France Telecom et Didier Lombard condamnés pour harcèlement moral
par Simon Carraud
PARIS (Reuters) – France Telecom a été condamné vendredi pour « harcèlement moral » institutionnalisé, une première pour une entreprise de cette envergure, de même que son ancien PDG Didier Lombard dans l’affaire déclenchée par une vague de suicides de salariés il y a une dizaine d’années.
Le tribunal correctionnel de Paris a condamné l’ex-dirigeant à un an de prison, dont huit mois avec sursis, et 15.000 euros d’amende et le groupe, rebaptisé Orange en 2013, à 75.000 euros d’amende pour des faits datant de 2007 et 2008.
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A l’exception du sursis, les juges ont prononcé les peines maximales, suivant en cela les réquisitions prononcées par le ministère public au terme de ce procès qui était aussi celui du mal-être au travail.
L’ex-numéro deux de France Telecom Louis-Pierre Wenes et le directeur des ressources humaines de l’époque, Olivier Barberot, ont écopé des mêmes peines que Didier Lombard.
Quatre autres anciens hauts cadres ont été déclarés coupables de complicité de harcèlement moral et condamnés à quatre mois avec sursis et 5.000 euros d’amende.
Les prévenus, qui n’iront pas en prison, ont en revanche été relaxés pour la période 2009-2010.
La plupart d’entre eux ont fait savoir qu’ils allaient faire appel, contrairement à Orange.
« Le groupe poursuit sa politique de renforcement du lien social dans l’entreprise au travers notamment d’un dialogue constructif et continu avec les organisations syndicales », est-il écrit dans un communiqué de l’opérateur, visiblement soucieux de tourner la page de cette affaire douloureuse qui a écorné son image et provoqué le départ d’une partie de la haute hiérarchie.
Aux amendes s’ajoutent plusieurs millions d’euros que devront verser collectivement les accusés au titre des dommages-intérêts et des frais de justice à la centaine de personnes parties civiles ainsi qu’aux syndicats et associations qui ont joué un rôle moteur dans la procédure.
Le délibéré clôt un procès long de deux mois, durant lequel les différentes parties ont tenté de faire la lumière sur les pratiques managériales en vigueur au sein de cet ancien fleuron du service public au cours des années 2000, qui ont eu pour effet, selon le tribunal, de déstabiliser de nombreux salariés.
« TOUS ÉTAIENT FRAPPÉS »
A cette époque, l’entreprise mettait en oeuvre un plan visant à réduire les effectifs de 22.000 personnes et à en transférer 10.000 autres, au besoin en exerçant des pressions sur les agents, en procédant à des mutations forcées, en menant des contrôles tatillons ou en poussant au surmenage.
Dans leur délibéré, les juges font état d’une « dégradation des conditions de travail », d’un « climat anxiogène » à tous les échelons et d’une politique « jusqu’au-boutiste » de réduction des effectifs. « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés », écrivent-il dans le jugement, citant la fable « Les animaux malades de la peste », de Jean de La Fontaine.
« Il ne s’agit pas, enfin, de critiquer les choix stratégiques d’un chef d’entreprise, notamment celui d’une politique de déflation des effectifs » mais à condition qu’elle soit « respectueuse du cadre légal et fixe un objectif accessible sans recourir à des abus », soulignent-ils.
L’avocat de Didier Lombard, Jean Veil, a par la suite tonné devant les journalistes contre « ces juristes qui manifestement, sur le plan économique, ne voient pas que le monde est en train de changer et que faire des plans de licenciement prétendument raisonnables, ça n’a aucun concept juridique ».
A l’audience, les anciens hauts responsables ont contesté tout harcèlement moral et défendu la légitimité de leur plan de réduction des effectifs, qui s’imposait selon eux.
Les juges d’instruction avaient retenu 39 cas individuels – près de 20 suicides, des tentatives et des dépressions – qui ont été passés en revue à l’audience. Des dizaines de témoins, experts, anciens salariés et proches de personnes qui se sont suicidées ont pris la parole au cours des débats.
(édité par Jean-Michel Bélot et Bertrand Boucey)
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