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Lettre d’Alep

Notre partenaire alépin, le Dr Nabil Antaki, a récemment écrit une lettre sur la situation actuelle en Syrie que nous reproduisons ci-dessous. Elle s’inscrit dans la continuité de son livre Les lettres d’Alep, co-écrit avec frère Georges Sabé et paru aux éditions L’Harmattan (2018).

Chers amis,

Le monde n’a jamais vu un tel élan de solidarité comme celui manifesté vis-à-vis du peuple ukrainien. Les États, surtout occidentaux, les associations internationales, les agences onusiennes, les ONGs et les particuliers ont agi avec rapidité et une extrême générosité pour soulager les souffrances des réfugiés, des déplacés et des blessés. Ils ont été encouragés par les correspondants des médias sur place qui, dès les premiers jours du conflit, rapportaient qu’ils rencontraient en Ukraine « des gens comme nous, qui s’habillent comme nous, qui habitent des villes qui ressemblent aux nôtres… ». Comme si soulager les souffrances dépendait de tels critères.

Ces guerres auraient pu être évitées

Sans rentrer dans une polémique politique, on peut quand-même dire que cette guerre aurait pu être évitée. Comme aurait pu être évitée la guerre en Afghanistan qui s’est terminée par un retrait minable des troupes américaines après avoir causé des centaines de milliers de morts et coûté des milliers de milliards de dollars. « Tout ça pour ça ! » avait dit un chroniqueur !!!

Comme aurait pu être évitée celle déclenchée en Syrie il y a maintenant plus de onze ans et qui ne finit pas. La guerre et les sanctions ont ruiné le pays et appauvri la population. C’était, sans aucun doute, le véritable objectif du déclenchement de la guerre chez nous. Elle a causé la mort de 500 000 personnes et les souffrances de centaines de milliers de blessés et d’amputés. Elle a poussé 5 millions à se réfugier dans les pays voisins, 1 million à migrer en Occident et 8 millions à quitter leur domicile.

Trois guerres qu’on aurait pu, qu’on aurait dû éviter.

Derrière les faux alibis et les prétextes fallacieux pour déclencher ces guerres, il y a des raisons géopolitiques inavouées et inacceptables, un machiavélisme condamnable et un cynisme honteux.

Une situation insoutenable

Il n’y a presque plus de combat en Syrie depuis plusieurs années mais cet état de « ni guerre ni paix » est insoutenable. La guerre a détruit mais l’absence de paix empêche la reconstruction et la réconciliation ; et comme disait quelqu’un : « Les conflits gelés, qui sont souvent des conflits insolubles, finissent inexorablement par se réchauffer. »

La situation économique en Syrie est catastrophique. 82 % de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté ; 60 % sont en insécurité alimentaire ; le taux de chômage est impressionnant ; l’inflation est galopante ; la plupart des familles n’arrivent pas à boucler leur fin de mois ; la monnaie syrienne a perdu 90 % de sa valeur ; les prix augmentent chaque jour. La pénurie aggrave la pauvreté : pénurie, et donc, rationnement du pain, de l’essence, de l’électricité et de beaucoup de produits de première nécessité.

Une aide nécessaire de toute urgence

Devant cette aggravation des souffrances de nos concitoyens, notre mission, à nous les Maristes Bleus, est encore plus indispensable. Nous sommes soutenus par de nombreuses associations internationales comme Christian Solidarity International (CSI) et par beaucoup d’amis. Nous leur sommes reconnaissants. Grâce à leur soutien moral et financier, nous arrivons à maintenir tous nos projets d’aide et de secours et tous nos programmes éducatifs et de développement.

Il y a toujours de nombreuses familles déplacées à Alep même. Nous continuons à distribuer 832 paniers alimentaires mensuels aux familles les plus vulnérables et à payer le loyer de 200 familles qui ne peuvent toujours pas rentrer chez elles.

Cent cinquante personnes profitent chaque mois de notre programme médical pour payer des interventions chirurgicales, des ordonnances pour des maladies chroniques ou des scanners très coûteux.

Notre projet « Goutte de lait » poursuit la distribution mensuelle à 3 000 enfants et nourrissons du lait nécessaire à leur croissance. Notre projet « Pain partagé » offre un repas chaud quotidien à 230 seniors de plus de 80 ans qui vivent seuls et qui n’ont plus personne pour subvenir à leurs besoins.

L’élite quitte la Syrie

Nous voulons que les jeunes restent en Syrie et n’émigrent pas. Le pays et la société ont besoin d’eux. Nous sommes attristés de savoir que des milliers de médecins syriens se sont expatriés en Allemagne et en France. Hier, j’ai reçu un message d’un ami et collègue gastroentérologue et endocrinologue qui m’informe qu’il a émigré en France voilà quelques mois. Et pourtant, il avait une belle renommée, était très compétent et le travail ne lui manquait pas. À mon étonnement et mes interrogations, il m’a répondu qu’il a pensé à l’avenir de ses enfants. Et oui, à cause de la guerre, la Syrie a perdu son élite, ces universitaires, ingénieurs, informaticiens et médecins, qui ont étudié et ont été formés gratuitement dans les universités syriennes, auraient pu participer à la reconstruction du pays mais sont maintenant installés dans les pays du golfe ou en Europe. Ces pays profitent gratuitement de cette main d’œuvre qualifiée formée chez nous mais se plaignent hypocritement de cette immigration pourtant indispensable à leur économie ou à leur bien-être.

