Médecins et Ehpad dénoncent « l’improvisation » de la campagne de vaccination
PARIS (Reuters) – Directeur d’Ehpad et médecins dénoncent « l’improvisation » du gouvernement dans sa stratégie de déploiement du vaccin contre le COVID-19, après un changement de stratégie qui déstabilise les acteurs, risquant de créer de la déperdition.
Le gouvernement a décidé en début de semaine de changer sa stratégie de vaccination, en réponse aux critiques qui ont fusé durant la période des fêtes sur la lenteur de la campagne vaccinale française par rapport à ses voisins européens.
Les vaccins, d’abord destinés aux résidents des Ehpad, ont été mis à disposition du personnel hospitalier, des pompiers et des aides à la personne, de plus de 50 ans, un public qui ne devait être ciblé que dans un deuxième temps.
Sur le terrain, les Ehpad s’inquiètent de voir les précieux vaccins disparaître au profit d’autres populations, alors que des pays comme l’Allemagne connaissent déjà une pénurie.
« On observe une multiplication des circuits de livraison et un détournement des vaccins vers d’autres populations, qui méritent également d’être vaccinées, mais qui nous laissent un peu dans l’expectative », a dit Louis Matias, directeur de la Maison Ferrari, un Ehpad privé solidaire à Clamart.
Le coup d’accélération du gouvernement met par ailleurs les établissements sous pression pour recueillir les consentements des résidents plus rapidement que prévu et donner le nombre de doses nécessaires pour les premières livraisons.
« Ce changement de stratégie, ça vient percuter un processus qui est déjà en route », a dit à Reuters Didier Sapy, directeur de la FNAQPA, Fédération nationale d’établissements pour personnes âgées non lucratifs. « C’est un peu la panique. Tout ça pour gagner quatre jours. »
Le risque, selon Louis Matias, qui siège à la FEHAP, Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés solidaires, est que les établissement soient amenés à demander un volume de vaccins supérieur à ce dont ils ont besoin, ce qui entraînerait des pertes.
Inversement, d’autres établissements, comme la Maison Ferrari, se disent prêts à recevoir les doses, mais n’ont pas d’informations sur la date de livraison du précieux sérum.
INQUIETUDES POUR LES PATIENTS FRAGILES
Chez les médecins libéraux, la désorganisation se fait aussi sentir. Jean-Luc Leymarie, médecin généraliste à Rueil-Malmaison, a appris mardi qu’il devait coordonner l’ouverture d’un centre ambulatoire de vaccination de ville vendredi.
Le gouvernement a dit souhaiter l’ouverture de 500 à 600 centres de ce type d’ici la fin du mois de janvier.
« C’est bien parce que la vaccination démarre et on va enfin pouvoir commencer à combattre ce virus », dit-il. « Mais ça se fait dans l’improvisation. Heureusement qu’on est assez souple. »
La ville de Rueil-Malmaison a commandé des vaccins pour 100 personnes, dit le médecin. Or, pour l’instant, une quarantaine de professionnels des soins de santé étaient inscrits sur les listes. Jean-Luc Leymarie espère qu’il n’y aura pas de perte.
« Si on avait eu un délai, on aurait pu mieux s’organiser. »
D’autres professionnels de la santé s’inquiètent de ne recevoir aucune nouvelle, alors qu’ils soignent une population très fragile. C’est le cas de l’Institut de Cancérologie Sainte-Catherine à Avignon qui suit 3.000 personnes.
« Nos patients ont déjà payé un lourd tribut au COVID-19. Ils sont cloitrés chez eux ou en hôpital depuis neuf mois, ont des conditions de vie extrêmement pénibles », a dit à Reuters Roland Sicard, le directeur de l’établissement.
« Les jours passent, la polémique monte mais rien ne bouge. Nous ne savons pas si nous allons recevoir des vaccins. Ne va-t-on pas nous oublier ? », s’interroge-t-il.
Les Régions de France, qui s’inquiètent, pour leur part, d’une pénurie de vaccin lorsque le produit sera mis à disposition du grand public, ont écrit jeudi aux laboratoires pharmaceutiques Sanofi, Pfizer, AstraZeneca et Moderna pour savoir comment leur passer commande. Elles envisagent l’achat de 10 millions de vaccins.
« J’attends de Jean Castex ce soir l’engagement d’associer les collectivités à la campagne de vaccination. Il est dommage de se priver de nos capacités d’organisation, de mobilisation : 20.000 vaccinations en une semaine alors que nous disposons d’un million de doses, c’est vraiment minable », a écrit sur Twitter Hervé Morin, président de la Région Normandie.
Le ministre de la Santé Olivier Véran a dit jeudi soir « faire en France, mais aussi à l’échelle européenne, le maximum pour sécuriser un maximum de doses ».
« Le monde entier est dans la même situation, achète les mêmes vaccins. Nous accompagnons les entreprises, y compris en Europe d’ailleurs, pour augmenter les chaînes de productions », a-t-il dit en conférence de presse.
(Caroline Pailliez, édité par Blandine Hénault)