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Qu’adviendra-t-il des chrétiens de Syrie sous le régime de Hayat Tahrir al Cham?

Depuis qu’ils ont pris le contrôle d’Alep, les dirigeants du groupe islamiste sunnite Hayat Tahrir al-Cham (HTS) prônent la tolérance à l’égard des minorités religieuses en Syrie. Si les chrétiens, les druzes et les alaouites ont été épargnés jusqu’à présent, l’idéologie et l’histoire de HTS indiquent que des risques mortels se cachent probablement derrière la rhétorique diplomatique.

Depuis qu’il a repris le contrôle de la ville d’Alep la semaine dernière, pour la première fois depuis huit ans, le groupe islamiste sunnite Hayat Tahrir al-Cham (HTS) diffuse un message de tolérance. Selon les djihadistes, les chrétiens et les autres minorités religieuses comme les druzes et les alaouites n’ont rien à craindre.

Le département des Affaires politiques du « Gouvernement de salut syrien » de HTS a publié plusieurs déclarations à cet effet, assurant aux civils qu’ils « resteront à l’abri de tout ciblage ou de toute menace fondée sur l’appartenance religieuse ou ethnique ». Les contacts de CSI à Alep confirment que, jusqu’à présent, les chrétiens et les minorités religieuses ont été bien traités par HTS et ses alliés.

Le commandant rebelle de haut rang Abu Mohammed al-Golani s'adresse à une foule à la mosquée des Omeyyades à Damas, après que les rebelles syriens ont annoncé avoir renversé le président Bachar al-Assad, en Syrie. /Photo prise le 8 décembre 2024/REUTERS/Mahmoud Hassano/Photo d'archives

Le commandant rebelle de haut rang Abu Mohammed al-Golani s’adresse à une foule à la mosquée des Omeyyades à Damas, après que les rebelles syriens ont annoncé avoir renversé le président Bachar al-Assad, en Syrie. /Photo prise le 8 décembre 2024/REUTERS/Mahmoud Hassano/Photo d’archives

Cependant, l’idéologie et l’histoire de HTS donnent aux minorités religieuses d’Alep de sérieuses raisons de douter de ces promesses. HTS et ses prédécesseurs combattent en Syrie depuis treize ans ; dans le gouvernorat syrien d’Idlib, ils sont au pouvoir depuis 2015.

Le bilan de HTS montre ce à quoi les minorités religieuses peuvent s’attendre.

Trois groupes minoritaires clés en Syrie

Les alaouites, les druzes et les chrétiens constituent les trois principales minorités religieuses menacées en Syrie.

Les alaouites et les druzes sont des minorités musulmanes que les djihadistes considèrent comme hérétiques. Ces deux groupes comptaient, entre autres, sur le gouvernement syrien pour les protéger des attaques djihadistes. Historiquement, les alaouites soutenaient le président syrien Bachar al-Assad, également alaouite, ce qui ajoute à la tension politique avec HTS.

Les chrétiens ne sont pas considérés comme des hérétiques, mais plutôt comme une classe assujettie et protégée selon l’idéologie de HTS. Dans la pratique et le passé, cependant, HTS a souvent ciblé les chrétiens dans toute la Syrie lors d’attaques et d’enlèvements, tuant à plusieurs reprises des civils chrétiens et confisquant leurs biens. Depuis 2012, la grande majorité des chrétiens qui vivaient à Alep ou à Idlib pendant les périodes où les djihadistes étaient au pouvoir ont fui.

Les alaouites

Les alaouites, une secte musulmane minoritaire considérée comme hérétique par de nombreuses autorités musulmanes sunnites, représentent environ 10 % de la population syrienne. Au cours de l’histoire, ils ont été marginalisés dans l’Empire ottoman et dans l’État indépendant de Syrie, jusqu’à ce qu’un trio d’officiers militaires alaouites prenne le pouvoir en Syrie en 1963. L’un d’entre eux, le colonel Hafez al-Assad, a dirigé la Syrie de 1970 à 2000.

