Gilets Jaunes: un an après, les braises couvent encore
NEMOURS, Seine-et-Marne (Reuters) – Un gouvernement français aux aguets scrutera les événements marquant, ce week-end, le premier anniversaire du début de la crise des « Gilets jaunes », soulèvement citoyen inédit dont les coups d’éclat ont laissé place à un malaise social tenace.
Devant le carrefour de l’Europe, rond-point arboré des faubourgs de Nemours (Seine-et-Marne), André Aubin se souvient de ces samedis frisquets passés à partager colère et fraternité.
« Je ne le porte plus, mais dans l’âme, je suis toujours ‘Gilet jaune' », dit à Reuters l’ingénieur retraité de 66 ans.
En ce vendredi de novembre, le rond-point est vide. Ici comme ailleurs, ceux qui ont défié le pouvoir pendant des mois dans un mouvement pluriel émaillé de violences ont plié leurs gilets et éteint les braseros improvisés pour se tenir chaud.
Agostinho Barreto, 65 ans, garagiste à Fontainebleau, ne manifeste plus mais se sent solidaire. « Rien que de vous parler j’en tremble, parce que je suis toujours sur les nerfs », confie-t-il. « Ces petites braises ne demandent qu’un coup de vent pour se raviver et que cela reparte. »
GÂTEAU D’ANNIVERSAIRE
Ce week-end, son ami de longue date devenu compagnon de lutte Myrtil Devillers, pin’s en forme de Gilet jaune à la boutonnière – « Ma Légion d’honneur » -, offrira un gâteau d’anniversaire aux manifestants.
« Effectivement le mouvement s’est délité parce que je ne peux pas passer ma vie sur les ronds-points », raconte l’énergique retraité dans son salon où un gilet fluorescent repose sur le dos d’une chaise. « Mais l’erreur du gouvernement c’est de ne pas s’apercevoir que le cadavre bouge encore. »
Le volcan « Gilets jaunes », dont l’éruption était au tout départ liée à une hausse des taxes sur les carburants, s’est assoupi, sans s’éteindre tout à fait.
Entre-temps, Emmanuel Macron a lâché du lest – une quinzaine de milliards d’euros pour le pouvoir d’achat – et organisé un débat national qu’il a personnellement animé.
« Du saupoudrage », balaye Agostinho Barreto, pour qui le grand débat « a fait descendre la pression mais les vraies questions sont toujours là ».
Sous couvert d’anonymat, un autre « Gilet jaune » rencontré par Reuters à Beauvais (Oise) est, lui, sévère avec « un mouvement qui a mal tourné à cause de la violence, sans structure et sans représentants ».
Selon un décompte du journal Le Monde, 3.100 condamnations pénales, dont 400 ont donné lieu à des peines de prison ferme, ont été prononcées entre le 17 novembre 2018 et le 30 juin 2019. Du jamais vu pour un mouvement social en France.
« Ce jusqu’auboutisme ne me convient pas. On ne peut pas tout attendre de l’Etat », dit cet ancien chômeur de 57 ans, qui a déménagé en Bretagne et pris le statut d’auto-entrepreneur. « Tout le monde veut un bon salaire, une belle maison, des vacances, mais ça c’est ‘Santa Barbara’. A un moment, il faut se prendre en main. »
« CE N’EST PAS FINI »
Laure Courbey, 43 ans, croit au contraire à la pérennité d’un mouvement « en train de prendre une autre tournure ». « Ce n’est pas fini et on a de beaux jours devant nous », assure cette habitante de Nemours, qui manifestera dimanche à Paris.
Selon un sondage Odoxa publié le 29 octobre, 43% des Français estiment que le mouvement des « Gilets jaunes » peut reprendre à tout moment.
Alors que le malaise grandit dans plusieurs secteurs, de l’hôpital public à l’université en passant par la police, certains voient le premier anniversaire des « Gilets jaunes » comme une étape vers la journée d’action du 5 décembre à l’appel de plusieurs syndicats (CGT, FO FSU, Solidaires, Fidl, MNL, UNL, Unef), initialement prévue contre la réforme des retraites.
« Ça unit tout le monde : artisans, commerçants, professions libérales, salariés du privé et du public, même les retraités par solidarité », juge Yannick Maillou, enseignant « Gilet jaune » de La Crèche (Deux-Sèvres), où il vit.
Myrtil Devillers se tient lui aussi prêt à reprendre le combat. « Le 5 décembre, il va y avoir du monde. Pas que des casseurs mais des gens comme nous », dit-il. « Et toujours la même question : qu’est-ce qu’ils foutent de notre pognon ? »
Au gouvernement, la prudence est de mise. « Le mouvement des Gilets jaunes peut prendre des formes différentes, on peut redouter des actes désespérés isolés », dit un ministre sous couvert d’anonymat. « On reste vigilants ».