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L’œcuménisme brésilien mis en péril

Malgré une histoire de plus de quarante ans, l’œcuménisme brésilien se fissure dans un contexte de forte polarisation politique depuis l’arrivée au pouvoir du président Jair Bolsonaro et l’ascension des groupes d’extrême droite. Les tensions ont pris une nouvelle dimension en ce début d’année.
L’œcuménisme vit des heures sombres au Brésil. Depuis l’arrivée de Jair Bolsonaro au pouvoir, les tensions entre les différentes Églises du pays n’ont cessé d’augmenter, atteignant ces dernières semaines un niveau de radicalisation inquiétant. Le feu a été mis aux poudres début février, lorsqu’un groupe catholique d’extrême-droite a organisé une série d’attaques contre la Campagne de la Fraternité 2021, une initiative annuelle de l’épiscopat catholique pour discuter les problèmes sociaux et collecter des fonds pour des projets caritatifs.

Cette année, la campagne portait pourtant un vrai caractère œcuménique, puisqu’elle était organisée par le Conseil national des Églises chrétiennes du Brésil (Conic), qui rassemble l’Église catholique et différentes Églises protestantes. Or, une série de vidéos très critiques à son endroit ont été diffusées sur les réseaux sociaux.

Un progressisme qui passe mal

Le thème de cette année «Fraternité et dialogue, Engagement d’amour» appelait précisément les fidèles à surmonter les barrières sociales et idéologiques et à chercher une rencontre généreuse les uns avec les autres. À cet effet, le document présente une analyse approfondie du contexte politique et social brésilien et relate de nombreux exemples de manque de dialogue et de brutalité dans le pays, notamment en matière de violences faites aux femmes, aux peuples autochtones et à la communauté LGBT.

Des exemples qui n’ont pas été choisis au hasard, en ce qu’ils évoquent bien les conséquences les plus brutales de la montée de la violence politico-sociale au Brésil, tout en pointant indirectement du doigt les effets du bolsonarisme. Il y est par exemple fait mention de l’homicide de la conseillère de Rio de Janeiro Marielle Franco, une militante politique de gauche, noire et lesbienne, dont le meurtre n’a pas encore été élucidé et qui est devenue un symbole de la lutte progressiste au Brésil.

Les attaques du groupe traditionaliste visent en grande partie la secrétaire générale du Conic, la pasteure luthérienne Romi Bencke. Désignée à tort comme l’auteure du document – puisqu’elle n’était qu’un membre du comité qui l’a rédigé –, Romi Bencke est devenue la figure du progressisme que les soutiens de Bolsonaro répugnent tant, accusée d’être «pro-avortement» et «communiste».

Rejet du protestantisme et de son «gauchisme»

Les auteurs des agressions ne cachent en outre pas leur rejet de la Réforme, qualifiée de «démoniaque» dans certains de leurs documents, ainsi que de tout dialogue interreligieux qui ne signifierait pas la conversion des protestants au catholicisme. «Hors de l’Église, point de salut», est d’ailleurs l’un de leurs slogans.

L’affaire aurait pu en rester là, si ces attaques avaient été condamnées par l’Église catholique. Or l’inaction de cette dernière, qui n’a fait qu’une défense ambiguë de la campagne, a déçu plusieurs membres des Églises protestantes. Dans une déclaration, la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB) s’est contentée d’affirmer que le document de la Campagne de la Fraternité avait été rédigé collectivement par le Conic et qu’il «suit la structure de pensée et de travail du Conic».

«La relation institutionnelle avec la CNBB a toujours été quelque peu ambiguë depuis le début des campagnes œcuméniques en 2000», analyse le pasteur luthérien d’origine suisse et professeur d’œcuménisme et de dialogue interconfessionnel Rudolf von Sinner. Selon lui, l’énorme croissance des Églises pentecôtistes et néo-pentecôtistes a créé un «climat compétitif». Craignant de continuer à perdre leurs fidèles, les Églises historiques ont cessé de se préoccuper autant de la coopération œcuménique et ont plutôt cherché à défendre leurs positions.

L’œcuménisme brésilien, rappelle Rudolf Von Sinner, a été renforcé pendant la dictature militaire (1964-1985), lorsque la coopération entre les Églises a été décisive dans la défense des droits de l’homme des prisonniers politiques. Avec la montée de l’extrême-droite au Brésil, cette thématique en est venue à être considérée comme relevant du gauchisme politique.

Le conservatisme moral, déjà existant à l’intérieur des Églises, a été renforcé par des groupes traditionalistes, qui diabolisent des propositions telles que la légalisation de l’avortement et l’égalité du mariage entre personnes de même sexe. «Ils parviennent à convaincre de nombreuses personnes avec leurs messages simplificateurs et faux, créant la peur parmi les gens et les Églises», poursuit Rudolf Von Sinner.

