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Pendant 4 siècles, il était interdit aux protestants romands de célébrer des funérailles à l’Eglise

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Pendant quatre siècles, il était interdit aux protestants romands de célébrer des funérailles à l’Eglise. Sans cérémonie, sans cloche, sans pasteur, les défunts étaient simplement ensevelis, sans qu’aucun « adieu » religieux ne puisse être émis.

En terres romandes, célébrer des funérailles à l’église n’est plus une évidence pour tout le monde. Si certains s’en émeuvent, l’ironie de l’histoire veut que cette tendance résonne avec un passé pas si lointain pour les protestants romands. En effet, du XVIᵉ au XIXᵉ siècle, toute intervention religieuse était proscrite au-delà du décès. Christian Grosse, historien du christianisme à l’Université de Lausanne, revient sur cet interdit, alors que la question du rapport aux défunts était précisément au cœur de la scission entre catholiques et protestants.

Pour quelle raison a-t-il été si longtemps interdit aux protestants romands de célébrer des funérailles religieusement?

C’est une spécialité toute réformée, qui s’inscrit en particulier dans la tradition vaudoise, genevoise et en partie française. La Réforme protestante s’étant érigée contre la doctrine du purgatoire et les prières pour les morts, on s’est naturellement méfié de toute forme de célébration qui pourrait les réintroduire. De même, on a pris ses distances avec la coutume de l’éloge funèbre, qui remet en quelque sorte en cause l’égalité des fidèles devant la mort. En foi réformée, devant Dieu, il n’y a plus de différences entre un duc et un domestique.

Comment cette interdiction était-elle formulée?

Les ordonnances ecclésiastiques de Genève, adoptées en 1541, ne prévoient aucun rôle pour le pasteur au moment des funérailles. De fait, elles excluent toute prière ou élément liturgique. Cette forme de désintérêt contraste avec le souci exprimé quant à l’accompagnement du mourant. Dans ses écrits, Calvin insiste fortement sur le devoir des pasteurs mais aussi des fidèles à entourer celui qui meurt, notamment à l’aide de prières spéciales. Une fois le décès survenu, le défunt est cependant remis dans les mains de Dieu et on estime qu’il n’y a plus rien à faire sur le plan religieux ou spirituel.

Comment se passent alors les choses, une fois que le mourant a rendu son dernier souffle?

Le pasteur s’en va et c’est alors au tour du chirurgien, qui est souvent responsable de tenir le registre des morts, ainsi qu’au fossoyeur d’intervenir. En général, le défunt est emmené au cimetière dans un délai de un à deux jours. Toute intervention pastorale est proscrite, à l’église comme au cimetière. Le fait qu’il n’y ait plus de rite religieux libère en quelque sorte la possibilité de célébrer civilement l’enterrement. Des processions s’organisent pour accompagner le cadavre jusqu’à sa dernière demeure. Le tout en observant néanmoins une règle de sobriété. Les femmes ne sont d’ailleurs plus autorisées, à partir de 1664 à Genève, à prendre part au cortège ou à assister à l’ensevelissement.

Que risquaient les pasteurs s’ils bravaient l’interdit?

A titre de proche, un pasteur pouvait évidemment se rendre à un enterrement. Mais il lui était défendu de jouer un rôle et de prendre la parole. Les pasteurs ont collectivement adhéré à cet interdit. A ma connaissance, nous n’avons pas trace d’un pasteur attrapé pour avoir prononcé des paroles ou des prières clandestines à l’inhumation de quelqu’un. Il faut dire que les rites funéraires sont l’un des terrains sur lesquels s’est joué l’identité protestante.

Comment cela?
L’absence de rites ecclésiastiques constitue la démonstration publique de la foi réformée au sens de la confiance dans le salut promis: il n’est pas besoin d’intervenir, car celui qui meurt dans la foi est assuré d’être sauvé selon la promesse de Dieu qui a sacrifié son fils pour le salut des hommes. Dans cette optique, prier pour les morts, c’est marquer une défiance vis-à-vis de cette promesse.

Comment les protestants en sont-ils arrivés à se réapproprier les enterrements?

Au XIXᵉ siècle, les protestants se retrouvent dans une situation de concurrence territoriale avec le catholicisme. Or le terrain funéraire est précisément l’un des lieux où se joue cette rivalité. Le protestantisme doit aussi se défendre contre tout un discours accusant les protestants d’«ensauvager la mort». «Ils enterrent leurs morts comme des chiens», entend-on alors. La nécessité de ritualiser la séparation se fait dès lors ressentir: il faut montrer que les réformés savent aussi accompagner le mort et son entourage pour éviter les départs vers le catholicisme.

Concrètement, comment va se faire ce retournement?

Il faudra attendre le XIXᵉ siècle pour assister à la réintroduction, par étapes, d’un rite ecclésiastique. C’est-à-dire qu’on va d’abord autoriser une prise de parole pastorale au cimetière, mais sans aucun passage à l’église jusqu’à la fin du siècle, voire début du XXᵉ. Ce retournement sera le fruit d’initiatives personnelles de plusieurs pasteurs qui sont non seulement dans des situations de concurrence confessionnelle, mais également en résistance face à une sécularisation montante.

C’est-à-dire?

Il y a des discours tout à fait clairs, dans ces débats du XIXᵉ siècle, sur le fait que le moment du deuil est un moment de fragilité émotionnelle dont l’Église doit profiter pour reconquérir les âmes refroidies. D’ailleurs, aujourd’hui encore, ce sont souvent les rites de passage (baptêmes, mariages, funérailles) qui maintiennent le lien entre les Eglises et leurs fidèles.

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