En Europe, les économies du Sud-Est plus durement touchées par la facture de l’électricité
par Angeliki Koutantou, Forrest Crellin et Edward McAllister
ATHENES/PARIS (Reuters) – Pour le restaurateur athénien Christos Kapetanakis, le loyer a toujours été élevé mais avec l’augmentation des prix de l’électricité, il fait face désormais à ce qu’il appelle « un deuxième loyer » et est contraint d’augmenter ses prix et de rogner sur ses marges.
Le restaurateur paie entre 3.000 et 3.800 euros par mois de facture d’électricité, soit une augmentation de 40% depuis l’invasion russe en Ukraine en 2022 qui a plongé l’Europe dans une crise énergétique. L’électricité représentait avant 3% de ses frais mensuels; depuis le début de la guerre, cette part a atteint 15%.
« L’augmentation continue des prix, notamment dans le secteur du tourisme (…) va handicaper la compétitivité de la Grèce par rapport à d’autres pays méditerranéens », prédit-il depuis son restaurant, situé à Plaka, le quartier historique de la capitale grecque.
Depuis le déclenchement de la guerre qui a entraîné l’arrêt de plusieurs gazoducs en provenance de Russie, la Grèce a dû chercher d’autres solutions d’approvisionnement qui s’avèrent plus coûteuses.
Mais les pays du Sud-Est de l’Europe ont été plus touchés que leurs homologues du Nord-Ouest. Et cette tendance devrait s’accentuer avec l’arrivée de l’hiver et aura pour conséquence de peser sur la croissance économique, selon des experts.
En août, les prix de l’électricité en Grèce et en Italie étaient 12 fois supérieurs à ceux des pays du nord de l’Europe.
DÉPENSES LES PLUS ÉLEVÉES DE L’UE
Depuis 2021, la Grèce a dépensé 11 milliards d’euros en aides dans le secteur de l’énergie pour protéger les consommateurs. En 2022, ces dépenses ont représenté 5,3% du produit intérieur brut (PIB) – la part la plus élevée dans l’Union européenne (UE) et plus du double de celle de l’Italie, deuxième pays de ce classement établi par le bureau d’études français Enerdata.
Malgré les efforts d’Athènes pour protéger la population de la hausse des coûts énergétiques, la situation a exacerbé la crise du pouvoir d’achat en Grèce, dont l’économie tente de rebondir après la crise de la dette (2009-2018) qui a pénalisé les salaires, les retraites ainsi que les investissements dans la production électrique et les transports.
« Des prix de l’énergie élevés et un impact négatif sur le PIB sont une tautologie », déclare Nikos Magginas, économiste à la Banque nationale de Grèce.
« Des prix élevés ont un impact négatif sur la consommation des ménages et sur la structure des coûts pour les industries, les compagnies aériennes et le transport maritime. »
La différence entre le Sud-Est de l’Europe et ses voisins réside dans l’investissement. Si le Nord-Est du continent bénéficie de voies permettant l’acheminement facile de gaz et d’électricité entre pays ainsi que d’une bonne part d’énergies renouvelables dans leur mix énergétique, la plupart de l’Europe du Sud-Est est fragmentée et isolée.
Le stockage d’électricité, de plus en plus important dans les pays du Nord, est inexistant dans le Sud. L’Allemagne dispose de 1,668 mégawatts (MW) de capacités de stockage. La Grèce n’en possède aucune sur son territoire continental, selon le cabinet d’études écossais LCP Delta.
« Les pays de l’Europe du Sud-Est et des Balkans manquent d’interconnexions en électricité. Lors de coupures de courant, ils rencontrent des difficultés à importer les volumes nécessaires », observe Henning Gloystein, en charge des sujets énergie chez Eurasia Group.
A l’inverse, les capacités en énergies renouvelables de l’Espagne ont atteint des records lors de la dernière décennie, notamment grâce à l’aide de fonds de l’UE. Madrid a généré près de 60% de son électricité grâce aux énergies renouvelables lors du premier semestre de l’année dernière, contre 51% l’année précédente.
« Si vous n’investissez pas, les prix de l’énergie restent élevés », dit Henning Gloystein.
DES EFFORTS A RÉALISER
Le réseau énergétique européen reste un succès. En 2022, la France a augmenté ses importations venues d’Allemagne lorsque sa production nucléaire a chuté. Quand les livraisons de gaz russe vers l’Europe via l’Ukraine ont été interrompues la semaine dernière, les prix n’ont pas varié, les pays du bloc européen ayant trouvé des alternatives.
Mais pour certains pays, des efforts doivent être réalisés. Après la hausse des prix en Grèce l’été dernier, le Premier ministre Kyriakos Mitsotaki a demandé à la Commission européenne d’apporter une solution face aux différences « inacceptables » des coûts de l’énergie en Europe.
La Grèce n’est pas une exception. Beaucoup des pays des Balkans dépendent grandement des énergies fossiles et le système énergétique régional est faible. En juin dernier, une panne de courant a touché le Monténégro, la Bosnie, l’Albanie et la Croatie, le réseau étant saturé par les climatiseurs qui tournaient en masse pour affronter une vague de chaleur.
Le Kosovo, qui génère 90% de son énergie via le charbon, peine à rattraper le reste de l’Europe en matière d’installation d’énergies renouvelables.
En décembre, il a lancé un appel d’offres pour installer 100 MW de capacité éolienne. La Banque mondiale estime que le Kosovo a besoin de 10 gigawatts de nouvelle capacité pour atteindre son objectif de sortir du charbon d’ici 2025. La transition énergétique devrait coûter 4,5 milliards d’euros au Kosovo, une somme importante pour ce pays peuplé seulement de 1,5 million d’habitants.
En l’absence d’intégration transfrontalière ou de stockage suffisant, il arrive parfois qu’un marché soit trop alimenté en électricité, ce qui oblige les producteurs à réduire leur approvisionnement.
« Si le but est de réduire les prix, le plus simple est d’augmenter la pénétration des énergies renouvelables et du nucléaire », explique Fabian Ronningen, analyste à Rystad Energy.
Si la Grèce ne possède pas de centrale nucléaire, son secrétaire général du ministère de l’Energie, Aristotelis Aivaliotis est optimiste, notant que la part du renouvelable est en hausse, que deux nouvelles centrales électriques au gaz devraient être mises en service cette année et que des batteries de stockage seront construites d’ici 2028.
Le projet contient également une rénovation d’ici 2031 des connexions énergétiques avec l’Italie, l’Albanie et la Turquie, pour un coût de 750 millions d’euros.
« Les prix de gros vont baisser graduellement (…) et cela va se faire ressentir pour les consommateurs », a déclaré Aristotelis Aivaliotis à Reuters.
Mais les consommateurs grecs ne semblent pas convaincus. Taxiarchis Fekas, qui vit dans la banlieue d’Athènes, a du mal à payer les frais de scolarité de ses trois enfants en raison d’une facture d’électricité trop élevée.
Il exhorte ses enfants à réduire leur temps d’écran pour économiser de l’électricité, une requête quasi impossible pour de jeunes enfants collés à leurs appareils.
« On est sur le point de devenir une famille en difficulté financière », affirme-t-il. « Le gouvernement doit faire attention à la situation. »
(Reportage d’Angeliki Koutantou et Edward McAllister à Athènes, Forrest Crellin à Paris; reportage supplémentaire de Lefteris Papadimas à Athènes et Fatos Bytyci à Pristina, version française Zhifan Liu, édité par Blandine Hénault)
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