Comment l’Ukraine prépare sa riposte technologique à la menace des drones russes
À l'heure de l'intelligence artificielle, l'accès à des faits vérifiables est crucial. Soutenez le Journal Chrétien en cliquant ici.par Tom Balmforth
KYIV (Reuters) – Dans un sous-sol du centre-ville de Kyiv, loin des regards indiscrets, des centaines d’ingénieurs et d’innovateurs débattent avec des responsables militaires de haut rang sur le meilleur moyen pour neutraliser les drones suicides russes bon marché qui défigurent les villes ukrainiennes.
« La guerre aujourd’hui est technologique, avec des changements technologiques et sur le champ de bataille qui interviennent tous les jours », indique en marge de la réunion Mykhailo Fedorov, vice-Premier ministre ukrainien de l’Innovation, du Développement de l’Education et des Sciences et Technologies et ministre de la Transformation numérique.
Reuters est le seul média à avoir été invité à couvrir cette réunion, plongée rare dans les coulisses de l’état-major ukrainien dans sa course à l’armement technologique face à la Russie.
Les organisateurs ont offert trois millions de dollars aux trois équipes d’experts qui ont présenté les meilleurs drones et systèmes pour contrer les drones russes « Shaded », de confection iranienne qui naviguent en essaims et explosent lorsqu’ils touchent leur cible.
En mai, la Russie a utilisé plus de 300 drones contre l’Ukraine, un record sur un mois, selon des données officielles.
Un défi pour les autorités ukrainiennes qui ont encore en mémoire les attaques russes l’hiver dernier sur les installations du pays qui avaient mené à des coupures d’électricité, et qui se projettent déjà vers la prochaine saison hivernale.
« Nous voulons nous préparer pour (…) l’hiver prochain et répondre à ces défis », a déclaré le vice-Premier ministre, Oleksandr Koubrakov.
Les drones iraniens volent si bas qu’ils passent à travers les mailles des systèmes de détection et leurs systèmes de navigation sont assez robustes pour résister aux armes électroniques des systèmes anti-drones qui brouille les fréquences radio.
Les pays occidentaux ont livré des systèmes de défense aérienne sophistiqués pour contrer des attaques de missiles, mais abattre des drones d’une valeur de 50.000 dollars avec un système qui vaut un million de dollars n’est pas idéal.
« Ce n’est pas rentable, donc nous devons constamment baisser les coûts des outils que nous utilisons pour détruire les Shaheds », explique Mykhailo Fedorov.
Un des participants, Oleksandr (les noms ont été anonymisés à la demande des organisateurs pour des raisons de sécurité) indique que son équipe a présenté un « quadrocopter » avec des ailes et des hélices qui, selon ses dires, peut voler plus vite et longtemps que les autres appareils.
« C’est un drone qui peut décoller à la verticale et intercepter ou rattraper d’autres drones, les abattre ou les pirater », explique le participant.
« GUERRE DE DRONES »
Les drones ont été largement utilisés dans les guerres au Yémen, en Syrie et dans le Haut-Karabagh, mais jamais avec une telle intensité que depuis le début de l’invasion russe, indique les responsables ukrainiens.
« C’est une guerre de drones qui n’a pas de précédent », indique Mykhailo Fedorov, qui ajoute que l’innovation technologique dans l’armée ukrainienne a décollé depuis le début de la guerre.
L’an dernier, l’Ukraine a lancé une campagne de financement participatif pour créer une « Armée de drones » qui s’est transformée en programme d’Etat, qui supervise la production d’appareils aériens inhabités et la formation de pilotes de drones.
« Quelques mois après le début de l’invasion, tout le monde a réalisé que le meilleur moyen de mener des reconnaissances et battre l’ennemi était les appareils aériens inhabités », déclare le général brigadier Yourii Chtchyhol, en charge du programme étatique.
Ce dernier affirme que 15.000 drones sont sortis de ce programme, ajoutant que d’autres vont être produits par le ministère de la Défense et des livraisons sont attendues de l’étranger.
« Notre objectif est d’acheter plus de 200.000 drones d’attaque et de reconnaissance cette année (…) Nous achèterons autant de drones disponibles à l’achat sur le marché », poursuit Yourii Chtchyhol.
Le nombre total de drones ukrainiens sur le champ de bataille n’est pas connu.
Plus de 80% des drones utilisés sont produits et assemblés en Ukraine, indique Mykhailo Fedorov.
Contrairement à la Russie qui s’appuie sur des entreprises étatiques, la stratégie ukrainienne repose sur le secteur privé et les entreprises de plus petites tailles.
« Il y avait sept entreprises qui pouvaient vendre des drones à l’Etat quand nous avons commencé ce projet l’an dernier. Aujourd’hui, il y en a 40 et il y en aura 50 d’ici à la fin de l’année », avance Mykhailo Fedorov.
(Version française Zhifan Liu, édité par Blandine Hénault)