Massacre de migrants noirs à Melilla au Maroc
Des corps de migrants noirs originaires d’Afrique subsaharienne s’entassent sur le sol, la plupart blessés, mais certains seraient morts. Autour d’eux, des policiers marocains en uniforme. Sur certaines vidéos, on voit ces derniers donner des coups à des hommes à terre avec leur matraque, sous les barbelés de la frontière entre Nador et Melilla au Maroc. Ces images ont été dévoilées par l’AMDH (Association Marocaine des Droits Humains, dans la section de Nador, ville marocaine limitrophe de Melilla), et authentifiées par le New York Times.
La mort d’au moins 23 Africains à la frontière entre le Maroc et l’enclave espagnole de Melilla, le 24 juin 2022, rend nécessaire l’ouverture d’une enquête indépendante et impartiale capable d’en éclaircir les circonstances exactes et de déterminer qui porte la responsabilité de telles pertes en vies humaines, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Ces décès sont survenus lors d’une tentative de la part de près de 2 000 personnes d’entrer en Espagne en escaladant les hautes clôtures à mailles métalliques qui entourent Melilla, l’une des deux enclaves espagnoles en Afrique du Nord. Une enquête indépendante et impartiale devrait permettre d’établir les causes des décès et de déterminer si les forces de sécurité portent la responsabilité de ces pertes en vies humaines, dans l’optique d’assurer qu’elles répondent de leurs actes et que justice soit rendue aux familles des victimes.
« Des vidéos et des photos montrent des corps gisant sur le sol dans des mares de sang, les forces de sécurité marocaines frappant des gens et leur donnant des coups de pied, et la Guardia Civil espagnole tirant du gaz lacrymogène sur des hommes accrochés aux clôtures », a déclaré Judith Sunderland, directrice adjointe par intérim de la division Europe et Asie centrale de Human Rights Watch. « Les dirigeants espagnols, marocains et de l’Union européenne devraient condamner cette violence et s’assurer que des enquêtes efficaces et impartiales soient menées, afin de rendre justice aux personnes qui ont perdu la vie. »
Human Rights Watch se fait l’écho des appels lancés par des organisations marocaines et espagnoles, par la Haute Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, et par l’Union africaine en faveur de l’ouverture d’une enquête. Le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, a appelé à une « une enquête immédiate » et a rappelé l’obligation des pays, au regard du droit international, « de traiter tous les migrants avec dignité et de prioriser leur sécurité et leurs droits humains, tout en s’abstenant de recourir à une force excessive ».
Des informations selon lesquelles les autorités marocaines pourraient organiser à la hâte des enterrements collectifs sont profondément préoccupantes, a déclaré Human Rights Watch. Le 26 juin, l’Association marocaine des droits humains (AMDH) a publié sur Twitter deux photos de ce qu’elle estime être entre 16 et 21 tombes en train d’être creusées , au cimetière de Sidi Salem, dans les faubourgs de Nador, la ville marocaine située sur la frontière en face de Melilla. La première de ces photos a été postées sur Twitter par l’AMDH à 13h01, heure locale, le 26 juin.
Se basant sur l’examen de ces photos, Human Rights Watch a pu identifier au moins 10 tombes individuelles fraîchement creusées. Le quotidien espagnol El País a obtenu une photo du même site d’enterrement, qu’il a publiée le 26 juin. En comparant la forme du périmètre du cimetière, ainsi que les bâtiments, les arbres et le paysage situés en arrière-plan avec des images satellite, Human Rights Watch a pu vérifier de manière indépendante que le lieu exact des tombes est bien le cimetière de Sidi Salem.
Des images satellite recueillies le 27 juin 2022 montrent de récentes perturbations dans le sol sur le lieu des tombes fraîchement creusées, identifiées sur les photos examinées par Human Rights Watch. Ces éléments n’étaient pas visibles sur des images satellite enregistrées le 23 juin, la veille de l’incident. La préservation des éléments de preuve est essentielle pour assurer la tenue d’une enquête exhaustive. À cette fin, il est d’une importance vitale que les autorités marocaines fassent tous les efforts possibles pour préserver les corps, de manière digne et appropriée, pour permettre d’effectuer des autopsies et de vérifier les causes des décès, a déclaré Human Rights Watch.
Les autorités devraient également faire tout leur possible pour identifier les morts et informer leurs familles, a ajouté Human Rights Watch. Une fois accomplie la collecte des preuves médico-légales relatives aux blessures ou aux causes de décès qui puissent être pertinentes dans le cadre de l’enquête, il incombe au Maroc d’organiser la remise des corps des personnes décédées à leurs familles en vue d’enterrements conformes à leurs souhaits. Et les survivants méritent des soins médicaux et un soutien psychosocial – de santé mentale – appropriés.
Tôt dans la matinée du 24 juin, entre 1 300 et 2 000 hommes, pour la plupart originaires du Soudan ou du Soudan du Sud, selon les médias, ont tenté d’escalader la clôture à mailles métalliques haute de 6 à 10 mètres qui sépare les territoires marocain et espagnol. Les autorités marocaines, ainsi que certains observateurs indépendants, affirment que certains de ces hommes étaient armés et violents, et que des personnes sont mortes piétinées lors d’une bousculade ou en tombant alors qu’ils essayaient d’escalader la clôture.
