourra-t-on trouver un chemin inédit (…) marqué de la volonté de réconciliation », a poursuivi François Bayrou, sans s’avancer plus concrètement sur ses projets.
Emmanuel Macron a confié vendredi au centriste, qui hérite à 73 ans de Matignon à défaut d’avoir conquis l’Elysée, la mission de restaurer la stabilité politique dans un contexte économique dégradé.
S’inscrivant solennellement dans l’histoire de la Ve République, le maire de Pau avait cité vendredi matin feu le président socialiste François Mitterrand lors de son élection le 10 mai 1981 : « Enfin, les ennuis commencent… »
Le président du Mouvement démocrate (MoDem), admirateur de Henri IV le rassembleur – le 13 décembre est l’anniversaire de sa naissance – devra user de fait de toute son expérience politique et de ses talents de conciliateur pour composer avec une Assemblée nationale fragmentée. Avec un Nouveau front populaire (NFP) et un Rassemblement national (RN) en embuscade, prêts à une nouvelle censure, et une droite qui affiche sa circonspection.
« Les chances de difficultés sont beaucoup plus importantes que les chances de succès », a concédé le quatrième Premier ministre de l’année 2024.
« OBSESSION »
Candidat à l’élection présidentielle de 2002, 2007 et 2012, François Bayrou a toujours fait de la résorption de la dette un cheval de bataille. On disait, « il est complètement fou », s’est-il remémoré. La dette publique française s’élevait à 3.228 milliards d’euros à la fin du deuxième trimestre, soit 112% du PIB.
Pour le nouveau chef du gouvernement cette question pose aujourd’hui « un problème moral », eu égard aux générations futures, pas seulement « un problème financier ».
Il s’est engagé à un langage de vérité sur ce dossier urgent, et sur l’ensemble des défis qui s’imposent à la France, confiant ne pas goûter les « paroles artificielles ».
Pour autre « obsession », François Bayrou, qui a négocié de haute lutte son poste à Matignon, a mis en avant sa volonté de rompre « le mur de verre qui s’est construit entre les citoyens et les pouvoirs ».
C’est « un ennemi à combattre », a-t-il dit, s’inscrivant dans la ligne des engagements originels d’Emmanuel Macron lors de son élection en 2017, comme un rappel à l’ordre après sept ans d’un mandat heurté.
Le chef du gouvernement s’est opposé à l’idée que « parce qu’on est né dans un quartier ou dans un village, parce qu’on porte un nom, parce qu’on pratique une religion ou qu’on est attaché à cette religion (…) les portes ne sont pas ouvertes pour vous ».
« Rendre des chances à ceux qui n’en ont pas » est « un devoir sacré », a-t-il martelé, dans un style parfois emphatique rompant avec les éclats « disruptifs » de la Macronie.
LE RN ACCORDE UN SURSIS, LR TEMPORISE
Mais avant ces grands travaux, François Bayrou doit s’atteler à la constitution de son gouvernement et s’assurer d’un socle d’action à l’Assemblée nationale.
D’ores et déjà, La France insoumise (LFI), composante du NFP, a brandi la menace d’une motion de censure contre le futur gouvernement. Quant au RN, il accorde un sursis au nouveau Premier ministre, en l’exhortant à gouverner sans exclusive.
Le Parti socialiste a également marqué sa défiance, excluant d’entrer dans l’équipe de François Bayrou.
« En nommant à Matignon l’un de ses proches, une personnalité issue du bloc central, Emmanuel Macron prend le risque d’aggraver la crise politique et institutionnelle qui a été ouverte avec la dissolution », a estimé Boris Vallaud, président du groupe PS à l’Assemblée nationale, devant des journalistes.
La secrétaire nationale des Ecologistes, Marine Tondelier, a réagi avec sévérité à la nomination de François Bayrou, déplorant devant des journalistes un spectacle « désespérant ».
Sur BFMTV, le secrétaire général du Parti communiste français (PCF), Fabien Roussel, s’est dit pour sa part prêt à travailler avec François Bayrou si le nouveau Premier ministre s’engage à ne pas utiliser l’article 49.3 de la Constitution.
A l’extrême droite, le président du RN Jordan Bardella a exclu une censure a priori du nouveau gouvernement tout en rappelant les « lignes rouges » de sa formation sur le projet de budget 2025.
« Ce nouveau Premier ministre doit prendre en considération la nouvelle donne politique et il doit entendre qu’il n’a pas de légitimité démocratique ni de majorité à l’Assemblée nationale, ce qui suppose donc un dialogue nécessaire avec l’ensemble des forces représentées au Parlement », a-t-il dit devant la presse.
A sa suite, la cheffe de file des 124 députés RN, Marine Le Pen, a pressé – sur X – François Bayrou d' »entendre et écouter les oppositions pour construire un budget raisonnable et réfléchi ». « Je ne brandis pas la menace de la censure matin midi soir, je dis que je ne renonce pas à cet outil », a complété ensuite l’élue devant la presse.
L’ancien Premier ministre Gabriel Attal, président du groupe Ensemble pour la République (EPR) à l’Assemblée, a assuré sur X que les élus macronistes seraient aux « côtés » du nouveau Premier ministre.
Le parti de droite des Républicains (LR), dont les relations avec François Bayrou ont toujours été aigres-douces, laisse lui planer le suspense. Le président du groupe Droite Républicaine à l’Assemblée, Laurent Wauquiez, a précisé sur X que LR se prononcerait sur sa participation au futur gouvernement en fonction du projet présenté par le Premier ministre.
(Rédigé par Sophie Louet, avec la contribution de Bertrand Boucey, Nicolas Delame et Jean-Stéphane Brosse)