Pénurie de pasteurs en Suisse : la formation doit s’adapter
Adapter la formation des pasteurs et des diacres aux nouvelles réalités du monde ecclésial, telle est l’ambition d’un rapport écrit par le directeur de l’Office protestant de la formation Didier Halter. Ce dernier sera présenté à Morat entre les 13 et 15 novembre, à l’occasion de trois journées consacrées à la situation RH des Eglises protestantes et organisées par l’Eglise évangélique réformée du canton de Fribourg.
Les six Eglises réformées romandes y seront représentées, ainsi que les fédérations ecclésiales réformées de France, de Belgique et du Piémont. Dans un contexte de sécularisation où la pénurie de pasteurs se profle dangereusement, Didier Halter envisage plusieurs stratégies, qui prennent également en compte la diversification des profils des personnes qui choisissent encore de faire carrière en Eglise. Interview.
Votre rapport sur les perspectives de la formation professionnelle aux ministères (pastorat et diaconat) vise à proposer certaines modifications. Qu’est-ce qui ne fonctionne plus?
Les formations actuelles de pasteur ou de diacre correspondent à une ancienne vision, selon laquelle le principal travail du pasteur et du diacre consiste à répondre aux besoins religieux des personnes qui, même si elles ne font pas partie du noyau militant de la paroisse, ont des besoins spirituels qu’ils viennent combler en église. Or, ce postulat sociologique n’a plus cours, en raison de la sécularisation croissante de la société. La focalisation sur cet aspect du travail des ministres du culte est donc dépassée.
Quelles stratégies d’Eglise plus adaptées seraient donc à mettre en œuvre à présent?
Il s’agit maintenant de former pasteurs et diacres à créer des communautés de témoins, où les laïcs sont aussi les acteurs de la vie d’Eglise. Car pour le moment, quand le ministre est absent, c’est la panique.
Il existe aujourd’hui une grande confusion entre pasteurs et diacres, dont les tâches se mélangent sensiblement selon votre rapport. Est-ce un danger pour la relève du pastorat?
Cette confusion est très préoccupante, car elle brouille les limites entre les fonctions respectives du pasteur et du diacre, qui doivent être distinctes pour la vie de l’Eglise. En effet, le premier doit s’occuper de la communauté au travers de la prédication, tandis que le deuxième a pour fonction de pratiquer la diaconie. Cette confusion a cours depuis que des Eglises romandes, faute de pasteurs, ont commencé à engager des diacres à leur place. Mais que devient la dimension diaconale de l’Église si plus personne n’est formé spécifiquement à l’assurer, et si le pasteur doit s’en mêler à son tour?
Vous parlez également de l’apparition des ministères émergents, où des personnes laïques s’occupent notamment de thématiques pionnières, à l’image de l’Antenne LGBTI de l’Eglise protestante de Genève. Quel apport peuvent constituer ces ministères pour les Eglises?
Ces ministères représentent une vraie chance pour les Eglises. En effet, les gens qui les font vivre ont une autre vision ecclésiale et apportent des compétences qui n’existent pas chez les ministres. Le risque, en revanche, est de laisser ces personnes commencer à décharger les pasteurs de certaines activités, en assurant par exemple des services funèbres. La présence de ces animateurs d’Eglise ou laïcs permanents devrait avant tout servir à fédérer des communautés spécifiques.
Le profil des personnes qui choisissent d’entreprendre une carrière universitaire en théologie aurait beaucoup changé. En quoi précisément?
Le profil traditionnel de la personne qui entre en formation pastorale directement après des études universitaires de théologie, elles-mêmes entreprises juste après l’obtention d’une maturité, est devenu minoritaire. Aujourd’hui, beaucoup de futurs pasteurs étudient la théologie à distance grâce à Internet et ont déjà eu une première carrière professionnelle. Il s’agit fort peu souvent de jeunes qui débutent.
Vous préconisez de raccourcir la formation théologique grâce à un master accéléré. Le but est-il d’augmenter le nombre d’inscrits en faculté de théologie?
Cela n’aura pas forcément cet effet dans la durée. Mais cela contribuera à faciliter le cursus d’une personne qui, étant déjà au bénéfice d’un master obtenu dans une autre filière que la théologie, souhaite se consacrer à une carrière pastorale. Ainsi, sur une durée de trois ans, dont six mois de terrain, ce master permettra un processus accéléré pour parvenir à ce but. Je me réjouis que les facultés de Genève et Lausanne travaillent activement sur ce projet.
Il y a certes une pénurie de pasteurs. Mais le problème initial n’est-il pas premièrement la pénurie de croyants?
Absolument. Les études sur la pénurie de prêtres dans le catholicisme français montrent très clairement qu’il y a une étroite corrélation entre le taux de participation à la messe et le taux d’engagement dans des carrières ecclésiastiques. C’est pour cette raison qu’il est plus que jamais nécessaire aujourd’hui de se diriger vers une stratégie de fidélisation des croyants en développant des formes novatrices de vie ecclésiale.
A votre avis, quelle sera la situation des Eglises, du point de vue de son personnel, dans une dizaine d’années?
Aujourd’hui, il faut sept ans pour former un pasteur. Cinq ans d’études de théologie et deux ans de formation de terrain lors du stage. Sachant que 47% des pasteurs actuellement en poste seront partis à la retraite d’ici à 2029, et que le nombre de personnes qui entrent en formation de théologie est très faible (tous ne se dirigeront d’ailleurs pas forcément vers le pastorat), il y a de quoi être inquiet.