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Quand la France cible la désinformation russe en Afrique

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par John Irish, Elizabeth Pineau et Bate Felix

PARIS/DAKAR (Reuters) – Après l’assassinat par des hommes armés, en mars, de neuf ressortissants chinois dans une mine d’or de la République centrafricaine, une vidéo a circulé sur internet accusant la France d’avoir secrètement commandité cette attaque et de vouloir discréditer les activités de la milice russe Wagner dans le pays.

Sur le petit film de piètre qualité, que Reuters a pu visionner avant qu’il ne disparaisse des réseaux, un Centrafricain se présentant comme un rebelle affirme que « les Français veulent chasser Wagner de l’Afrique ».

Ce message a attiré l’attention du nouveau service du ministère français des Affaires étrangères lancé dans le cadre d’une vaste offensive diplomatique visant notamment à contrer sa perte d’influence en Afrique, en particulier dans son ancien pré-carré de l’Ouest.

Selon le récit de deux diplomates, le Quai d’Orsay a rapidement fait le lien entre cette vidéo et des comptes Facebook et Twitter connus pour relayer des campagnes de désinformation russes impliquant notamment Wagner, organisation paramilitaire proche du Kremlin active en Ukraine et en Afrique, au service de plusieurs gouvernements.

Une illustration de plus de la campagne russe visant à amplifier les critiques anti-France tout en présentant Moscou comme un allié des pays d’Afrique centrale et occidentale, estiment les mêmes sources, alors que le Quai d’Orsay a nié toute implication dans l’attaque meurtrière de la mine.

Ni le groupe Wagner, ni le Kremlin, ni les autorités centrafricaines n’ont répondu aux demandes de commentaire de Reuters à ce sujet.

La propagande russe a trouvé un terrain fertile sur un continent où les griefs ne manquent pas à l’égard de Paris, régulièrement mise en cause pour ses interventions militaires et sa diplomatie parfois jugée autoritaire, estiment des responsables interrogés par Reuters.

Face à cela, une douzaine de responsables français ont décrit à Reuters la contre-offensive tricolore visant à répliquer à la guerre d’influence opérée par Moscou.

UNE CENTAINE DE COMPTES IDENTIFIÉS

Installée sous les ors du palais du XIXe siècle abritant le ministère sur les bords de Seine, la sous-direction de la veille et de la stratégie née en juillet compte une vingtaine d’agents – diplomates, anciens journalistes, analystes de données, spécialistes des médias – installés devant un écran d’ordinateur dans une pièce équipée de téléviseurs, comme Reuters a pu le constater lors de sa visite.

En lien étroit avec le Service technique et opérationnel de l’État chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques (Viginum), la nouvelle entité a identifié une centaine de comptes russes ou liés à Wagner diffusant des contenus anti-français dans le monde, selon les deux diplomates au fait de ses activités qui ont requis l’anonymat afin d’être en mesure de s’exprimer librement.

La Russie et Wagner sont régulièrement accusés de manipulation médiatique et de désinformation notamment de la part de l’Union européenne, qui a sanctionné le groupe paramilitaire sur ce thème en février.

Lors d’une intervention début juin au Sénat, la cheffe de la diplomatie française, Catherine Colonna, a lié le sentiment anti-français en Afrique à des « acteurs hostiles, venant en particulier de Russie ».

Ce sentiment ne peut cependant être uniquement imputé au pays présidé par Vladimir Poutine. Les interventions militaires françaises ont causé la mort de civils et les réseaux sociaux se font régulièrement l’écho de griefs quant à l’attitude intrusive de Paris en terre africaine.

« Une partie [des critiques] sont fondées. Parce qu’on a beaucoup trop attendu de la France et parce que la France a parfois laissé croire qu’elle pouvait tout régler, ce qui n’est pas sain », a déclaré Emmanuel Macron à Reuters en mars à Kinshasa, dernière étape de sa tournée en Afrique centrale.

« Je suis triste pour les populations mais on n’est pas là pour se substituer ni à un coup d’Etat ni à un processus politique défaillant », a-t-il aussi déclaré.

En mai, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a accusé Paris d’interférer « depuis des décennies » dans les affaires intérieures de pays africains, dénonçant un « système d’influence néo-colonial ». La Russie, elle, ne s’immisce pas dans les affaires des autres pays, a-t-elle ajouté.

Les activités du service du Quai d’Orsay diffèrent d’une précédente stratégie française, révélée par Meta en 2020, consistant à riposter en ligne à Wagner par l’intermédiaire de faux comptes. Selon les deux diplomates, la nouvelle sous-direction ne génère pas de fausse informations.

RETRAIT

Au moment de la création du service du Quai d’Orsay, la France retirait ses troupes du Mali, avant de faire de même au Burkina Faso dans un contexte mêlant coups d’Etat et regain d’activisme de Wagner. Un revers diplomatique pour Emmanuel Macron et un échec pour les pays occidentaux dans leur tentative de lutter contre les insurrections islamistes.

Depuis ce retrait, la publication de messages numériques hostiles à la France s’est poursuivi et même intensifié, propageant des informations biaisées ou fausses, ont rapporté les deux diplomates et quatre autres personnes interrogées par Reuters.

Les nouveaux gouvernements militaires au Mali et au Burkina Faso ont expulsé des médias français tandis que l’activité de la chaîne Russia Today et d’autres médias d’État russe chassés d’Europe après le début de la guerre en Ukraine s’est au contraire intensifiée. Ce conflit a en outre ravivé des différends diplomatiques entre les pays occidentaux et la Russie, présente en Afrique depuis la Guerre froide.

