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Dans l’Église protestante, les femmes votent depuis 120 ans

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Alors que la Suisse fête les 50 ans du droit de vote des femmes, les réformés peuvent se targuer d’avoir accordé, dès 1891 à Genève, le droit de vote aux femmes. Retour sur le rôle précurseur de l’Église réformée en matière d’émancipation féminine avec la théologienne genevoise Lauriane Savoy.

Cinquante ans que les femmes votent en Suisse! L’anniversaire est joyeux, mais suscite toujours un peu de honte, tant les femmes semblent avoir dû attendre chez nous. Cela dit, un autre anniversaire est à célébrer, et qui fait un peu mieux dans le tableau. Car c’est il y a 120 ans qu’à Genève, on permet aux femmes, au sein de l’Église protestante, de participer au suffrage ecclésial. Certes, elles ne sont pas encore pasteures – les premières arriveront dès 1918 à Zurich– mais l’Église protestante est pionnière, et a un rôle, même discret, dans l’avancée des débats qui feront qu’en 1971, les femmes accèdent enfin au suffrage politique. Co-auteure de «Une Bible des femmes», la théologienne Lauriane Savoy est revenue sur ces épisodes romands où le religieux, une fois n’est pas coutume, a devancé le politique.

Qu’est-ce qui décide l’Église réformée, il y a plus d’un siècle, à donner le droit de vote aux femmes?

Ce sont les Églises libres de Genève et Vaud qui sont les premières à ouvrir le suffrage ecclésial aux femmes quelques années plus tôt et à parler de la possibilité de leur éligibilité au sein de l’Église. Cela crée alors une certaine pression, qui va s’exercer sur les Églises nationales, les Églises cantonales se décidant alors l’une après l’autre à faire de même. Après que de plusieurs pétitions lancées par des femmes protestantes aient réclamé le suffrage ecclésial féminin, c’est l’Église nationale protestante de Genève qui commence, en 1891. Vaud suivra en 1899, et en 1904, la Conférence des Églises réformées recommande définitivement aux Églises membres qui ne l’auraient pas encore fait d’ouvrir aux femmes le droit de se prononcer sur la vie de leur communauté religieuse par le vote. Tous ces faisceaux se rejoignent donc en faveur des femmes, et ce bien avant le vote politique.

Le mouvement du christianisme social, apparu après la Révolution industrielle, fait-il partie de ce qui a rendu ces changements possibles?

Absolument. Certaines personnalités ont aidé à mener le protestantisme à ces progrès. Un bon exemple est Charles Secrétan, libriste vaudois, qui était avocat et professeur de philosophie à l’Université. Il a publié en 1885 un livre intitulé «Le droit de la femme», dans lequel il prenait position en faveur du suffrage féminin. Il était un protestant respecté, un universitaire, proche du christianisme social. Ce livre, comme d’autres travaux d’intellectuels de l’époque, a préparé les mentalités de la bourgeoisie protestante urbaine.

Peut-on dès lors dire que les protestants préparent intellectuellement la société à l’accession des femmes au droit de vote, septante ans plus tard?

Tout à fait. Dès 1920, des femmes pasteures se mettent à intervenir dans des congrès suffragistes ou dans des conférences organisées pour promouvoir sur le terrain le suffrage politique des femmes. On souhaite alors montrer que les femmes sont tout à fait capables de prendre la parole en public et de prendre part à des débats de société. La première femme pasteure de Genève, Marcelle Bard, est d’ailleurs une suffragiste comme sa mère. Tout cela n’est pas marginalisé, car ces types d’apparitions publiques font l’objet de compte-rendu dans les journaux et sont souvent annoncées en grande pompe. La suffragiste protestante genevoise bien connue Émilie Gourd est en lien étroit avec l’Église protestante, elle promeut activement l’extension des droits des femmes dans l’Église dans le mensuel qu’elle dirige, Le Mouvement féministe. Elle renseigne aussi le Consistoire sur la situation des femmes pasteures dans d’autres Églises, au moment des débats sur le pastorat féminin. Beaucoup de suffragistes, notamment en Suisse romande, sont des femmes protestantes : les Genevoises Pauline Chaponnière-Chaix, Camille Vidart, les Vaudoises Lucy Dutoit et Elisa Serment.

Les Églises ont-elles alors influencé la politique, à l’époque, avec cette position?

On peut faire plusieurs hypothèses. Peut-être que les hommes ont été favorables au suffrage ecclésial féminin plus vite que pour le politique parce que les femmes s’intéressaient plus aux questions religieuses et étaient plus pratiquantes que les hommes. Ces derniers ont donc pu accepter que les femmes prennent part à la vie ecclésiale avec plus de facilité. Il est d’ailleurs intéressant de constater que cette accession à des droits au sein des Églises a quand même été saucissonnée… On leur a d’abord donné le droit de vote, puis le droit d’être élues dans des conseils de paroisses, puis dans les synodes… Cela est monté petit à petit alors qu’au niveau politique, elles ont essuyé les refus. La faute sans doute à une conception très masculine de la politique, les questions de foi étant plus facilement imputées aux femmes. La politique a gardé un certain prestige social que les hommes n’ont pas voulu lâcher aussi vite.

Les Églises ont-elles fait campagne pour le droit de vote politique des femmes?

Les Églises, y compris l’Église catholique, se sont prononcées en faveur du suffrage politique des femmes avant le Parti radical ou d’autres partis de droite. Mais ce sont plutôt des évêques ou des pasteurs qui prennent position personnellement. La votation de 1971 profite d’ailleurs de l’élan donné par le concile Vatican II, un moment d’ouverture de l’Église catholique, aux laïcs et aux femmes.

Peut-on dire finalement que le christianisme a donc plutôt encouragé l’émancipation des femmes dès le XXe siècle?

Ce n’est pas si simple. Par exemple, les femmes catholiques n’ont toujours pas accès ni à la prêtrise ni aux lieux de décision dans leur Église. Mais il y a eu des moments où le christianisme a pu accélérer cela, notamment quand il a voulu appuyer la formation des filles et leur éducation. On le voit aussi avec les mouvements de théologie de la libération ou de théologie féministe. Il y a donc eu de grandes poussées au sein du christianisme pour l’émancipation des individus opprimés, que ce soit les minorités ethniques ou les femmes.

Même si elle a été précurseur, l’Église protestante a-t-elle toutefois encore des efforts à faire, selon vous?

Oui, en promouvant une égalité plus grande dans les relations de travail, par exemple en promouvant un congé paternité plus étendu et plus égalitaire entre les hommes et les femmes. En effet, il est plus difficile d’être une jeune femme pasteure qu’un jeune homme pasteur, car on va plus s’inquiéter, quand une femme pasteure arrive dans une nouvelle communauté, de savoir si elle compte avoir des enfants bientôt et s’il faudra la remplacer durant son congé maternité. On trouve encore des équipes ministérielles, dans certaines régions, où il n’y a que des hommes pasteurs, et les femmes ne devraient pas toujours être cantonnées au secteur de l’enfance et à l’accompagnement. À l’Église, donc, d’être proactive et de continuer à montrer l’exemple, comme elle a pu le faire il y a plus d’une centaine d’années. Il faut avoir une politique encore un peu plus volontariste afin de promouvoir la mixité à tous les échelons.

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