Gaza: L’armée israélienne dans l’hôpital Al Chifa, « inacceptable » pour l’OMS
par Nidal al-Mughrabi
GAZA (Reuters) – L’armée israélienne est entrée mercredi matin dans le principal hôpital de Gaza, où elle a dit avoir trouvé un centre de commandement et des armes appartenant au Hamas, dans le cadre d’une opération qui a provoqué des inquiétudes internationales sur le sort des milliers de civils bloqués sur le site.
Israël a focalisé ces derniers jours son opération militaire terrestre sur l’hôpital Al Chifa, dans la ville de Gaza, dans le nord de l’enclave, affirmant que le Hamas y abrite le « coeur » de ses opérations avec un centre de commandement situé dans des tunnels creusés sous le bâtiment. Le Hamas nie ces accusations.
Les troupes israéliennes ont trouvé sur place des armes, des tenues de combat et des équipements technologiques, a déclaré un porte-parole de l’armée israélienne, précisant que les fouilles se poursuivaient.
Une vidéo diffusée par l’armée israélienne montre selon elle des équipements retrouvés dans un bâtiment non identifié du complexe hospitalier, dont des armes automatiques, des grenades et des gilets pare-balles.
Après plusieurs jours de siège et des affrontements avec des combattants palestiniens devant l’hôpital, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a salué le fait que les soldats de Tsahal soient parvenus à entrer dans le bâtiment.
« Il n’y a aucun endroit dans Gaza que nous ne pouvons pas atteindre. Il n’y a pas de cachettes. Il n’y a pas d’abri ou de refuge pour les meurtriers du Hamas », a-t-il déclaré dans un communiqué. « Nous allons éliminer le Hamas et ramener nos otages. Ce sont deux missions sacrées. »
Selon les autorités israéliennes, aucun affrontement ni aucun accrochage ne se sont produits à l’intérieur de l’hôpital, que ce soit avec les civils, les patients ou les soignants.
Israël a répété que l’hôpital Al Chifa abritait un centre de commandement du Hamas, ce que les Etats-Unis ont dit mardi pouvoir confirmer avec leurs propres renseignements.
« Avant d’entrer dans l’hôpital, nos troupes ont été confrontées à des engins explosifs et des commandos terroristes. Des affrontements s’en sont suivis, durant lesquels des terroristes ont été tués », a déclaré Tsahal.
« Nous pouvons confirmer que des incubateurs, de la nourriture pour bébé et des fournitures médicales amenés depuis Israël par des chars de l’armée sont arrivés avec succès à l’hôpital Al Chifa. Nos équipes médicales sont sur le terrain pour garantir que ces fournitures servent à ceux qui en ont besoin », a ajouté l’armée israélienne.
« LA POPULATION N’A PAS À PAYER POUR LES CRIMES DU HAMAS »
Des témoins se trouvant à l’intérieur du bâtiment ont décrit à Reuters une situation en apparence calme alors que les soldats de Tsahal fouillaient les lieux. Des tirs sporadiques ont été entendus, sans que des victimes ne soient signalées dans l’immédiat à l’intérieur du bâtiment.
La communauté internationale s’inquiète du sort des centaines de patients bloqués dans l’hôpital, où des équipements médicaux basiques sont hors service en l’absence d’électricité et où ont aussi trouvé refuge des milliers de civils déplacés par les combats depuis le 7 octobre.
De nombreux patients, dont trois nouveaux nés, sont décédés ces derniers jours à cause du siège de l’hôpital par les forces israéliennes, ont déclaré des représentants palestiniens.
En Cisjordanie, la ministre de la Santé de l’Autorité palestinienne, Maï al Kaïla, a déclaré qu’Israël « (commettait) un nouveau crime contre l’humanité, le personnel médical et les patients en assiégeant » Al Chifa.
La France est « très vivement préoccupée » par les opérations militaires israéliennes dans l’hôpital Al Chifa, a déclaré le Quai d’Orsay, estimant que « la population palestinienne n’a pas à payer pour les crimes du Hamas ».
Interrogé sur le sujet lors d’un déplacement en Suisse, le président Emmanuel Macron a répondu que Paris condamnait « avec la plus grande fermeté tous les bombardements de civils, et en particulier d’infrastructures civiles, qui doivent être protégés au titre du droit international et du droit humanitaire, pas seulement les bâtiments mais les personnes qui y soignent ».
