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En Suisse, le protestantisme entretient une relation ambivalente avec le capitalisme

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Entre éthique protestante et identité zurichoise, la présidente de l’Eglise évangélique réformée de Suisse Rita Famos réagit à la débâcle de la deuxième banque nationale.
Interpellée au sujet de la débâcle de Crédit Suisse, la présidente de l’Eglise évangélique réformée de Suisse (EERS), la Zurichoise Rita Famos répond sur les enjeux éthiques soulevés par cette crise et les questions de justice posées par le monde de la finance, dont l’essor est étroitement lié à la naissance du protestantisme.

Géographiquement proche de la place financière suisse (elle est installée depuis trois décennies dans la commune d’Uster, la troisième ville du canton, au cœur de ce qu’on appelle habituellement le triangle doré zurichois), la pasteure est familière des milieux politiques de par son mari, le théologien Cla Reto Famos, municipal PLR, membre notamment du Forum économique d’Uster. Entretien.

Quel commentaire vous inspire la débâcle de Crédit Suisse?

Le Crédit Suisse est un employeur important pour des milliers de personnes dans ce pays. Je me mets à la place de ces personnes qui doivent aller au travail dans une telle incertitude. Et je constate avec effroi que des acteurs économiques peuvent devenir tellement gigantesques qu’ils risquent de mettre en péril toute notre économie et de bouleverser la politique.

N’y a-t-il pas quelque chose de scandaleux à voir les milliards injectés par la Confédération, alors que la précarité en Suisse (selon les derniers chiffres du Centre social protestant) n’a jamais été aussi élevée?

Pour l’instant, ce ne sont que des garanties. Personne n’a injecté de l’argent qui appartient aux assurances sociales. Je peux comprendre qu’une telle somme soit un choc pour de nombreuses personnes. On a du mal à se représenter de tels montants. Mais cette somme représente une garantie, elle n’a pas été dépensée. Ne dressons pas l’État social contre l’économie. Tous deux sont nécessaires à la paix sociale et à la prospérité de notre pays. Si le Crédit Suisse avait fait faillite, cela aurait été bien pire pour la population suisse et bien au-delà. Le Centre social protestant a souligné que la précarité est encore aggravée par l’inflation. Il est cependant vrai que le cas du Crédit Suisse, comme d’autres, nous rappelle à quel point la liberté économique, la confiance et la justice sont intimement liées.

Le monde des finances, représenté largement par la place financière zurichoise, ne serait-il pas, selon l’éthique protestante, à réformer dans certains de ses fondements?

Je peux comprendre que de nombreuses personnes soient révoltées. Mais je pense qu’il est trop facile de pointer un doigt moralisateur. Ce n’est certainement pas une attitude à adopter par l’Église. C’est avant tout le système qui est en cause, et non pas en premier lieu des acteurs individuels. Et, soyons honnêtes, la Suisse fait partie des pays qui ont bénéficié de ce système. Mais ce sera à la collectivité de décider par la voie du politique de l’étendue du pouvoir qu’elle veut accorder aux grandes banques. A présent, la Suisse a une gigantesque banque et par conséquent un gros risque que nous devons assumer toutes et tous ensemble. Une participation politique du peuple et des règles juridiques claires sont nécessaires pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise.

Quels sont les enjeux éthiques que soulève, à vos yeux, cette crise?

Nous sommes au défi d’accepter que notre propre rationalité puisse créer des faits qu’aucun être humain ne peut plus contrôler individuellement. Nous avons appris en 2008 comment éviter un effondrement économique mondial. En revanche, notre capacité à agir de manière préventive demeure insuffisante. Maintenant, tout le monde se révolte et cherche des coupables. Les Églises ne devraient pas se rallier à ce canon de l’indignation qui ne permet pas de réfléchir ensemble à des valeurs, des lignes rouges et des lignes directrices à instaurer. Or, nous en avons particulièrement besoin aujourd’hui. L’aumônerie nous a appris qu’il est plus facile de confesser ses erreurs et de s’engager sur la voie du changement dans un climat de confiance. La «culture de l’indignation» ne crée que des boucs émissaires sans apporter de véritable solution.

En tant qu’Eglise nationale, garante d’une certaine éthique, quelle parole pouvez-vous amener et défendre dans l’espace public?

Ce qui compte pour moi, ce ne sont pas tant des déclarations ou des revendications. L’Église joue un rôle important dans la société civile. Nous devrions veiller à ce que les risques que la société civile doit assumer correspondent à un juste équilibre en termes de possibilités réelles de participation politique et sociale.

Les observateurs évoquent les dégâts d’image sur une certaine identité suisse, notamment protestante. Cette identité existe-t-elle encore?

C’est une certaine image. Elle est aujourd’hui égratignée. Mais nous ne devrions pas en faire une identité. Le protestantisme entretient une relation ambivalente avec le capitalisme, qui fait l’objet de débats depuis Max Weber. Dans une optique d’éthique protestante nous n’allons cependant pas adopter une attitude quasi divine et dire à tout le monde ce qui est juste. Nous faisons partie de ce monde et de cette économie, nous en profitons et parfois nous en souffrons. Mais nous ne sommes pas dans la posture de celles ou ceux qui accusent.

Le rachat de Crédit Suisse par l’UBS va engendrer de nombreux licenciements, notamment à Zurich. Quelles répercussions cela peut-il avoir sur les finances de l’Eglise réformée zurichoise ?

Personne ne le sait pour instant. Au vu des milliers d’emplois qui sont actuellement en jeu, ce n’est pas non plus la question la plus urgente. Pour paraphraser Kennedy, nous ne devrions pas nous demander ce que cette banque peut faire pour nous, mais ce que l’Église peut faire pour les personnes qui ont aujourd’hui peur pour leur emploi.

Et par ricochet, sur celles de l’EERS, sachant que l’Eglise zurichoise est la plus riche de Suisse?

Encore une fois: nous l’ignorons pour l’instant. Mais là aussi, nous nous demandons, en tant qu’EERS, ce que nous pouvons entreprendre de concert avec notre Église membre pour que les personnes qui traversent une crise professionnelle ou qui ne sont plus en mesure de faire face à la pression engendrée par la reprise trouvent des lieux de soutien et de réconfort. Cela vaut bien sûr également pour les managers.

L’EERS avait-elle placé des fonds dans cette banque? Et si oui, à quelles pertes vous attendez-vous ?

L’EERS ne détient pas d’actions du Crédit Suisse.

Plus largement, quelle est la politique d’investissement de l’EERS?

L’EERS a confié un mandat de gestion de fortune à la Banque Cantonale Bernoise BCBE qui gère le (petit) portefeuille de titres de l’EERS.

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