A Gaza, la difficile mission de continuer à recenser les morts
À l'heure de l'intelligence artificielle, l'accès à des faits vérifiables est crucial. Soutenez le Journal Chrétien en cliquant ici.par Bassam Massoud et Maggie Fick
GAZA/LONDRES (Reuters) – Nom, sexe, âge, numéro de carte d’identité: à la morgue de l’hôpital Nasser, à Khan Younès dans le sud de la bande de Gaza, des employés notent toute information de base dont ils disposent sur les cadavres, enveloppés dans du tissu blanc, de personnes tuées dans les frappes israéliennes.
L’odeur est nauséabonde. Certains corps, gravement mutilés, sont à peine reconnaissables. Seuls ceux ayant été identifiés ou réclamés par des proches peuvent être enterrés et pris en compte dans le bilan du ministère palestinien de la Santé. Les autres cadavres sont stockés dans la chambre froide de la morgue, souvent pendant des semaines.
Depuis l’attaque du Hamas dans des localités du sud d’Israël, qui a fait 1.200 morts le 7 octobre, environ 20.000 personnes ont été tuées dans l’offensive menée en représailles par l’armée israélienne dans la bande de Gaza, selon les autorités de l’enclave, qui estiment que des milliers de personnes supplémentaires ont trouvé la mort sous les décombres des bâtiments détruits par les bombardements.
Le ministère palestinien de la Santé estime qu’environ 70% des tués sont des femmes et des enfants.
Il devient de plus en plus difficile de continuer à recenser les victimes, alors que la plupart des hôpitaux du territoire ont été contraints de fermer au fil des semaines de l’offensive israélienne, que des centaines de médecins et soignants ont été tués, et que les communications sont perturbées par des coupures et une pénurie d’énergie.
Comme d’autres médecins et soignants de Gaza, mais aussi des chercheurs, militants et volontaires internationaux, les employés de la morgue de l’hôpital Nasser veulent s’assurer que les conditions de plus en plus déplorables dans l’enclave n’empêchent pas le décompte des victimes.
« CHOC PSYCHOLOGIQUE »
En dépit de la pénurie d’eau et de nourriture, le personnel de la morgue – dont des bénévoles – ne veut pas abdiquer car il est important de recenser le nombre de Palestiniens tués, souligne Hamad Hassan al Najjar, tenant dans sa main un petit bout de papier sur lequel figurent des informations sur un cadavre.
L’homme de 42 ans souligne les traumatismes engendrés par son travail à la morgue, racontant être régulièrement choqué par l’arrivée du cadavre mutilé d’un ami ou d’un parent.
Parmi les corps transportés à la morgue figurent celui de son directeur, Saïd al Shorbaji, tué début décembre dans une frappe aérienne israélienne de même que plusieurs membres de sa famille. « Il était l’un des piliers » de la morgue de l’hôpital Nasser, dit Hamad Hassan al Najjar, le visage marqué de tristesse et de fatigue.
Sans conteste, à ses yeux, la tâche la plus difficile est de s’occuper des cadavres des enfants, dont certains ont été démembrés. « Cela prend des heures pour retrouver un équilibre psychologique, pour se remettre des effets d’un tel choc. »
Si l’armée israélienne a exprimé ses regrets à l’égard des civils tués depuis le début de la guerre, elle blâme le Hamas, reprochant au groupe contrôlant la bande de Gaza de s’abriter dans des zones densément peuplée du territoire étroit, où vivent quelque 2,3 millions d’habitants.
Israël répète qu’il arrêtera son offensive seulement lorsqu’il aura éradiqué le Hamas, libéré tous les otages et garanti que la bande de Gaza ne représente plus une menace pour sa sécurité.
Répondant à une demande de commentaire, un porte-parole de Tsahal a déclaré que l’armée israélienne « respecte le droit international et prend les précautions possibles pour limiter les pertes civiles ».
L’ONU SE PORTE GARANTE DES DONNÉES DU MINISTÈRE PALESTINIEN
Les données collectées par Hamad Hassan al Najjar et ses collègues sont rassemblées par les employés d’un centre d’information mis sur pied à l’hôpital Nasser par le ministère palestinien de la Santé.
Les représentants du ministère ont quitté leurs bureaux de l’hôpital Al Chifa, dans le nord de la bande de Gaza, à la suite de l’opération terrestre menée mi-novembre par l’armée israélienne.
Ashraf al Qidra, médecin de 50 ans qui est le porte-parole du ministère de la Santé, communique ces données lors de conférences de presse ou via les réseaux sociaux.