Toutefois, des vidéos montrent les forces de sécurité marocaines recourant à une force excessive, notamment à des passages à tabac, et des préoccupations existent aussi concernant l’attitude de la police (Guardia Civil) espagnole de l’autre côté de la frontière.
Des séquences vidéo prises par l’AMDH au Maroc et analysées par le New York Times montrent un agent de la sécurité marocaine frappant des hommes qui sont à l’évidence déjà blessés et allongés sur le sol et un autre agent jetant un corps inerte sur une pile de personnes.
Des enquêtes crédibles sur ce qu’il s’est réellement passé devraient inclure des experts et des observateurs internationaux afin de mettre l’accent, à la fois en pratique et du point de vue de la perception, sur l’impartialité, l’indépendance et l’efficacité, a affirmé Human Rights Watch.
Les autorités locales ont confirmé que 23 personnes étaient mortes, tandis que l’AMDH estime ce nombre à 27, mais a aussi exprimé la crainte que ce bilan pourrait encore s’alourdir. Caminando Fronteras, une organisation espagnole, a calculé que jusqu’à 37 personnes ont perdu la vie. Des dizaines de blessés ont aussi été signalés.
Il y a également des indications selon lesquelles la police espagnole a sommairement renvoyé des centaines de personnes qui avaient réussi à franchir les clôtures et à rejoindre Melilla, qui est en territoire espagnol. Des sources officielles ont indiqué qu’environ 500 personnes avaient réussi à passer en Espagne, mais que 133 seulement étaient restées à Melilla. Le ministère de l’Intérieur a confirmé que « des refoulements à la frontière ont eu lieu », sans préciser combien. « Refoulement à la frontière » est le terme utilisé dans la législation espagnole pour désigner les renvois sommaires, effectués par des portes existant dans les clôtures qui entourent les enclaves de Ceuta et Melilla, sans aucune garantie procédurale ni i possibilité de demander l’asile. Cette pratique constitue une violation de la loi de l’UE et du droit international.
Des séquences vidéo filmées du côté espagnol des clôtures montrent des membres des forces de sécurité marocaines au milieu des agents de la Guardia Civil et des migrants. On y voit un agent marocain escorter un homme hors du champ de la caméra, pendant que le vidéaste raconte que les agents marocains sont en train d’arrêter des gens en territoire espagnol.
Quoique le Premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, ait accusé les « mafias », les terribles événements du 24 juin sont une conséquence prévisible du fait que l’Espagne met l’accent sur la dissuasion et externalise le contrôle de la frontière tout en fermant les yeux sur les abus commis par le Maroc contre les migrants et les réfugiés. En avril, l’Espagne et le Maroc ont renouvelé leur accord de coopération en matière de migration, après une période de tension diplomatique entre les deux pays. Cet accord enracine un modèle générateur d’abus qui a servi d’esquisse pour l’approche du problème de la migration et de l’asile par l’UE.
Les frontières autour de Ceuta et Melilla, les deux enclaves espagnoles, sont parmi les plus fortifiées d’Europe. Au cours des années, des migrants et des demandeurs d’asile africains ont eu recours à des tentatives d’escalade, en masse, des clôtures qui entourent ces enclaves, du fait de l’absence de voies de migration sures et légales et de des obstacles à l’accès des postes frontières officiels.
Les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois exigent que ces responsables, notamment les garde-frontières, utilisent des moyens non violents avant de recourir à la force, à n’utiliser la force que de manière proportionnée à la gravité de l’infraction, et de n’utiliser la force létale que lorsque c’est strictement inévitable afin de protéger la vie. Ces principes stipulent également que les gouvernements doivent s’assurer que le recours arbitraire ou abusif à la force et aux armes à feu par les responsables de l’application des lois soit puni en tant qu’infraction criminelle aux termes de leur loi.
La Cour européenne des droits de l’homme a affirmé clairement, dans le cadre de plusieurs affaires relatives au contrôle des frontières, que si les États sont fondés à prendre des mesures pour empêcher les entrées non autorisées sur leur territoire, y compris le recours à la force, la nécessité de contrôler les frontières ne peut justifier le recours à des pratiques ou à l’usage de la force d’une manière qui constitue une violation des droits humains, y compris le droit à la vie et le droit de ne pas subir de traitement inhumain ou dégradant.
« De l’autre côté de l’Europe, des réfugiés ukrainiens sont, à juste titre, accueillis à bras ouverts mais ici, et ailleurs le long des frontières de l’Europe, on constate un total mépris pour la vie des personnes noires », a affirmé Judith Sunderland. « Les tentatives d’escalade en masse des clôtures qui entourent Melilla posent des problèmes de sécurité, mais elles ne peuvent en aucun cas justifier les violences auxquelles nous venons d’assister. Les hommes qui sont morts, ainsi que les survivants, méritent qu’une enquête crédible soit ouverte et que les responsables de ces violences soient tenus de rendre des comptes. »
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