Mohamed al Bachir a été nommé Premier ministre d'un gouvernement de transition en Syrie avec le soutien des groupes qui ont renversé le président Bachar al Assad dimanche. /Image diffusée le 10 décembre 2024/AL ARABIYA TV/REUTERS

Mohamed al Bachir a été nommé Premier ministre d’un gouvernement de transition en Syrie avec le soutien des groupes qui ont renversé le président Bachar al Assad dimanche. /Image diffusée le 10 décembre 2024/AL ARABIYA TV/REUTERS

Hafez al-Assad, le père du président déchu Bachar al-Assad, a associé la foi alaouite à l’islam chiite, plus répandu, et son gouvernement a normalisé les expressions visibles du chiisme en Syrie ; c’était une association considérée comme essentielle au soutien de l’Iran au régime syrien. Les alaouites ont largement soutenu le gouvernement syrien pendant la guerre civile actuelle, craignant qu’une victoire des rebelles n’entraîne une vengeance de la population majoritairement sunnite qui détruirait leur communauté.

Le 4 décembre 2024, HTS a publié une déclaration à l’intention de la communauté alaouite, lui demandant de « faire partie de la Syrie de demain », mais exigeant qu’elle « se détache de ce régime et rejoigne la vraie cause, afin de corriger les erreurs du passé ».

Mais dans le passé, les dirigeants de HTS ont adopté un ton très différent. Abou Mohammad al-Jolani, le chef de HTS et de l’organisation qui l’a précédée, Jabhat al-Nosra, avait déclaré en 2015 que les alaouites ne pourraient bénéficier de la « miséricorde » que s’ils « renonçaient » à leur religion et se convertissaient à l’islam. En 2016, le plus haut responsable religieux de Jabhat al-Nosra avec dit à propos des alaouites : « La terre doit en être purgée. »

Tout au long de la guerre civile, des groupes djihadistes comme Jabhat al-Nosra ont ciblé les alaouites. En 2013, les forces rebelles dirigées par Jabhat al-Nosra ont massacré et enlevé des centaines de civils alaouites dans la région de Lattaquié.

À la lumière de ces antécédents de violence et de menaces, les nouvelles assurances de sécurité données par HTS sont désagréablement vagues.

Les druzes

Les druzes, ou muwahhidun (« unitaires ») comme ils se nomment eux-mêmes, sont une autre secte musulmane minoritaire, représentant peut-être 5 % de la population syrienne.

Comme les alaouites, les djihadistes considèrent les druzes comme des hérétiques méritant la mort. Taqi ad-Din Ahmad ibn Taymiyya, un érudit islamique du xiiie siècle vénéré par les djihadistes modernes, a déclaré que les druzes étaient des « hérétiques apostats » dont le « repentir n’est pas accepté ». Les hommes druzes doivent être tués, les femmes réduites en esclavage.

Sans surprise, les druzes ont souvent compté sur la protection du gouvernement syrien pendant la guerre civile. En 2014, Jabhat al-Nosra (aujourd’hui HTS) a enlevé, torturé et condamné à mort des combattants druzes qui avaient tenté de soutenir les forces rebelles de l’Armée syrienne libre (ASL). Bien que des médiateurs aient contribué à leur libération, l’incident a clairement montré que le mouvement rebelle ne s’accommoderait pas des druzes.

Contrairement aux alaouites, un grand nombre de druzes vivaient dans le gouvernorat d’Idlib avant la prise de contrôle par HTS. Selon une source, seuls 12 000 druzes y vivent aujourd’hui, contre 30 000 avant la guerre. Le groupe HTS a forcé ceux qui sont restés à se convertir officiellement à l’islam sunnite. Même dans ce cas, ils ne sont pas totalement en sécurité : vingt druzes ont été massacrés par des combattants de Jabhat al-Nosra en juin 2015, et de nombreuses familles druzes se sont vu confisquer leurs terres.

Ces dernières années, alors que HTS tentait de cultiver une image plus modérée, le chef Abou Mohammad al-Jolani s’est rendu à plusieurs reprises dans des villages druzes et a promis de protéger les habitants et de restaurer leurs biens. Mais les druzes sont toujours exposés au harcèlement et aux abus des combattants djihadistes à Idlib, et le HTS n’a pas supprimé l’obligation pour les druzes de se convertir à l’islam sunnite.

Les chrétiens

Avant le début de la guerre civile en Syrie, Alep était l’une des villes les plus chrétiennes du pays. Sur une population d’environ 2 millions d’habitants avant la guerre, environ 200 000 étaient chrétiens.