La vidéo sur la mort des Chinois fait partie d’une cinquantaine d’autres analysées depuis novembre par le service du Quai d’Orsay dont le travail consiste à vérifier les contenus, les provenances et élaborer d’éventuelles réponses.

Preuve de l’ampleur du phénomène, la France a fait état le 13 juin d’une campagne numérique de désinformation impliquant des entités étatiques ou affiliées à l’Etat russe. Moscou n’a pas répondu publiquement à ces accusations.

L’équipe échange au quotidien des informations avec les ambassades, d’autres ministères français et des agences de renseignement.

Dans la plupart des cas, y compris celui de la vidéo tournée en République centrafricaine, l’unité juge inutile de répondre directement, surtout si la diffusion du message est faible. En cas de propagation virale, elle identifie les utilisateurs les plus actifs et prévient les géants des réseaux comme Facebook et Twitter, expliquent encore les deux diplomates français.

Elle conduit aussi parfois l’État à réagir comme lors de l’apparition, en décembre 2022, d’une vidéo intitulée « Humiliation française » montrant un homme faussement présenté comme un diplomate français expulsé de République démocratique du Congo (RDC).

L’unité a répliqué point par point et diffusé à Kinshasa une réponse à destination des médias locaux. Anne-Sophie Avé, ambassadrice pour la diplomatie publique en Afrique, a réagi sur son compte Twitter officiel : « Le monsieur sur la vidéo n’est pas notre ambassadeur en RDC », a-t-elle écrit.

Autre exemple : quand l’ambassade de France au Burkina Faso a été la cible d’un incendie allumé par des manifestants en octobre, Catherine Colonna est intervenue pour démentir publiquement toute implication de Paris dans le coup d’État alors en cours.

    PRIGOJINE

Selon les deux diplomates, la vidéo de RCA porte la marque du projet Lakhta, opération de désinformation anti-occidentale financée par le fondateur de Wagner, Evguéni Prigojine.

Toujours d’après les responsables français, cette vidéo est apparue pour la première fois sur Sango Ti Be-Afrika, une page Facebook qui promeut la politique du gouvernement de la Centrafrique et la coopération entre Moscou et Bangui.

Sango Ti Be-Afrika avait précédemment été identifié par Viginum comme un outil de Lakhta pour cibler la France. La vidéo a ensuite été tweetée par deux analystes militaires décrits comme proches du projet Lakhta, qui publient régulièrement du contenu pro-Wagner, ont ajouté les mêmes sources.

Selon des documents du renseignement militaire américain mis en ligne cette année et consultés par Reuters, un employé de Prigojine travaillant également pour le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra a proposé en février de lancer une campagne d’influence anti-occidentale dans le pays, où la Russie compte désormais près de 2.000 formateurs militaires.

Evguéni Prigogine, qui n’a pas répondu à une demande de commentaire, a annoncé en février la création de l’Agence de recherche Internet, ferme de trolls du projet Lakhta visant à lutter contre ce qu’il qualifie de propagande anti-russe de l’Occident.

Meta, propriétaire de Facebook, a supprimé la page Sango ti Be-Africa après avoir été interrogé par Reuters à son sujet en invoquant son règlement contre la récidive, le propriétaire ayant été précédemment retiré de ses plates-formes. Reuters n’a pas été en mesure d’identifier des représentants de Sango ti Be-Africa pour commenter ces informations.

Meta publie régulièrement des rapports sur ses actions contre l’ingérence de certains gouvernements, ce qui l’a conduit à fermer cette année des réseaux au Burkina Faso et au Togo. En 2020, il a suspendu les réseaux connectés à des individus associés à des activités de l’Agence de recherche sur Internet avant une élection en République centrafricaine, selon un communiqué publié sur son site Internet.

« MALADRESSES »

Depuis le retrait du Mali en 2022 et du Burkina Faso en 2023, et dans le cadre de sa nouvelle offensive diplomatique, la France a décidé de réorganiser sa présence militaire en Afrique pour adopter une approche plus coopérative.

Elle a également modifié son agenda économique, culturel et social en vertu des nouvelles consignes données par Emmanuel Macron à son arrivée au pouvoir en 2017. A savoir modifier l’image négative de la France héritée des temps coloniaux tout en s’intéressant à des zones du continent africains moins explorées par la France, où son image n’est pas ternie.

Beaucoup reste à faire pour convaincre les Africains que la France a changé, ont déclaré à Reuters une demi douzaine de diplomates et d’analystes.

« Ils ont essentiellement perdu la guerre de la communication » en raison du degré de cynisme et de méfiance à l’égard des intentions de la France, a déclaré Michael Shurkin, directeur des programmes mondiaux chez 14 North Strategies.

L’impression que la France cherche à influencer la vie politique africaine en apportant son soutien à certains dirigeants est toujours d’actualité, même si Paris s’en défend.

« Je ne dis pas que Macron est arrogant envers l’Afrique, mais il y a beaucoup de maladresses », a dit à Reuters à Libreville Jean Gaspard Ntoutoume Ayi, vice-président de l’Union nationale, un parti d’opposition gabonais.

Les élections au Sénégal en 2024 et en Côte d’Ivoire en 2025, potentiellement génératrices de contenu anti-français, mettront à l’épreuve la contre-offensive tricolore.

« Si les gens ne sont pas d’accord, ils doivent pouvoir s’exprimer », a déclaré un responsable français impliqué dans la stratégie en Afrique. « Il faut distinguer ce qui est dans le débat public et ce qui relève de la manipulation. Ensuite, il faut expliquer, expliquer, expliquer ».

(Reportage Elizabeth Pineau et John Irish à Paris, Bate Felix à Dakar, avec la contribution de Michel Rose, édité par Kate Entringer)

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