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ONG: l’État met fin à son financement pour le travail d’information en Suisse

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Depuis le 1er janvier, le Département fédéral des Affaires étrangères ne finance plus le travail d’information et d’éducation mené en Suisse par les ONG qui bénéficient de contributions fédérales. Pour les intéressées, c’est le débat démocratique qui est en jeu.
La décision est tombée le 4 décembre dernier. Les organisations non gouvernementales (ONG) qui bénéficient de contributions dite de programmes de la Confédération ne pourront plus s’en servir pour financer leurs activités d’information et d’éducation en Suisse, et ce à partir du 1er janvier. La Direction du Développement et de la coopération (DDC) – l’organe du Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE) chargé de la coopération internationale – s’est fendue d’une lettre aux intéressées, peu avant la signature des contrats pour la période 2021-2024. Désormais, ces fonds seront uniquement investis par les ONG suisses bénéficiaires dans les pays où se déploient leurs projets d’aide au développement.

Sans attendre, le mouvement des communautés chrétiennes de base en Suisse a adressé une lettre ouverte au chef de la DFAE, le conseiller fédéral Ignazio Cassis. Le groupe voit dans cette décision une conséquence directe à l’engagement des ONG dans la campagne pour l’initiative pour des multinationales responsables, acceptée par le peuple mais rejetée par la majorité des Cantons le 29 novembre dernier. «Nous sommes indignés qu’un pays, qui se vante toujours d’être une démocratie, mette de telles muselières à des œuvres qui s’engagent pour un monde plus juste. Comment s’engager pour que le système social et écologique se transforme, sans rechercher à changer en profondeur la conscience personnelle et politique par du travail d’information et de formation?», y lit-on notamment. Pour Pierre Strauss, membre du mouvement, «cette décision peut mener à l’idée que ceux qui paient commandent. C’est anti-démocratique».

Des ONG peu touchées

Pourtant, la missive de la DDC aux allures de couperet semble être un coup dans l’eau. Dans les faits, bon nombre des ONG partenaires de la DDC faisaient déjà la part des choses. «Les contributions de programmes que nous percevons de la DDC sont uniquement utilisées pour des projets menés dans des pays du Sud. Nos activités d’information et de sensibilisation en Suisse sont financées par des fonds propres», affirme Bernard DuPasquier, directeur de l’œuvre de développement protestante Pain pour le prochain. Il n’en reste pas moins interloqué: «Le développement durable dans les pays du Sud doit être mis en lien avec nos modes de vie au Nord, car les enjeux sont globaux. Avec une telle décision, la DDC semble contredire l’Agenda 2030 de développement durable, qui fait précisément un tel lien et dont la Confédération elle-même soutient la mise en œuvre».

Pour sa collègue catholique, c’est une autre histoire. L’œuvre d’entraide Action de Carême devra se retrousser les manches pour mener à bien son projet axé sur le droit alimentaire dans les pays du Sud, pour lequel la DDC octroie une contribution de 6 millions de francs. «Nous nous en réjouissons. Mais il était prévu que 10% de cette somme finance nos activités de sensibilisation en Suisse, nous permettant d’informer la population sur ce projet, sur les raisons de la pauvreté dans les pays partenaires, ainsi que sur les solutions mises en place», explique Bernd Nilles, directeur d’Action de Carême. Face à cette nouvelle situation, il faudra chercher des fonds auprès d’institutions, mais aussi mobiliser les donateurs, souvent plus enclins à donner pour un projet sur place qu’aux activités de sensibilisation en Suisse.

Le défi est le même pour Swissaid et Helvetas. Cette dernière, qui n’avait jamais usé des fonds de la DDC à cette fin, avait prévu cette fois-ci «sur le budget annuel de 8 millions de francs alloué, qu’environ 300’000 francs soient utilisés pour le travail d’information (principalement des expositions, activités de sensibilisation des écoles et universités). Un montant qui sera totalement utilisé pour les projets dans les pays partenaires», détaille Frédéric Baldini, responsable de la communication de Helvetas en Suisse romande. «Jusqu’ici, ce travail d’information était partiellement financé par la DDC, nous n’allons pas y renoncer mais à l’avenir, nous le ferons uniquement via des soutiens privés et institutionnels», explique à son tour Delphine Neyaga, responsable médias de Swissaid pour la Suisse romande, qui espère qu’ainsi un travail de même ampleur pourra être poursuivi.

Un travail global

Si de nombreuses ONG bénéficiaires de ces contributions fédérales ne sont pas financièrement concernées, il n’empêche que la décision est largement regrettée. La raison? L’action menée à l’étranger va de pair avec le travail en Suisse. Pour opérer des changements durables en termes de développement, d’aide humanitaire, d’écologie et de justice, il est nécessaire de rendre attentive la population helvétique aux problématiques de ses congénères.

