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Des chars à la place des voitures: comment la défense pourrait relancer l’économie allemande

par Christoph Steitz

FRANCFORT (Reuters) – Cela peut être perçu comme le premier signe concret d’un basculement de l’économie allemande pour sortir de deux années de récession: les entreprises du secteur de la défense lorgnent désormais les capacités d’une industrie automobile jadis toute puissante pour répondre à la volonté des Européens d’augmenter leurs budgets militaires.

Alors que les Etats-Unis de Donald Trump ont gelé leur aide militaire à l’Ukraine et exigent des pays européens qu’ils assument le fardeau financier de leur propre défense, les spécialistes de l’armement en Allemagne s’efforcent d’accroître leur production, des chars aux systèmes de radar.

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Parallèlement, les constructeurs automobiles, symboles pendant des décennies de la puissance de l’économie allemande, multiplient les suppressions de postes et les fermetures d’usines avec leur difficile transition vers les véhicules électriques.

Rheinmetall, premier fabricant européen de munitions, a annoncé la semaine dernière qu’il allait réorienter la production de deux usines actuellement consacrées aux pièces automobiles essentiellement vers des équipements de défense.

Hensoldt, qui fabrique les systèmes de radar TRML-4D utilisés par l’Ukraine face à la Russie, négocie le recrutement d’environ 200 employés auprès des équipementiers automobiles Bosch et Continental.

« Nous profitons des difficultés du secteur automobile », a dit à Reuters le président du directoire d’Hensoldt, Oliver Dörre, ajoutant que de nouveaux investissements pourraient plus que doubler la production annuelle du TRML-4D pour la porter entre 25 et 30 unités.

Une quinzaine de dirigeants européens réunis en urgence dimanche à Londres sont convenus de la nécessité d’un réarmement rapide de l’Europe, deux jours après une altercation à la Maison blanche entre les présidents américains Donald Trump et ukrainien Volodimir Zelensky nourrissant les craintes d’un désengagement total des Etats-Unis.

ASSOUPLISSEMENT DU FREIN À L’ENDETTEMENT

Les dirigeants des Vingt-Sept doivent participer jeudi à un sommet extraordinaire à Bruxelles au cours duquel ils devraient débattre des propositions dévoilées mardi par la Commission européenne pour mobiliser jusqu’à 800 milliards d’euros pour ce réarmement, notamment via un emprunt communautaire de 150 milliards d’euros.

Les conservateurs allemands, vainqueurs des élections législatives le 23 février, et les sociaux-démocrates, avec lesquels ils négocient un accord de gouvernement, se sont entendus mardi soir sur la création d’un fonds de 500 milliards d’euros en faveur des infrastructures et sur un assouplissement du frein constitutionnel à l’endettement afin de pouvoir investir massivement dans la défense.

Les actions des groupes d’armement comme Rheinmetall, Thyssenkrupp, Hensoldt et Renk gagnaient entre 8% et 14% mercredi matin en Bourse de Francfort, alors que le secteur européen de la défense ne cesse déjà de grimper depuis le début de la semaine.

Le centre de réflexion Bruegel estime que les armées européennes pourraient avoir besoin de 300.000 soldats supplémentaires et d’une augmentation annuelle des budgets militaires d’au moins 250 milliards d’euros « pour dissuader la Russie d’une agression ».

Un tel essor de l’industrie de défense pourrait opportunément donner une nouvelle impulsion à l’économie allemande, désormais parmi les moins dynamiques d’Europe en raison notamment de coûts de l’énergie élevés et d’une concurrence internationale plus intense sur ses traditionnels points forts.

L’institut de Kiel pour l’économie mondiale (IfW) estime que le produit intérieur brut (PIB) de l’Union européenne pourrait augmenter de 0,9% à 1,5% par an si les Etats membres portaient leurs dépenses militaires à 3,5% de leur PIB, contre un objectif actuel de 2% au sein de l’Otan, et favorisaient l’acquisition d’équipements européens.

