L’union fait la foi
Parce qu’elle fréquentait un chrétien, une jeune femme musulmane a été violemment battue par sa famille. Le fait divers a eu lieu fin août en France. Les couples mixtes dérangent-ils toujours? Points de vue croisés.
Fin août, en France, une jeune femme musulmane originaire de Bosnie-Herzégovine est violentée et tondue par des membres de sa famille. Ils lui reprochent sa relation avec un jeune homme chrétien, d’origine serbe. Est-ce à dire que les unions mixtes peuvent encore poser problème aujourd’hui? Tour d’horizon des points de vue.
«Il ne faut ni faire d’amalgame ni entrer dans le déni. Lorsque l’on s’inscrit dans un rapport à Dieu, on ne peut que condamner un tel comportement», lâche Hafid Ouardiri, directeur de la Fondation pour l’Entre-Connaissance à Genève. Pourtant l’épisode interroge: l’union de deux personnes de religions différentes pose-t-elle problème? Pour cet acteur musulman du dialogue interreligieux, en tout cas, «l’amour est d’abord une question de caractère et non de religion. Il est inconcevable de contraindre l’amour au nom de Dieu.»
Dans une société plurielle et sécularisée, le mariage entre personnes de confessions religieuses différentes est d’ailleurs en hausse. Une réalité avec laquelle les monothéismes doivent composer. Au-delà de l’union de deux personnes, c’est lorsque celles-ci ont des enfants qu’intervient un enjeu de taille, celui du passage de témoin et donc de la survie de ces religions.
La foi des enfants
«La transmission est le seul enjeu du mariage mixte, car l’enfant a besoin d’une identité», affirme Eric Ackermann, président de la Plateforme interreligieuse de Genève et délégué rabbinique de la communauté israélite de Genève. Parmi les couples mixtes qu’il a rencontrés, bon nombre ne délivrent aucun enseignement religieux à leurs enfants. «Sous prétexte de vouloir le laisser libre, on laisse à l’enfant le choix de sa confession. Or, si on ne lui enseigne rien, il n’a aucun choix et donc aucune liberté!», explique Eric Ackermann. Et d’ajouter qu’ainsi: «Après deux ou trois générations, la religion finit tout simplement par disparaître de la famille.»
Dans le Coran, plusieurs versets abordent l’union mixte. L’homme musulman y a toute liberté d’épouser une femme juive ou chrétienne, ce qui n’est pas le cas de la femme. La raison? «L’homme est considéré comme le chef de famille, c’est donc lui qui transmet la religion aux enfants. En épousant une femme issue de l’une des religions du Livre, il « sait où il met les pieds » et ne peut l’empêcher de pratiquer sa religion. Or, si le chef de famille n’est pas musulman, l’épouse risque d’être privée de sa pratique et de la transmission de sa foi à ses enfants», explique Hafid Ouradiri. Mais s’il existe des prescriptions indiscutables dans l’islam, il en est autrement des versets relatifs aux relations sociales, «qui font acte de conseils».
Nul besoin d’aller jusqu’au mariage interreligieux pour que la question de la transmission se pose. Au sein même du christianisme, les unions interconfessionnelles sont soumises aux mêmes interrogations. «Le mouvement des foyers mixtes est né dans les années 1960. Chez les protestants réformés comme chez les catholiques, la catéchèse déconseillait encore le mariage mixte. Outre le risque de tensions au sein du couple, les Églises craignaient d’imposer leurs propres désaccords historiques dans la cellule familiale et que cela débouche sur une prise de distance avec les institutions. L’idée était aussi de garder des « troupes » le plus longtemps possible et d’assurer une relève homogène», note Jean-Baptiste Lipp, pasteur et conseiller synodal de l’Église réformée vaudoise, membre de l’Association des foyers interconfessionnels de Suisse qui a fermé ses portes cet été, faute d’intérêt tant du côté des nouveaux couples que des Églises. «En 1987, les Églises réformées et catholiques de Suisse ont publié un document rappelant aux foyers mixtes de choisir une seule insertion ecclésiale pour leur enfant, afin d’éviter que ce dernier ne se trouve dans une situation inconfortable par la suite», ajoute le pasteur, lui-même marié à une catholique.
Les mentalités ont évolué et les exigences s’assouplissent. Aujourd’hui, la loyauté familiale n’est plus un enjeu du mariage entre catholiques et protestants en Suisse. Plus besoin non plus, pour l’époux non catholique, de signer une déclaration selon laquelle il reconnaît que le baptême et l’initiation religieuse des enfants reviennent à son conjoint catholique. Mais il n’est toujours pas question d’entrer en matière s’agissant d’une double appartenance notamment pour Rome.
Un problème institutionnel
La doctrine tient bon. Mais l’amour n’a toujours pas de religion. «Qu’est-ce que le mariage mixte, si ce n’est l’union de deux personnes différentes? Tout mariage est mixte par définition», affirme Eric Ackermann. «Ce qui est essentiel, c’est de sauver l’amour et non de lui mettre des barrières. Les gens sont libres dans leur interprétation, mais la seule référence au sens littéral du verset ne suffit pas», poursuit Hafid Ouardiri. Selon lui, c’est une question d’éducation, qui devrait reposer sur une ouverture, «or la religion est parée d’ignorances sacrées, comme autant de barrières dressées au nom de Dieu. Mais la foi n’est pas là pour exclure», ajoute le directeur de la Fondation.
«Il est impossible de mettre sur les épaules d’un jeune qui tombe amoureux le fardeau de l’histoire familiale», ajoute le délégué rabbinique. Dans le chapitre 7 du Deutéronome, il est écrit qu’Israël ne doit pas contracter de mariage avec d’autres nations, risquant ainsi de voir ses enfants se détourner du Seigneur pour servir d’autres dieux. «Nous ne pouvons pas aujourd’hui brandir ce texte et clamer qu’on ne peut faire de mariage mixte. C’est totalement stérile! Les discours que tiennent certains religieux ne sont pas à la hauteur des attentes. La jeune génération est en quête de sens. Aussi, nous devons prendre nos responsabilités et construire avec eux», insiste Eric Ackermann. En cela, le rôle du rabbin consiste, selon lui, à transmettre intelligemment des connaissances en vue d’une autonomisation. «Le défi du monde juif est de permettre à la Tradition d’être en accointance avec la modernité», ajoute le président de la Plateforme interreligieuse de Genève.
Même son de cloche du côté chrétien. «La foi n’est pas centrale dans la vie du couple, mais elle peut le devenir dès lors qu’on décide d’avoir une pratique confessionnelle. Les défis de l’altérité confessionnelle apparaissent dès lors qu’il faut choisir une Église», observe Jean-Baptiste Lipp. Alors les couples s’interrogent: le culte ou la messe? Une bénédiction religieuse ou seulement un mariage civil? Si le défi du mariage interreligieux concerne le choix de la confession de l’enfant, pour le pasteur, celui de l’union interconfessionnelle «concerne l’unité visible des chrétiens et ceux-ci ont conscience du fossé à combler».
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