Interview de Vardan Tadevossian, partenaire de la Solidarité Chrétienne Internationale
Les systèmes politiques et médiatiques internationaux ont besoin que s'exercent des contre-pouvoirs. Depuis sa création en 2003, le Journal Chrétien, service de presse reconnu par l'Etat, est une force démocratique importante pour tous les chrétiens, les pasteurs et les églises parce qu'il les défend et fait éclater la vérité. Lire la suite.
Vardan Tadevossian, partenaire de la Solidarité Chrétienne Internationale (CSI), était ministre de la Santé du Haut-Karabakh et dirigeait le centre de réhabilitation Lady Cox à Stepanakert, une institution soutenue par CSI. Dans cette interview, il nous raconte comment il a dû fuir à cause de l’attaque azerbaïdjanaise, mais il nous révèle aussi ses projets de construction d’un nouveau centre de réhabilitation en Arménie pour les patients qui ont aussi dû fuir.
CSI : À quel moment avez-vous réalisé qu’il valait mieux se rendre plutôt que de risquer une hécatombe au Haut-Karabakh ?
Vardan Tadevossian : Ce n’est pas une décision que j’ai prise seul. Je n’avais jamais pensé à me rendre et j’espérais pouvoir rester toujours dans ma patrie, mais tout a été très vite et rien n’était prévisible. Quand on voit comme la région s’est vidée d’un seul coup de tous ses habitants, il n’y avait plus d’autre choix.
Aviez-vous peur d’être emprisonné comme d’autres politiciens du Haut-Karabakh dans une prison de Bakou, la capitale de l’Azerbaïdjan ?
Bien sûr, en tant que ministre de la Santé, ce risque existait. Au début, j’étais très inquiet. Mais dès que nous sommes arrivés à la frontière, je me suis davantage inquiété pour mes patients et mon personnel. Je tenais à ce qu’ils arrivent en Arménie en sécurité et qu’ils n’aient pas d’ennuis à cause de moi.
Comment avez-vous vécu vos derniers jours au Haut-Karabakh et votre arrivée en Arménie ?
C’était très dur, surtout les trois ou quatre derniers jours avant de partir, car j’étais responsable des blessés après la guerre d’un jour. Il n’y avait pas d’électricité ni de connexion Internet. Mais le plus terrible a été l’explosion du dépôt d’essence le 25 septembre 2023 qui a fait plusieurs dizaines de morts et de blessés. Au moins, nous avons pu transporter les blessés graves en Arménie par hélicoptère et en voiture.
Où vivez-vous actuellement ?
À Erevan, la capitale de l’Arménie. C’est là que j’ai vu mon petit-fils pour la première fois.
Qu’adviendra-t-il du centre de réhabilitation de Stepanakert ?
Je me pose la même question. Nous avons laissé le centre en parfait état. N’importe quel spécialiste serait à même de se servir de cette structure sans aucun problème. J’ai été le dernier à le quitter. Après vingt-cinq ans de développement, le centre était vraiment le nec plus ultra de la médecine de réhabilitation. Cela me fend le cœur d’avoir dû le quitter. Je ne peux qu’espérer que tout le travail que j’ai laissé derrière moi continuera à profiter à des personnes handicapées.
Combien de personnes se trouvaient au centre le dernier jour avant l’attaque de l’Azerbaïdjan ?
Il y avait 22 patients hospitalisés et plus de 30 suivaient un traitement ambulatoire. Mais il y avait aussi 50 membres du personnel. Lorsque l’attaque a commencé le 19 septembre 2023 à midi, ces personnes ont tout laissé, y compris leur nourriture, pour se cacher dans la cave, pris de panique.
Avez-vous pu localiser tous vos patients en Arménie ?
Pas encore. La plupart d’entre eux ont pu être hébergés à Erevan et nous sommes déjà en contact avec ceux qui ont des besoins très spécifiques. Par ailleurs, nous effectuons des visites à domicile et fournissons des médicaments à ceux qui en ont besoin. Nous informons également les familles sur la manière de s’occuper des cas les moins compliqués.
Il y a aussi plus de soixante jeunes qui ont subi des brûlures et qui sont traités par nos spécialistes dans un centre à Erevan.
Et votre équipe ?
Une partie d’entre elle effectue les tâches que je viens d’évoquer, mais j’ai encouragé certains de mes anciens collaborateurs à chercher du travail dans d’autres hôpitaux. Tant que nous n’aurons pas de nouveau centre de réhabilitation, je ne pourrai pas employer tout le monde.
Y a-t-il des projets concrets pour un nouveau centre ?
Oui, je suis déjà en train d’élaborer une proposition avec des architectes. J’ai l’intention de créer un centre moderne un peu en dehors d’Erevan. Comme celui de Stepanakert, il sera à la pointe de la médecine de réhabilitation. Les handicapés doivent également pouvoir avoir accès à des traitements d’ergothérapie, par exemple en faisant du jardinage. Le nouveau centre devra aussi être ouvert à des patients qui ne viennent pas de la République d’Arménie. Bien sûr, j’espère pouvoir réengager tous les collaborateurs de Stepanakert.
Y a-t-il un espoir de retourner un jour au Haut-Karabakh ?
Nous aurons toujours cet espoir. Comme je l’ai dit, j’ai laissé mon cœur là-bas. La nuit, je vis avec mes souvenirs.
Nous souffrons tous de ces terribles événements. Mais je reste réaliste et j’espère surtout pouvoir retrouver mes marques rapidement en Arménie et commencer à construire un nouveau centre dès que possible. Cela nous donnerait une nouvelle force.
Interview : Reto Baliarda