Mais le ministère dit ne pas être en mesure, depuis début décembre, de récolter régulièrement les données des morgues des hôpitaux du nord de la bande de Gaza, où les moyens de communication sont hors service, de même que d’autres infrastructures, à cause des raids israéliens.
D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), seuls six des 36 hôpitaux gazaouis étaient en mesure cette semaine d’accueillir des patients. Tous sont situés dans le sud de l’enclave palestinienne.
L’agence onusienne dit penser que le bilan du ministère palestinien de la Santé est inférieur au nombre réel de victimes, citant l’absence du décompte des cadavres n’ayant pas été transportés à l’hôpital ou ceux n’ayant pas été retrouvés. Il est impossible pour l’heure de déterminer l’ampleur de l’écart, selon l’OMS et des experts.
Le président américain Joe Biden a déclaré le 25 octobre n’avoir « aucune confiance » dans les données palestiniennes, alors que le ministère de la Santé n’indique dans son bilan ni la cause des décès, ni s’il s’agit de civils ou de combattants.
CONTACT QUASIMENT PERDU AVEC LES HÔPITAUX GAZAOUIS
A la suite des commentaires du chef de la Maison blanche, le ministère palestinien a publié un rapport de 212 pages détaillant l’identité des 7.028 personnes tuées dans l’enclave entre le 7 et le 26 octobre. Depuis lors, aucune liste de ce type n’a été communiquée, rendant difficiles les efforts pour corroborer les données récentes.
Toutefois, les Nations unies, qui travaillent de longue date avec les autorités sanitaires palestiniennes, continuent de se porter garantes de la fiabilité de ces données.
L’OMS a noté que davantage de civils ont été tués à Gaza depuis le 7 octobre que lors des précédents conflits dans l’enclave, avec une part plus grande de femmes et d’enfants parmi les victimes.
Des représentants israéliens ont dit ce mois-ci penser que les données publiées jusqu’alors étaient globalement exactes. Les autorités israéliennes estiment qu’un tiers des personnes tuées à Gaza sont des combattants ennemis, sans communiquer de nombres précis.
Basé en Cisjordanie occupée, le ministère palestinien de la Santé, qui rémunère les employés gazaouis du ministère, a déclaré avoir récemment perdu quasiment tout contact avec les hôpitaux de la bande de Gaza. Il a aussi fait savoir qu’il était sans nouvelles de centaines de soignants arrêtés par les forces de sécurité israéliennes.
Interrogée sur ces arrestations, l’armée israélienne a indiqué avoir arrêté certains membres du personnel hospitalier sur la base de renseignements selon lesquels le Hamas utilisait des centres médicaux pour ses opérations. Ceux n’étant pas impliqués dans ces activités ont été relâchés après un interrogatoire, a-t-elle dit, sans dévoiler le nombre d’arrestations.
EFFORTS INTERNATIONAUX
Chercheurs, activistes et bénévoles à travers le monde, notamment en Europe, aux Etats-Unis et en Inde, travaillent à l’analyse des données fournies par le ministère palestinien de la Santé pour corroborer les informations sur les victimes et le nombre de civils tués.
Ces travaux sont en grande partie basés sur la liste du 26 octobre dans laquelle figurent noms, numéros de carte d’identité et d’autres informations sur les Palestiniens tués depuis le début du conflit. Certains « fouillent » aussi les réseaux sociaux pour conserver les comptes-rendus effectués par ce biais.
La directrice d’Airwars, une ONG affiliée au département des communications de l’université de Goldsmiths, à Londres, a déclaré qu’une vingtaine de bénévoles collaboraient avec le personnel de l’ONG pour compiler des informations sur les victimes de la guerre, utilisant les réseaux sociaux et le document du ministère palestinien de la Santé.
Il faudrait probablement une année entière pour boucler ce recensement même si la guerre venait à prendre fin demain, a dit Emily Tripp à Reuters.
« Des civils tués sont des déplacés, ce qui les rend difficilement identifiables par des voisins », a-t-elle indiqué. « Compter et identifier (les morts) est un processus vraiment compliqué ».
(Reportage Bassam Massoud à Gaza et Maggie Fick à Londres, avec Nidal Al-Mughrabi au Caire, Ali Sawafta à Ramallah, Frank Jack Daniel et Dan Williams à Jérusalem, Jana Choukeir à Dubai et Emma Farge à Genève; Jean Terzian pour la version française, édité par Jean-Stéphane Brosse)
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