Front anti-Macron contre front républicain, dernier jour de campagne dans une France divisée
Il y a celle qui provoquerait « une guerre civile », et celui qui « n’aime pas les Français »: au dernier jour de la campagne de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron et Marine Le Pen en étaient réduits vendredi à tenter de mobiliser les électeurs sur le rejet de leur adversaire.
Faute de réelle adhésion à leurs programmes au-delà de leur base partisane, et après un débat télévisé qui n’a pas permis de les départager aussi clairement qu’en 2017, les deux finalistes jetaient leurs dernières forces dans la bataille en convoquant le « front républicain » contre l’extrême droite pour le président sortant, le « tout sauf Macron » pour la candidate du Rassemblement national (RN).
Emmanuel Macron fait figure de favori à deux jours du deuxième tour, avec 10 à 14 points de pourcentage d’avance sur sa rivale, selon les sondages, mais sa marge de sécurité est plus étroite qu’en 2017, quand il avait obtenu 66,1% des suffrages exprimés, et l’incertitude est grande sur le niveau réel de la participation.
« La vraie question, c’est, est-ce qu’on peut arracher les Français à l’abstentionnisme en refusant de faire campagne comme il (Macron) l’a fait avant le premier tour et en descendant de l’Olympe exclusivement pendant quelques jours pour pouvoir en réalité, plutôt que présenter son projet, insulter gravement son adversaire? », a déclaré Marine Le Pen sur CNews et Europe 1 vendredi.
Au « mépris » et à « l’arrogance » dont aurait fait preuve selon elle son adversaire pendant le débat, une ligne qu’elle a martelée pendant son ultime meeting jeudi soir à Arras (Nord), et un reproche qu’Emmanuel Macron avait lui-même entendu de la bouche d’habitants de Saint-Denis plus tôt dans la journée, la candidate du RN a cherché à opposer son « bon sens de mère de famille ».
« APAISER LES COLÈRES »
« Il n’aime pas les Français », a-t-elle conclu en écho au rejet viscéral qu’inspire le chef de l’Etat chez certains Français, anciens « gilets jaunes », opposants aux mesures sanitaires ou autres travailleurs modestes, « oubliés de la mondialisation » et inquiets pour leur pouvoir d’achat, dont beaucoup ont voté pour le candidat d’extrême gauche Jean-Luc Mélenchon au premier tour.
Face à ce « front anti-Macron » disparate, le président sortant en a une nouvelle fois appelé vendredi au « front républicain » contre une extrême droite qui « vit de ses peurs et de ses ressentiments ».
Comme jeudi à Saint-Denis, où il a dénoncé la stigmatisation de la population musulmane par sa rivale, une attitude qui porte selon lui les germes d’une « guerre civile », Emmanuel Macron a cependant reconnu que Marine Le Pen se nourrissait aussi des échecs de son quinquennat.
« De ce que nous n’avons pas réussi à faire, des choses que moi-même je n’ai pas réussi à faire, c’est-à-dire apaiser certaines colères, répondre suffisamment vite à des demandes et en particulier réussir à donner des perspectives de progrès et de sécurité aux classes moyennes et aux classes populaires françaises », a-t-il dit sur France Inter.
C’est à la rencontre de ces Français qui « ne veulent plus de Macron », selon l’expression du maire RN d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), Steve Briois, que Marine Le Pen est allée pendant les derniers jours de la campagne dans les Hauts-de-France, où elle a réalisé de gros scores au premier tour.
« VIRER MACRON »
Jeudi à Roye (Somme) et Arras, vendredi à Etaples-sur-Mer (Pas-de-Calais), elle a cherché à convaincre la « majorité silencieuse » qu’elle aura à répondre dimanche à une question simple: « Macron ou la France ».
« Marine Le Pen, elle est proche du peuple pour les gens qui n’ont pas beaucoup d’argent », assure David Perrault, 47 ans, boulanger-pâtissier à Etaples, alors que la candidate déambule dans les rues de la ville de 11.000 habitants, prenant des selfies et s’arrêtant pour caresser des chiens.
« L’autre, il fait tout pour les riches », ajoute-t-il au sujet d’Emmanuel Macron, qui est inscrit sur les listes électorales de la ville toute proche du Touquet, où il votera dimanche.
« Le but, c’est de virer Macron car il a mis la France dans la misère », renchérit Pascal Blondel, un jardinier de 52 ans, ancien « gilet jaune » et militant du RN.
Erika Herbin, une gardienne de prison de 43 ans qui a assisté au meeting d’Arras, se dit convaincue que Marine Le Pen « peut vraiment rendre du pouvoir d’achat au peuple, rendre le sourire au peuple, rendre l’oxygène au peuple ».
La candidate séduit en grande majorité des travailleurs modestes: aides soignantes, aides ménagères, ouvriers métallurgistes… Des électeurs qui avaient pour certains choisi Jean-Luc Mélenchon au premier tour et dont le député RN du Pas-de-Calais Emmanuel Blairy se dit convaincu qu’ils « peuvent voter pour elle » après avoir regardé le débat et en avoir « parlé en famille ».
« Ça se décide là, maintenant », veut-il croire.
(Reportage d’Elizabeth Pineau à Arras et Etaples-sur-Mer, rédigé par Tangi Salaün, édité par Sophie Louet)