Le directeur de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a dénoncé comme « totalement inacceptable » l’incursion de l’armée israélienne dans l’hôpital Al Chifa.
S’exprimant lors d’une conférence de presse à Genève, Tedros Adhanom Ghebreyesus a déclaré que les hôpitaux n’étaient « pas des champs de bataille » et que les patients et le personnel médical devaient être protégés même quand ces bâtiments étaient utilisés à des fins militaires.
Il a aussi déclaré que l’OMS avait perdu le contact avec le personnel soignant de l’hôpital Al Chifa et n’était plus tenue informée des nombres de blessés et tués.
Un représentant de l’OMS pour les territoires palestiniens a déclaré qu’il n’y avait ni oxygène, ni électricité, ni eau dans l’hôpital, où se trouvaient 633 patients, environ 500 soignants et quelque 4.000 personnes s’y étant réfugiées.
LE QATAR NÉGOCIE UNE PAUSE AVEC LIBÉRATION D’OTAGES
Le directeur des Affaires humanitaires de l’Onu a imploré Israël de permettre à l’aide d’être acheminée dans la bande de Gaza via le point de passage de Kerem Shalom. Seule route par laquelle transite actuellement l’aide, le poste frontalier de Rafah, avec l’Egypte, a été conçu pour le passage de piétons.
Martin Griffiths a déclaré à des journalistes à Genève que cet axe servait avant le conflit à livrer plus de 60% de l’aide humanitaire fournie à l’enclave palestinienne.
Le Conseil de sécurité de l’Onu a approuvé en fin de journée une résolution appelant à des pauses humanitaires urgentes et prolongées dans la bande de Gaza ainsi qu’à des couloirs humanitaires. Ce vote met fin à une impasse au Conseil après l’échec de quatre textes présentés le mois dernier en réponse au conflit.
Jusqu’à présent, Israël a rejeté les appels à un cessez-le-feu, déclarant qu’un tel scénario profiterait au Hamas, une position soutenue par les Etats-Unis.
Une pause dans les combats est néanmoins en discussion dans le cadre de la médiation menée par le Qatar pour obtenir la libération de certains des 240 otages détenus par le Hamas depuis l’attaque du 7 octobre, qui a fait 1.200 morts dans le sud d’Israël.
Plus de 11.000 personnes dont 40% d’enfants ont été tuées depuis dans l’offensive menée par Israël, selon les données de représentants palestiniens considérées comme fiables par l’Onu. Deux tiers des habitants du nord de l’enclave ont été déplacés et sont sans-abri.
Une source au fait des pourparlers a indiqué mercredi que les négociateurs de Doha cherchaient à sceller un accord sur une trêve de trois jours à Gaza, avec la libération de 50 otages israéliens ainsi que la libération de plusieurs femmes et mineurs détenus par les forces de sécurité israéliennes.
Ahmed El Mokhallalati, chirurgien à l’hôpital Al Chifa, a déclaré dans la matinée par téléphone à Reuters que les affrontements nocturnes autour du bâtiment avaient forcé le personnel médical à se cacher.
« Un char d’assaut imposant a pénétré dans l’hôpital via la porte principale (…) Ils se sont garés devant l’entrée des urgences », a-t-il dit, alors que résonnaient en bruit de fond ce qu’il a décrit comme des « tirs incessants des chars ».
Les forces israéliennes ont prévenu l’administration hospitalière à l’avance de leur intention de pénétrer dans Al Chifa, a dit le chirurgien, mais elles n’ont ensuite donné aucune consigne au personnel médical alors même qu’elles se trouvaient à « quelques mètres » des soignants, a-t-il ajouté.
Tsahal a utilisé « tous les types d’armes » et visé « directement l’hôpital », a-t-il déclaré, exprimant sa préoccupation pour les patients mais ne se disant pas inquiet à propos de potentiels affrontements dans le bâtiment alors qu’il a décrit comme un « énorme mensonge » l’affirmation par Israël de la présence sur place de combattants.
(Reportage Nidal al-Mughrabi à Gaza, Maayan Lubell, James Mackenzie et Crispian Balmer à Jérusalem, Abir Al Ahmar et Claudia Tanos à Dubai, Gabrielle Tétrault-Farber à Genève, Michelle Nichols aux Nations unies, Jean-Stéphane Brosse à Paris; rédigé par Jean Terzian, édité par Bertrand Boucey)