Cet été, de très nombreux Syriens qui avaient quitté le pays pour s’installer ailleurs sont revenus passer « leurs vacances » en Syrie. Ils sont venus inspecter leurs domiciles à la hâte, mettre de l’ordre dans leurs affaires et accomplir des formalités administratives. Hélas, ils sont repartis ; comme dit la comptine : « Trois p’tits tours et puis s’en vont. » Malheureusement, rares sont ceux qui rentrent définitivement.

Offrir des formations et des financements initiaux

Pour que nos jeunes restent, il faut qu’ils aient un travail. C’est pourquoi trois de nos programmes sont destinés à ce but. Notre centre mariste de formation, le MIT, forme les adultes et leur permet d’acquérir des compétences dans différents domaines.

Le programme « Micro-Projets » finance des micro-projets à condition qu’ils soient réalisables et durables. En six ans, nous avons financé plus de 200 projets. Malheureusement, malgré la formation proposée aux candidats et l’accompagnement et le suivi par des mentors des Maristes Bleus, le succès de ces micro-projets n’est pas évident. La crise économique, l’inflation et la cherté des loyers et des produits font échouer certains projets qui, au départ, étaient prometteurs. Par contre, beaucoup de belles réalisations et de succès ; je pense à T. J. qui a ouvert un atelier de mécanicien de voiture, à A. B. qui fabrique des petites échelles et des escabeaux, à S. A. et A. C. qui ont maintenant un salon de coiffure pour hommes. Le pape François, dans son intention de prière en août, tout en saluant le courage, la créativité et les efforts des petits entrepreneurs, a demandé de prier pour eux afin qu’ils « puissent trouver les moyens nécessaires à la poursuite de leur activité, au service des communautés où ils vivent ».

Les Maristes Bleus avec le Dr Nabil Antaki (au milieu). (Les Maristes Bleus)

Quant au programme « Formation professionnelle », il permet d’engager nos jeunes comme apprentis chez des professionnels pour apprendre un métier. Vingt ont déjà terminé leur formation et vingt autres sont en cours d’apprentissage. Le jeune R. E. a appris en un an (alors que son apprentissage devait durer dix-huit mois) la réparation et la maintenance des téléphones cellulaires ; son patron nous a dit qu’il n’avait plus rien à lui apprendre et qu’il peut maintenant être son propre patron et voler de ses propres ailes.

Les programmes d’aide se poursuivent avec le soutien de CSI

« Heartmade » poursuit et développe son activité et multiplie les produits pour arriver à l’autofinancement. Seize femmes y trouvent un emploi en créant, à partir de restes de tissus, des habits pour dames.

Depuis le début de notre mission, nous créons un projet quand nous sentons qu’il y a un besoin ; et nous clôturons des projets quand leur raison d’être n’existe plus. C’est ainsi que nous venons d’arrêter le projet « Apprendre à grandir ». Par contre, « Je veux apprendre » poursuit sa mission d’éducation et d’instruction de 120 enfants de 3 à 6 ans. À la fin de l’année scolaire, les colonies de vacances ont pris le relai pour des activités de divertissement afin de semer un peu de joie dans le cœur de ces enfants de familles déplacées. Notre programme « Seeds » de soutien psycho-social continue à faire des merveilles avec les 450 enfants dont il a la charge. Quant aux projets « Développement de la femme », « Coupe et couture » et « Hope », ils enchainent des sessions de trois mois les unes après les autres pour satisfaire à tous les besoins et à toutes les demandes.

Maintenant, c’est à l’Occident de jouer

Après onze ans de souffrances, de drames, de migration et de privation, nous avons de la difficulté à vivre et à rayonner autour de nous notre devise de Mariste : « Semer l’Espérance. » Pourtant, il le faut tellement ; les gens autour de nous en ont besoin. Nous ne voyons toujours pas le bout du tunnel. Les grandes puissances ont d’autres chats à fouetter et le dossier syrien n’est plus une priorité pour elles. La Syrie est devenue « un pays oublié ». Quant aux puissances régionales, elles se servent du conflit syrien pour avancer leurs pions dans la région. Heureusement que certains pays arabes et d’autres ont dépassé le raisonnement manichéen qui voulait qu’il y ait les bons d’un côté et les mauvais de l’autre, et ont rétabli leurs relations avec la Syrie. Pourvu que les pays occidentaux fassent de même pour qu’un dialogue s’amorce et soit le prélude au règlement du conflit et à la paix.

Pour les Maristes Bleus d’Alep :

Le Dr Nabil Antaki

L’auteur, le Dr Nabil Antaki, dirige le mouvement des Maristes Bleus en Syrie. Il est l’un des partenaires de longue date de CSI. Le frère de Nabil Antaki a été tué par l’État islamique (EI), le reste de sa famille et la plupart de ses amis ont quitté le pays. Son épouse Leyla et lui sont déterminés à rester dans le pays pour « semer l’espoir ».

Vous pouvez commander le livre Les lettres d’Alep de Nabil Antaki et Georges Sabé (parution : 2018) dans notre boutique CSI.

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