Le gouvernement Barnier sous la pression du RN et des marchés
À l'heure de l'intelligence artificielle, l'accès à des faits vérifiables est crucial. Soutenez le Journal Chrétien en cliquant ici.par Elizabeth Pineau et Michel Rose
PARIS (Reuters) – Michel Barnier a longtemps été sous-estimé, assurent ceux qui le connaissent bien, citant le surnom dont l’ancien président Jacques Chirac avait affublé le nouveau Premier ministre, né dans les Alpes : le « moniteur de ski ».
Bien que dans une situation politiquement fragile, son gouvernement composé essentiellement d’élus du centre et de la droite et soumis au bon vouloir du Rassemblement national (RN) à l’Assemblée nationale pourrait ainsi résister, estiment des sources politiques et des analystes interrogés par Reuters.
Alors que l’alliance de gauche Nouveau Front populaire (NFP) – en tête au second tour des élections législatives anticipées mais dont la « candidate » Lucie Castets n’a pas été choisie pour Matignon au nom de la « stabilité » – promet de contrer l’équipe Barnier à la première occasion, le choix du RN de ne pas la censurer « a priori » a mis l’extrême droite en position d’arbitre.
Premier défi d’un gouvernement élaboré dans la douleur : faire adopter le budget 2025 au Parlement avant la fin de l’année. Michel Barnier devrait dévoiler les pistes gouvernementales lors de son discours de politique générale, mardi devant les députés.
Même si les discussions s’annoncent ardues sur la manière de résorber un déficit public abyssal – attendu à plus de 6% du PIB en 2024 -, à un moment où la France subit la double pression de l’Union européenne et des marchés obligataires, les observateurs doutent que Marine Le Pen se risque à paralyser le pays en bloquant le projet de loi de Finances.
« Le RN n’a pas intérêt à faire tomber le gouvernement tout de suite », estime le député écologiste Pouria Amirshahi, évoquant notamment la perspective de la présidentielle de 2027. « Ils veulent se préparer tranquillement à gouverner, ils ne sont pas dans l’impatience, c’est toute la stratégie de Marine Le Pen depuis 2022, le calme, l’apparence de stabilité. Dans huit mois ou dans deux ans, on verra, les évènements décident. »
Autre frein pour Marine Le Pen, double finaliste de l’élection présidentielle : l’ouverture lundi, pour deux mois, du procès de 27 cadres du RN, dont elle-même, accusés d’avoir détourné des fonds européens pour rémunérer des collaborateurs travaillant pour le parti.
« Michel Barnier est bien conscient des calculs de Le Pen et du fait qu’elle détient la clé de son avenir politique. Le RN ne se retourne pas contre lui », analyse Christopher Dembik, économiste à la banque suisse Pictet.
« Ils recherchent la respectabilité, donc pour eux, jouer un rôle de partenaires dans l’élaboration du budget fait très clairement partie de leur stratégie électorale », estime l’expert, qui voit le gouvernement Barnier survivre au moins jusqu’à l’été 2025.
« NOUS JUGERONS SUR PIÈCES », DIT LE RN
L’alliance tacite entre le Premier ministre et l’extrême droite s’est crûment révélée cette semaine à la faveur d’une polémique née des propos du nouveau ministre des Finances de 33 ans, Antoine Armand, qui a laissé entendre sur France Inter qu’il n’incluait pas le RN dans « l’arc républicain » et ne le consulterait donc pas sur le futur budget.
Marine Le Pen et ses lieutenants ont fait part de leur colère, en termes peu diplomatiques, déclenchant une réaction immédiate de Michel Barnier, qui a décroché son téléphone pour rassurer la patronne des députés RN et recadrer son ministre. Ce dernier a finalement convié aux discussions tous les partis sans exception.
« Si le Premier ministre est malin, il va au moins dire des choses qui ne froissent pas. Nous jugerons sur pièces, nous ne sommes pas là pour causer le chaos », affirme le député RN Laurent Jacobelli. « Nous sommes la première force politique du pays, aucune loi, aucune motion de censure ne pourra passer sans nous. »
MALAISE DANS LE CAMP PRÉSIDENTIEL
L’épisode, qui témoigne de l’équilibrisme permanent imposé à Michel Barnier, a engendré un vrai malaise au sein du camp présidentiel et chez ses alliés centristes du MoDem, où l’on rappelle qu’un Front républicain s’est constitué entre les deux tours des législatives pour empêcher l’extrême droite d’accéder au pouvoir.
« Que le Premier ministre appelle madame Le Pen pour lui dire ‘je m’excuse si mon ministre de l’Economie vous a blessée’, moi ça me choque », lâche Erwan Balanant, député MoDem, dans les couloirs de l’Assemblée.
Malgré ses mises en garde sur les risques d’une collusion avec l’extrême droite et la nécessité de préserver l’héritage de sept ans de ‘macronisme’ en évitant par exemple d’augmenter les impôts, le camp présidentiel a peu de marge de manoeuvre.
Les coûts d’emprunt de la France sont désormais comparables à ceux de l’Espagne, signe que les marchés financiers s’inquiètent de la capacité de Paris à réduire son endettement.
« La classe politique française est totalement indifférente au fait que la France n’est plus considérée comme l’un des emprunteurs les plus sûrs de la zone euro », relève Christopher Dembik. « Les réformes économiques de Macron étaient bonnes, mais son erreur a été de ne montrer aucun intérêt pour la question de la dette ».
Après avoir été au centre du jeu jusqu’à la nomination de Michel Barnier, Emmanuel Macron est désormais cantonné à ses domaines réservés que sont la politique étrangère et la défense au moins jusqu’à l’été prochain, date à laquelle il pourra théoriquement convoquer de nouvelles élections législatives.
Présent à New York cette semaine pour l’Assemblée générale des Nations Unies, le chef de l’Etat a pris le temps de rencontrer les dirigeants de grandes banques américaines comme Goldman Sachs et Morgan Stanley, a fait savoir l’Elysée.
La présidence n’a pas été précisé si Emmanuel Macron avait réussi à les convaincre que la France restait économiquement attractive.
(Reportage Elizabeth Pineau et Michel Rose)
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