«En Suisse, il ne s’agit pas de faire de la politique, mais bien de sensibiliser l’opinion. C’est une démarche responsable des ONG», explique Laurine Jobin, responsable de la communication romande de l’Entraide protestante suisse (EPER). Informée de la décision, l’Église évangélique réformée de Suisse (EERS) qui soutient notamment PPP et l’EPER, fait part de son «soulagement» de constater que leurs œuvres ne sont pas concernées. «Mais cette décision est un mauvais signe dans la culture de la collaboration entre la manne publique et les ONG. La DDC ne souhaite pas que l’argent public finance des campagnes politiques, c’est honorable, mais le gouvernement doit accepter un débat public sur la manière dont il distribue son argent et les ONG doivent y participer», affirme Serge Fornerod, directeur des relations extérieures de l’EERS.

Zone grise

Dans sa lettre, la DDC explique que «les controverses de ces dernières semaines ainsi que des incidents concrets ont montré clairement qu’il n’est pas toujours possible d’établir une distinction claire et nette entre les activités de sensibilisation, d’une part, et les campagnes (politiques) ou le lobbying, d’autre part». Les ONG paieraient-elles donc le prix de leur engagement dans la campagne en faveur de l’initiative pour les multinationales responsables? «Non. Mais l’engagement des ONG dans le cadre de l’initiative pour les multinationales responsables a soulevé des questions fondamentales sur la démarcation entre le travail d’information et le lobbying politique», précise un porte-parole du DFAE, Pierre-Alain Eltschinger.

Cette zone grise n’est pourtant pas nouvelle. Parmi les critères à remplir pour percevoir une contribution de programme, établis par la DDC, la requérante doit être labellisée Zewo, qui assure la transparence sur le marché des dons. La certification garantit notamment «que l’activité principale et la majorité des fonds utilisés pour les projets de l’organisation soient destinés à des activités d’utilité publique», explique la directrice Martina Ziegerer. Ce qui n’empêche pas de mener des activités politiques annexes.

«Certains craignent qu’on cherche à empêcher les prises de position des ONG. Mais si les organisations qui perçoivent de l’argent public ne peuvent plus s’exprimer, alors c’est tout le système qu’il faut changer, car aujourd’hui, qui ne reçoit pas de denier de l’État?», interroge Peter Marbet, directeur de Caritas Suisse.

Les ONG en débat

«Le travail de sensibilisation ne doit pas être confondu avec les campagnes politiques. Il s’agit de contribuer à faire connaître la coopération, le développement et la réalité de la vie dans les pays du Sud à un large public en Suisse», affirme la chargée de communication Coopération internationale de la Croix-Rouge Suisse, Katharina Schindler. Pour le WWF Suisse, on cultive le travail sur sol helvétique, en parallèle des projets dans les pays du Sud. «L’éducation à l’environnement en Suisse est une priorité depuis longtemps. Nous sommes d’avis que l’on protège d’autant mieux ce que l’on connaît, comprend et apprécie», ajoute Pierrette Rey, responsable de la communication du WWF Suisse pour la Suisse romande.

Les organisations comptent donc bien poursuivre autant que possible leurs activités en Suisse. «Le travail d’information et d’éducation est extrêmement important. Il est une contribution à la démocratie vivante, forte, qui a besoin d’une population bien informée, et aide le travail de coopération internationale du DFAE, notamment en rendant plus visible et transparent le travail de la DDC», explique Mark Herkenrath, directeur d’Alliance Sud, la coalition des principales ONG suisses – qui regroupe notamment l’EPER, PPP, Action de Carême, Swissaid, Caritas et Helvetas. Et d’ajouter: «La décision cherche à calmer les partis bourgeois qui ont critiqué l’engagement des ONG dans la campagne.»

«Lorsque les ONG s’expriment sur un sujet controversé, on voit surgir à chaque fois des motions parlementaires pour discuter la question du droit des ONG à intervenir dans le débat public. Celles-ci sont principalement motivées par des considérations politiques et de rapport de pouvoir, car l’initiative pour les multinationales responsables a prouvé qu’une société civile bien organisée et unie peut constituer un sérieux contrepoids aux acteurs extra-parlementaires jusqu’ici dominants tels qu’Economie Suisse ou d’autres lobbys», note Frédéric Baldini.

Par exemple, lors de la session d’hiver du Parlement suisse, la question de l’exonération fiscale pour l’utilité publique des personnes morales qui poursuivent des projets politiques est arrivée sur le tapis, interrogeant notamment les activités et engagements des ONG. Le travail parlementaire est en cours, mais le Conseil fédéral a déjà invité au rejet dans un préavis. L’exécutif précise notamment que «le fait de soutenir des initiatives ou des référendums sur le plan matériel ou idéologique ne s’oppose pas à une exonération fiscale», mais que l’engagement politique ne doit pas devenir une activité centrale de l’organisation.

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