« A moyen et long termes, l’histoire économique américaine en particulier a montré que de telles dépenses militaires pouvaient avoir un puissant effet en termes de gains de productivité, de retombées et de progrès technologiques », a déclaré Johannes Binder, de l’IfW.

PRÉSERVER LA BASE INDUSTRIELLE ALLEMANDE

Pour l’Allemagne, avec sa base industrielle existante, la croissance serait probablement dans le haut de cette fourchette, a-t-il ajouté.

Si l’Allemagne portait ses dépenses de défense à 3% de son PIB, cela ferait plus que doubler ses investissements annuels en la matière à 25,5 milliards d’euros, créerait 245.000 emplois directs et indirects et générerait près de 42 milliards d’euros d’activité, en matière de production et de services, chaque année, selon le cabinet EY.

Les statistiques disponibles les plus récentes montrent que le secteur allemand de la défense employait 387.000 personnes en 2022, soit environ la moitié des effectifs de l’industrie automobile cette année là. Le chiffre d’affaires total des entreprises du secteur était de 47 milliards d’euros cette même année, contre 506 milliards pour l’automobile.

« Nous devons considérer l’industrie de défense comme un moteur économique pour l’Allemagne », a dit Oliver Dörre. « Le secteur va jouer un rôle plus important que par le passé. »

Selon le patron de Hensoldt, qui a déjà commencé à externaliser la production de circuits imprimés et pourrait en faire de même avec les faisceaux de câbles et les boîtiers électriques, le recours aux capacités excédentaires du secteur automobile contribuerait à la fois à préserver l’empreinte industrielle de l’Allemagne et à développer sa production d’équipements militaires.

L’équipementier automobile ZF Friedrichshafen, actuellement en pleine restructuration susceptible de déboucher sur des fermetures d’usine, est en contact avec des entreprises de la défense en vue de transferts de personnel, a-t-il dit, évoquant des « synergies industrielles ».

UN SECTEUR FRAGMENTÉ PAR RAPPORT AUX ETATS-UNIS

Renk, qui fabrique des boîtes de vitesse pour chars et était une filiale de Volkswagen jusqu’en 2020, a dit regarder davantage en direction du secteur automobile, notamment en vue d’un accroissement des capacités de production, sans fournir de détails.

KNDS, fournisseur franco-allemand de systèmes pour forces terrestres, prévoit pour sa part d’assembler le char de combat Leopard 2 et le véhicule de combat d’infanterie Puma dans une usine allemande de tramways qu’il a récemment décidé d’acheter à Alstom. Il n’a pas répondu aux questions de Reuters.

Les analystes de Deutsche Bank ont toutefois prévenu dans une note publiée le mois dernier que l’augmentation des budgets de défense en Europe n’allait pas forcément profiter de manière significative aux acteurs locaux, le secteur européen étant plus fragmenté que son homologue américain.

Dans son rapport rendu l’an dernier sur la compétitivité en Europe, l’ancien président de la Banque centrale européenne Mario Draghi a rapporté que, entre mi-2022 et mi-2023, près de quatre cinquièmes des achats d’équipements militaires au sein de l’UE avaient été effectués auprès de fournisseurs non-européens.

Armin Papperger, président du directoire de Rheinmetall, qui discute de l’embauche d’une centaine d’employés auprès de Continental, a déclaré en février à Reuters que des investissements massifs étaient nécessaires en matière de missiles, de munitions et de véhicules pour renforcer les capacités de défense de l’Europe, qu’il juge très en retard en matière de dépenses.

« (Le président russe Vladimir) Poutine le sait aussi, bien sûr, et c’est pourquoi nous devons agir », a-t-il dit.

(Avec Alexander Huebner, Matthias Inverardi et Sabine Siebold, version française Bertrand Boucey, édité par Blandine Hénault)

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