La pasteure Romi Bencke et le Conic sont devenus des boucs émissaires. «La pasteure Romi Bencke soutient que la légalisation de l’avortement peut être considérée comme un moindre mal dans certains cas, car elle empêcherait des milliers d’avortements clandestins et dangereux», précise le spécialiste. «Les groupes d’extrême droite l’ont alors qualifiée de pro-avortement. En tant que secrétaire générale du Conic, Conic serait donc également pro-avortement. Mais la défense de l’avortement n’a jamais été débattue au sein du Conic», dément-il.

Le catholicisme, sinon rien.

Les attaques continuent. Le 5 mars, des pirates ont fait irruption sur le site web de l’Église luthérienne du Brésil et ont laissé le message: «Convertissez-vous au catholicisme traditionnel». Dans certaines réunions virtuelles de la Campagne de la Fraternité auxquelles la pasteure Bencke a participé, des envahisseurs apparaissent et interrompent le débat.

Selon Romi Bencke, la CNBB a fait preuve de faiblesse dans ses relations avec ces groupes extrémistes. Une position qui suscite la méfiance parmi les autres Églises chrétiennes. «L’œcuménisme dépend beaucoup de la confiance entre les Églises», rappelle-t-elle.

Mais il existe des raisons de rester confiant. Après les attaques, un groupe d’évêques a publié une lettre de soutien à la Campagne de la Fraternité. Plusieurs membres des ministères sociaux de l’Église catholique ont également exprimé leur solidarité avec le Conic et la pasteure Bencke.

Selon Magali Cunha, chercheuse en communications et religions, collaboratrice du Conseil œcuménique des Églises et par ailleurs membre de l’Église méthodiste, il faut valoriser la coopération interreligieuse qui se déroule en dehors des institutions. «Il y a un œcuménisme de base fait par des communautés, des femmes, des organisations de services œcuméniques qui agissent pour la défense de la vie et des droits de l’homme. Ils ont toujours été puissants et sont la raison d’être de l’œcuménisme. Ce travail, les groupes d’extrême-droite sont incapables de l’arrêter», affirme-t-elle.

De nombreux défis restes toutefois à relever. Le théologien et professeur à l’Université pontificale catholique de São Paulo Fernando Altemeyer Jr. souligne qu’il y a un «énorme déficit de formation œcuménique. La plupart des évêques catholiques brésiliens ne savent pas ce qu’est l’œcuménisme.» Parallèlement, observe-t-il, un œcuménisme d’extrême-droite, fondamentaliste et opportuniste, articule les Églises néo-pentecôtistes et le mouvement de renouveau charismatique catholique autour d’intérêts politiques.

Une telle articulation, très forte à Brasilia et aussi économiquement, bénéficie de ressources financières et d’un soutien international. Alors que la coopération œcuménique progressiste, a vu une diminution du soutien financier fourni par les agences chrétiennes internationales, explique le révérend Arthur Cavalcante, de l’Église épiscopale anglicane du Brésil.

Des ruptures nécessaires

L’évêque catholique Manoel João Francisco, qui préside la Commission pastorale épiscopale pour l’œcuménisme et le dialogue interreligieux de la CNBB, estime que si le cheminement œcuménique brésilien est lent, il avance néanmoins. «Dans les communautés avec une plus grande présence luthérienne ou anglicane, nous avons fait de nouveaux progrès. Avec les néo-pentecôtistes, il y a plus de difficultés. Mais même avec eux, nous avons réussi à faire des progrès dans le travail œcuménique», relève-t-il. Et d’ajouter: «Nous ne pouvons pas souhaiter un œcuménisme qui soit une catholisation déguisée», en référence aux groupes traditionalistes.

Selon Rudolf Von Sinner, le mouvement œcuménique brésilien est actuellement limité par le bolsonarisme. «Mais les dirigeants actuels du Conic et la pasteur Bencke ont ouvert le dialogue avec des groupes laïques et des mouvements sociaux qui jusque-là ne se sentaient pas proches des Églises chrétiennes», pointe-t-il. Avec l’activation politique de ces secteurs sociaux, la coopération œcuménique progressiste aura une position favorable, estime-t-il. Romi Bencke est d’accord avec lui.

«Nous sommes à un moment au Brésil où des ruptures doivent se produire. Nous devons rompre avec le racisme, la misogynie, le fondamentalisme, la symbiose entre religion et État», défend-elle. «Les groupes qui ne veulent pas abandonner le pouvoir, les élites qui génèrent toujours des étirements violents, réagiront forcément. Mais il est temps d’être prophétique et de se mettre en route pour favoriser ces ruptures nécessaires.»

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