Erdogan limoge le gouverneur de la Banque de Turquie face à la chute de la livre
ISTANBUL/ANKARA (Reuters) – Le président turc Recep Tayyip Erdogan a limogé samedi le gouverneur de la banque centrale Murat Uysal, tenu pour responsable de la spectaculaire dépréciation de la livre turque cette année.
La décision a été annoncée par décret publié au Journal officiel. Murat Uysal est remplacé par l’ancien ministre des Finances Naci Agbal.
Ce limogeage du gouverneur de la banque centrale est le quatrième en cinq ans et devrait nourrir les critiques de longue date dénonçant l’ingérence du pouvoir politique dans la gestion de la politique monétaire du pays.
La livre turque a clôturé vendredi à 8,5445 pour un dollar après avoir touché un point bas record de 8,58. Elle a plongé de 30% depuis le début de l’année, de 10% au cours des deux dernières semaines.
Les analystes considèrent Naci Agbal, bien que proche de Recep Tayyip Erdogan, comme un gestionnaire capable qui pourrait adpoter une approche plus orthodoxe de la politique monétaire que son prédécesseur.
Murat Uysal avait été nommé à la tête de la banque centrale en juillet 2019 par le chef de l’Etat, mécontent que cette dernière ne baisse pas les taux d’intérêt pour stimuler l’économie.
« La gestion d’Uysal a été catastrophique. Agbal, ça pourrait être pire, évidemment », a commenté sur Twitter Timothy Ash, de BlueBay Asset Management. « Il a une réputation de technocrate décent et il paraît qualifié pour le poste », a-t-il toutefois ajouté.
Recep Tayyip Erdogan ne cesse de réclamer l’abaissement des taux d’intérêt. Le week-end dernier, il a affirmé que la Turquie livrait une guerre économique contre ceux qui tentent de l’enfermer « dans le triangle diabolique des taux d’intérêt, des taux de change et de l’inflation ».
« UNE MARIONNETTE »
Un haut responsable de l’AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir, a assuré que Naci Agbal serait un gouverneur « plus fort » et n’était pas de nature à accepter des pressions politiques. « C’est un poste difficile, mais des mesures doivent être prises pour interrompre la chute de la livre », a-t-il dit.
A la dépréciation de la devise turque s’ajoute une inflation de près de 12%, bien au-dessus de l’objectif d’environ 5% fixé par la banque centrale. Le pays avait réussi l’an dernier à sortir de la récession mais la pandémie de coronavirus a tout remis en cause.
Le mois dernier, la Banque de Turquie n’a pas procédé à un relèvement de ses taux d’intérêt contrairement aux attentes, les maintenant à 10,25%, ce qui a contribué à une nouvelle baisse de la livre sur les marchés des changes. Un mois plus tôt, elle avait au contraire surpris les marchés en relevant ses taux.
Les opérateurs s’inquiètent de la baisse des réserves de change, des atteintes à l’indépendance de la banque centrale et du risque toujours latent de sanctions occidentales contre le pays en raison de sa politique étrangère et de défense.
Pour Erik Meyersson, économiste à Handelsbank, même si Murat Uysal était à blâmer pour sa gestion, la banque centrale est pieds et poings liés à Recep Tayyip Erdogan et son gouverneur « n’est qu’une marionnette ».
(Daren Butler, Orhan Coskun et Nevzat Devranoglu, version française Jean-Stéphane Brosse)
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