Irak: seize manifestants tués et un consulat iranien incendié
par John Davison
BAGDAD (Reuters) – Les forces de sécurité irakiennes ont tué 16 manifestants jeudi à Nassiria, a-t-on appris de sources médicales, et les autorités ont imposé un couvre-feu à Nadjaf après l’incendie du consulat iranien dans cette ville sainte chiite du sud de l’Irak.
Face à un mouvement de contestation qu’elles ne parviennent pas à apaiser, les autorités irakiennes ont décidé de mettre en place dans plusieurs provinces des « cellules de crise » mêlant civils et militaires.
Le commandant d’une organisation paramilitaire dont les plus puissantes factions sont proches de Téhéran a pour sa part menacé de recourir à la force pour empêcher toute attaque contre les dignitaires chiites irakiens.
L’incendie du consulat iranien à Nadjaf marque une nouvelle étape dans ce soulèvement inédit pour le pouvoir irakien à dominante chiite mis en place après la chute de Saddam Hussein en 2003, un mouvement né début octobre contre une élite politique jugée corrompue et soumise à Téhéran.
L’incapacité du gouvernement, et plus largement de la classe politique, à répondre aux attentes des manifestants, souvent jeunes et chiites, et à ramener le calme n’a fait qu’alimenter la colère, d’autant que la répression des manifestations essentiellement pacifiques dans les rues de Bagdad et des villes du sud de l’Irak a déjà fait plus de 350 morts selon la police et les services médicaux.
Jeudi, les forces de sécurité ont ouvert le feu avant l’aube sur des manifestants qui s’étaient rassemblés sur un pont à Nassiria, ont dit des sources médicales, qui ont fait état de 16 morts et de dizaines de blessés.
A Nadjaf, un couvre-feu a été imposé après l’intrusion de manifestants mercredi soir dans le consulat iranien qui a ensuite été incendié. Les commerces et les administrations sont restés fermés jeudi dans cette ville, ont rapporté les médias publics.
CRAINTE D’UNE RÉACTION IRANIENNE
Le commandant des Forces de mobilisation populaires (FMP), une organisation rassemblant des groupes paramilitaires dont les plus puissantes factions sont proches de Téhéran, a prévenu que son mouvement réagirait avec la plus grande force à toute attaque contre le grand ayatollah Ali al Sistani, plus haut dignitaire chiite d’Irak basé à Nadjaf.
« Nous couperons la main de quiconque tente de s’approcher de Sistani », a dit Abou Mahdi al Mouhandis.
Certains observateurs pensent que ces événements à Nadjaf susciteront une forte réaction de la part du pouvoir, sans le conduire à mettre en oeuvre des réformes.
« Au-delà de déclarations ponctuelles (…) le gouvernement n’a annoncé aucun projet (ni) donné le moindre détail sur les mesures qu’il va prendre », a déclaré Dhiaa al Assadi, conseiller du puissant imam chiite Moktada al Sadr.
Pour Fanar Haddad, chercheur associé au Middle East Institute de l’université nationale de Singapour, le gouvernement risque de se servir de l’incendie du consulat iranien comme d’un prétexte pour durcir sa répression.
« Le problème pour les manifestants, c’est que cela pourrait renforcer le récit du gouvernement selon lequel les manifestants sont des agents infiltrés, des saboteurs et qu’ils fomentent des mauvais coups », a-t-il dit.
« Cela envoie un message à l’Iran mais cela joue aussi à l’avantage de personnes comme Mouhandis (en leur donnant) un prétexte pour sévir et dépeindre ce qu’il s’est passé comme une menace contre Sistani. »
Ce dernier s’exprime rarement en public mais on lui prête une très forte influence sur la population, en particulier dans le sud chiite de l’Irak. Ces dernières semaines, il a profité de ses sermons prononcés le vendredi, jour de la grande prière hebdomadaire, pour exhorter le gouvernement à mettre en oeuvre de véritables réformes et à cesser de tuer des manifestants.
(John Davison, Alaa Marjani à Nadjaf et le bureau de Bagdad avec Parisa Hafezi à Dubaï; version française Jean Terzian, Henri-Pierre André et Bertrand Boucey, édité par Sophie Louet)