Les chrétiens de Syrie menacés par le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS)
Les chrétiens de Syrie ignorent la coalition rebelle emmenée par le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS) qui a renversé le président Bachar al-Assad.
Fin novembre 2024, le groupe jihadiste Hay’at Tahrir al-Cham (HTS) a repris Alep, la deuxième ville de Syrie, aux forces gouvernementales à la suite d’une offensive éclair. Dans l’article suivant, la Solidarité Chrétienne Internationale (CSI) se penche sur l’histoire et l’idéologie du groupe.
Histoire
Hay’at Tahrir al-Cham (HTS), une organisation islamiste sunnite, adhère à un programme salafiste jihadiste visant à construire un État islamique et, à terme, à établir un califat mondial.
Les origines de HTS remontent à 2011 et au début de la guerre civile syrienne. À l’époque, le groupe était connu sous le nom de Jabhat al-Nosra (« Front de la victoire ») et faisait partie de l’opposition au gouvernement du président syrien Bachar al-Assad. Alors que l’objectif principal des forces pro-démocratiques et laïques de l’opposition était de mettre fin à la domination de la famille al-Assad, le groupe Jabhat al-Nosra aspirait en outre à unifier les différentes forces islamistes en Syrie et à y créer un État islamique.
Ce groupe avait des liens avec l’État islamique (EI) jihadiste en Irak et avec le réseau militant panislamiste Al-Qaïda, auquel il a prêté allégeance. Jabhat al-Nosra était (et en tant que HTS est toujours) dirigé par Abou Mohammad al-Jolani, un Syrien qui s’était rendu en Irak en 2003, après l’invasion menée par les États-Unis, pour combattre les troupes américaines.
En 2016, cependant, Jabhat al-Nosra a rompu publiquement ses liens avec Al-Qaïda et, en 2027, a fusionné avec plusieurs autres groupes en se donnant un nouveau nom : Hay’at Tahrir al-Cham, qui signifie en arabe « Organisation de libération du Levant (ou Grande Syrie) ». Ce mouvement a marqué un changement apparent d’orientation, du jihad mondial à l’instauration d’un régime islamique en Syrie.
Cependant, le chercheur Fabrice Balanche note que dans le bastion de HTS dans la province d’Idlib, HTS continue d’abriter des groupes officiellement liés à Al-Qaïda. Et de manière significative, lorsque le chef de l’EI, Abu Bakr al-Baghdadi, a été tué par des commandos américains en 2019, il a été retrouvé dans la province d’Idlib.
Le jihad contre le gouvernement syrien
HTS (et son prédécesseur Jabhat al-Nosra) sont parmi les plus connus et les plus efficaces des groupes qui luttent contre le gouvernement d’al-Assad. Au moment où Jabhat al-Nosra a été désigné comme organisation terroriste étrangère par le département d’État américain le 11 décembre 2012, il avait revendiqué des centaines d’attaques, dont des dizaines d’attentats-suicides.
Initialement, les forces rebelles, y compris Jabhat al-Nosra, ont réalisé des gains significatifs dans la guerre, notamment grâce au soutien militaire des États-Unis et de leurs partenaires régionaux, y compris la Turquie, qui étaient unis pour renverser le gouvernement syrien. Bien qu’officiellement désigné comme terroriste par les États-Unis, Jabhat al-Nosra a bénéficié d’un soutien direct et indirect important de la part d’alliés régionaux des États-Unis comme la Turquie, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, et les États-Unis ont apporté leur soutien aux rebelles qui se battaient aux côtés de Jabhat al-Nosra.
Rapidement, les forces d’opposition dirigées par Jabhat al-Nosra ont contrôlé une grande partie du nord de la Syrie. Grâce aux armes fournies par l’OTAN et les États du Conseil de coopération du Golfe, elles ont pris les capitales de deux gouvernorats éponymes du nord, Raqqa (2013) et Idlib (2015), aux forces gouvernementales soutenues par l’Iran et la Russie.
Le soutien de la Turquie
Au début de la guerre en Syrie, la Turquie, qui borde la Syrie au Nord, a condamné la répression brutale du soulèvement populaire par le gouvernement d’al-Assad. Peu après, elle a commencé à fournir un soutien militaire et logistique aux forces antigouvernementales, y compris aux groupes jihadistes comme HTS.