Aujourd’hui, seuls quelque 20 000 chrétiens vivent à Alep. Beaucoup de ceux qui sont partis ont fui entre 2012 et 2016, lorsque Jabhat al-Nosra et d’autres groupes djihadistes ont occupé l’est d’Alep, chassant les chrétiens de leurs maisons et bombardant les quartiers chrétiens de l’ouest d’Alep avec des attaques à la roquette. Ce n’est qu’après la reconquête de l’est d’Alep par le gouvernement en 2016 que les chrétiens ont pu vivre en sécurité dans la ville.

HTS et ses alliés ont également attaqué les chrétiens dans d’autres endroits de la Syrie. Tout au long de la guerre civile, les chrétiens ont été la cible d’enlèvements, d’attentats à la voiture piégée contre des églises et des quartiers chrétiens, et d’autres violences encore plus graves. En septembre 2013, les combattants de Jabhat al-Nosra ont envahi la ville sainte chrétienne de Maaloula dans les montagnes au nord de Damas, kidnappant des religieuses et chassant la population chrétienne. Lorsque les combattants d’al-Nosra et leurs alliés ont occupé la ville chrétienne de Sadad en octobre 2013, ils ont tué au moins quarante et un civils chrétiens et en ont utilisé d’autres comme boucliers humains.

Sans surprise, lorsque Jabhat al-Nosra et ses alliés ont conquis le gouvernorat d’Idlib en 2015, la quasi-totalité de la population chrétienne (dix mille personnes) a fui. D’autres ont été tués ou enlevés, et leurs biens ont été confisqués. Il ne reste aujourd’hui que trois cents chrétiens à Idlib.

Mais depuis 2015, les responsables ecclésiastiques du gouvernorat ont établi une relation de travail avec HTS et ses dirigeants. Ces dernières années, Abou Mohammed al-Jolani a commencé à se rendre régulièrement dans les villages chrétiens d’Idlib pour les rassurer. Les chrétiens qui sont restés à Idlib ont récupéré une partie, mais pas la totalité, de leurs biens confisqués.

Dans la vision salafiste du monde qui anime HTS, les chrétiens ne sont pas des hérétiques à détruire (comme les alaouites et les druzes), mais des « gens du Livre », c’est-à-dire des adeptes de religions révélées avant la venue du prophète Mahomet. Dans les pays gouvernés par l’islam, ils devraient être transformés en dhimmis, un peuple protégé qui est maintenu dans un état de soumission légale et qui paie un impôt supplémentaire appelé la jizya.

Jusqu’à présent, HTS a évité d’imposer le statut de dhimmi aux chrétiens d’Idlib en les qualifiant de musta’min, c’est-à-dire de résidents temporaires. Mais combien de temps HTS maintiendra-t-il cette distinction ?

Un test clé approche maintenant : les forces de HTS se dirigent vers la ville orthodoxe grecque de Muharda. Tout au long de la guerre, ses habitants ont résisté aux attaques des rebelles contre leur ville.

Le 5 décembre 2024, Abou Mohammed al-Jolani a publié un message à l’intention des habitants de Muharda, leur disant que « nous avons bien traité les fils de la religion chrétienne à Idlib et à Alep, et de la même manière, nous vous protégerons, vous et vos biens ».

Compte tenu de l’histoire de la guerre civile en Syrie et de la réalité de ce que les chrétiens d’Idlib et d’Alep ont vécu aux mains de HTS, il est peu probable que cette promesse soit crue. Et une rencontre violente entre HTS et les défenseurs chrétiens de Muharda pourrait ouvrir la voie à d’autres attaques contre les chrétiens, ancrées dans l’idéologie djihadiste.

Un avenir incertain pour les minorités religieuses sous l’égide de HTS

En 2018, Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie, observait : « Dans les zones tenues par les rebelles, l’homogénéité ethnique est de rigueur, et les chrétiens, les druzes et les chiites autochtones ont été contraints de partir ou de se convertir. »

Cela a été largement le cas jusqu’en novembre 2024. Mais avec cette nouvelle offensive, les djihadistes de HTS ont conquis une grande partie du territoire où vivent des dizaines de milliers de minorités religieuses. Ils s’apprêtent à avancer plus loin, sur des terres où vivent de nombreux alaouites, chrétiens et autres minorités religieuses.

À Alep, un calme précaire règne aujourd’hui. Même avec le répit des bombardements, alors que les personnes qui s’étaient réfugiées à l’intérieur commencent à sortir de leur cachette, nos contacts à Alep rapportent qu’ils vivent dans l’incertitude, au jour le jour, d’heure en heure, et ont un grand besoin de prière.

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