Spectre de l’anarchie au Mali avec la demande du retrait des soldats onusiens
À l'heure de l'intelligence artificielle, l'accès à des faits vérifiables est crucial. Soutenez le Journal Chrétien en cliquant ici.En demandant le départ sans délai des soldats de maintien de la paix de l’Onu, le Mali a sonné la fin subite d’une mission ayant éprouvé des difficultés à protéger les civils et ses propres troupes au cours d’une décennie et a alimenté les craintes d’une plongée plus profonde dans le chaos, entre insurrection islamiste et possible regain d’un mouvement séparatiste.
Depuis que la junte en place à Bamako a fait appel au groupe paramilitaire russe Wagner en 2021, la mission onusienne connue sous le nom de Minusma a été entravée par des restrictions sur ses opérations aériennes et terrestres, limitant son efficacité face aux violences des groupes insurgés, qui se sont répandues à travers l’Afrique de l’Ouest ces dernières années.
Malgré cela, la Minusma, qui compte quelque 13.000 soldats, est parvenue à protéger des villes du nord du pays, dont Gao et Tombouctou, encerclées par des combattants islamistes. Elle effectue aussi des patrouilles dans les camps de déplacés, cibles d’attaques fréquentes, et procède à des évacuations médicales pour l’armée malienne, sous-équipée.
Les troupes onusiennes ont par ailleurs contribué à contenir les rebelles touaregs, qui ont stoppé leur mouvement séparatiste dans le nord du pays dans le cadre de l’accord de paix d’Alger en 2015.
On ne sait pas dans l’immédiat quand les soldats de l’Onu quitteront le Mali à la suite de la demande inattendue formulée vendredi par le gouvernement local.
Une fois ce retrait effectif, Bamako devra faire face seul – avec le soutien d’environ 1.000 membres de Wagner – aux insurgés liés au groupe Etat islamique (EI) et à Al Qaïda, qui ont tué des milliers de civils et de soldats, et qui contrôlent de vastes parties désertiques du nord et du centre du pays.
« DISCRÉDITÉS »
« Si vous partez, vous laissez place à l’anarchie et la guerre, particulièrement contre les civils et les plus faibles », a commenté vendredi Ahmedou Ould-Abdallah, ex-chef de la diplomatie mauritanienne et ancien haut représentant de l’Onu en Afrique de l’Ouest.
« Si vous restez, vous êtes quasiment discrédités », a ajouté celui qui dirige désormais un centre régional de réflexion.
Un porte-parole de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), qui réunit les principaux groupes rebelles touaregs du nord du Mali, a déclaré qu’un retrait de l’Onu serait prématuré car l’accord de paix n’a pas encore été complètement mis en oeuvre et car cela menacerait la stabilité de l’ensemble du Sahel.
La CMA n’a toutefois pas encore décidé d’une position officielle, a-t-il ajouté.
Les relations entre la junte, au pouvoir à la faveur de deux coups d’Etat en 2020 et 2021, et l’Onu se sont détériorées au fil du temps.
Bamako pressait la Minusma d’avoir un rôle plus actif dans la lutte contre la menace islamiste, ce qui, selon l’Onu, ne fait pas partie de son rôle. Des représentants onusiens réclamaient, eux, davantage de latitude pour protéger les civils et pour enquêter contre des violations des droits humains dont les insurgés, l’armée et, plus récemment, les mercenaires de Wagner sont accusés.
Un point de rupture a été atteint le mois dernier avec la publication par des enquêteurs de l’Onu d’un rapport accusant l’armée malienne et des « hommes blancs armés » d’avoir massacré 500 personnes dans la localité de Moura, dans le centre du pays, en mars 2022.
Les autorités maliennes, la Russie et le groupe Wagner nient toute inconduite à Moura et assurent ne cibler aucun civil au Mali.
RESTRICTIONS
Par le passé, l’Onu a régulièrement déclaré que les restrictions imposées par la junte malienne l’empêchaient de réaliser sa mission, déplorant les refus – ou la lenteur – des autorités lorsqu’il s’agissait de permettre à la Minusma de se rendre dans des zones de combat, avec pour effet de limiter sa capacité à protéger les civils ou à enquêter rapidement sur des abus présumés.
Le gouvernement malien et l’armée malienne n’ont pas répondu à des demandes de commentaire.
Si des diplomates occidentaux et africains ont appelé cette année à des changements, frustrés par les restrictions fixées par Bamako, le secrétaire général de l’Onu a rejeté la semaine dernière une proposition pour renforcer le contingent de la Minusma, comme le demandaient des pays ouest-africains, de même qu’une proposition distincte pour la transformer en simple mission politique.
Antonio Guterres a choisi de prolonger le mandat de la Minusma quasiment à l’identique avec comme rares changements, notamment, la fermeture de petites bases dans le nord du Mali.
Le gouvernement malien a rejeté toutes les propositions via un communiqué publié mercredi dernier. Deux jours plus tard, le ministre des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, a déclaré lors d’une réunion du Conseil de sécurité de l’Onu qu’il y avait une « crise de confiance entre les autorités maliennes et la Minusma », demandant à celle-ci de quitter le pays sans délai.
Il était initialement attendu que le Conseil de sécurité prolonge le mandat de la Minusma avant que celui-ci n’expire le 30 juin. On ne sait pas dans l’immédiat si un tel vote aura lieu, ni le possible calendrier d’un retrait ordonné de la Minusma si son mandat venait à prendre fin.
Réagissant vendredi devant des journalistes à l’annonce de Bamako, le chef de la Minusma a déclaré que les soldats de maintien de la paix pouvaient seulement opérer avec le consentement du pays hôte. Sans cela, la mission est « impossible », a ajouté El-Ghassim Wane.
La Minusma joue toujours un rôle important au Mali, où son budget d’un milliard de dollars a permis la création de milliers d’emplois et d’installer des éclairages de rue et des commissariats, entre autres, alors que l’économie locale est plombée par des sanctions imposées par les pays voisins en réponse aux coups d’Etat.
Elle a aussi contribué à l’organisation d’un référendum constitutionnel dimanche, lequel doit ouvrir la voie à une élection présidentielle l’an prochain.
(Reportage Edward McAllister à Dakar et David Lewis à Nairobi, avec Tiemoko Diallo à Bamako; version française Jean Terzian)