Les troupes turques ont été déployées dans le nord de la Syrie tenu par les rebelles depuis 2016. Selon une analyse de l’organisation International Crisis Group, la présence de ces troupes dans le nord-ouest du gouvernorat d’Idlib a permis à HTS, « une ancienne filiale d’Al-Qaïda toujours désignée comme groupe terroriste par l’ONU et de nombreux États, de consolider son contrôle sur la région ».
En février 2020, la Turquie a lancé une intervention militaire à Idlib pour empêcher HTS d’être vaincu par les forces gouvernementales syriennes. Depuis lors, la Turquie est le garant de la présence de HTS dans le gouvernorat d’Idlib. L’offensive éclair actuelle de HTS n’aurait pas été possible sans le soutien et l’approbation de la Turquie.
La prise d’Alep
En juillet 2012, Jabhat al-Nosra et les milices jihadistes alliées avaient pris le contrôle de la moitié est d’Alep, la deuxième ville de Syrie, située dans le nord-ouest du pays. Pendant les quatre années qui ont suivi, les jihadistes ont fait régner la terreur en opprimant brutalement les chrétiens et d’autres minorités religieuses.
En décembre 2016, le gouvernement syrien a entièrement repris la ville à Jabhat al-Nosra et à ses alliés, le vent tournant en sa faveur dans la guerre civile.
En visite dans la ville en 2017, le président international de CSI, John Eibner, a été témoin de la profanation généralisée des églises et a entendu les témoignages de nombreux chrétiens et autres personnes qui ont vécu les horreurs de l’occupation d’Alep. Il s’agit notamment d’exécutions, de tortures, de violences sexuelles et de détentions arbitraires, selon la Commission d’enquête de l’ONU sur la Syrie.
Le contrôle d’Idlib
Même après avoir été chassé d’Alep, Jabhat al-Nosra (et ensuite HTS) a conservé une position dominante dans le nord-ouest de la Syrie et a fait d’Idlib sa base de pouvoir depuis 2017. En tant qu’administration de facto, HTS a bafoué les droits des minorités religieuses, notamment des chrétiens et des druzes, en s’emparant des biens des milliers de personnes qui ont fui et en restreignant les droits de celles qui sont restées, y compris leur droit de pratiquer leur culte.
Ces dernières années, HTS s’est efforcé de présenter une image plus modérée, en éliminant les partisans de la ligne dure et en assouplissant son approche à l’égard des minorités religieuses. Il encourage activement le retour des chrétiens et des druzes qui ont fui la région et a commencé à restituer les biens saisis aux membres des minorités religieuses.
Pourtant, les allégations de violations des droits de l’homme se poursuivent. Selon le rapport Country Reports on Human Rights Practices 2023 du département d’État américain sur la Syrie, le groupe HTS « a violemment opprimé et discriminé les membres de toutes les minorités ethniques arabes non sunnites dans les territoires ». Il aurait également imposé des restrictions discriminatoires aux femmes et aux filles.
« HTS est idéologiquement engagé dans la construction d’un État islamique en Syrie » affirme le Dr Joel Veldkamp
Ce que l’avenir nous réserve
Depuis la conquête d’Alep le 29 novembre 2024, HTS a continué d’assouplir son approche à l’égard des non-sunnites. Mais les chrétiens et les autres minorités religieuses d’Alep ont raison de craindre pour leur avenir sous le régime de HTS.
Joel Veldkamp, responsable CSI du plaidoyer public, commente : « HTS se positionne actuellement comme une alternative au régime d’al-Assad. Il cherche à se faire accepter à la fois par la communauté internationale et par le peuple syrien. Il est donc fortement motivé pour se montrer comme un acteur rationnel et tolérant. Jusqu’à présent, nous ne disposons d’aucune information crédible selon laquelle des combattants de HTS auraient porté atteinte à des minorités religieuses dans les territoires qu’ils ont conquis depuis le 29 novembre 2024, mais il y a tout lieu de penser qu’à mesure que les combats se poursuivent, HTS et ses alliés islamistes retomberont dans leurs anciens schémas de persécution. HTS est idéologiquement engagé dans la construction d’un État islamique en Syrie. Les chrétiens, les alaouites, les druzes et les autres minorités ne pourront pas survivre sous un tel État. »