Draghi appelle à des réformes et des investissements pour relancer l’économie de l’UE
par Philip Blenkinsop
BRUXELLES (Reuters) – L’Union européenne (UE) a besoin d’une politique industrielle bien plus coordonnée, d’une prise de décisions plus rapide et d’investissements considérables si elle veut tenir la cadence économique face à ses rivaux, les États-Unis et la Chine, déclare Mario Draghi dans un rapport rendu public lundi.
La Commission européenne avait demandé en 2023 à l’ancien directeur de la Banque centrale européenne (BCE) et ex-président du Conseil italien de rédiger un rapport sur la manière dont l’Union européenne pourrait demeurer compétitive en matière d’économie verte et numérique dans un contexte de vives tensions géopolitiques.
« La situation actuelle est vraiment inquiétante », a déclaré Mario Draghi lors d’une conférence de presse à Bruxelles.
« La croissance ralentit depuis longtemps en Europe, mais nous l’avons ignorée (…) Nous ne pouvons plus l’ignorer. Les conditions ont changé. »
Dans l’introduction du document long de quelque 400 pages, Mario Draghi souligne que l’UE doit investir 750 milliards à 800 milliards d’euros supplémentaires par an, soit 5% de son PIB, un chiffre bien plus élevé que les 1 à 2% prévus par le plan Marshall pour la reconstruction de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale.
« Soit vous le faites, soit vous vivez une lente agonie », a prévenu l’ancien argentier.
Les pays de l’UE se sont déjà adaptés à la nouvelle réalité, estime Mario Draghi, mais leur efficacité est entravée par un manque de coordination.
Les différents niveaux de subventions entre les pays de l’Union sont néfastes pour le marché unique, la fragmentation empêche d’atteindre les objectifs nécessaires pour demeurer compétitif au niveau mondial, et le processus de prise de décision au sein de l’UE est complexe et lent.
Le rapport préconise que le vote à la majorité qualifiée, plutôt qu’à l’unanimité, soit étendu et qu’en cas de dernier recours, les pays partageant les mêmes idées puissent agir seuls sur certains projets.
« Il faudra recentrer les travaux de l’UE sur les questions les plus urgentes, assurer une coordination efficace des politiques autour d’objectifs communs et utiliser les procédures de gouvernance existantes d’une nouvelle manière qui permette aux États membres désireux d’aller plus vite de le faire », peut-on lire.
« DÉFIS EXISTENTIELS »
Pour financer les investissements massifs préconisés, Mario Draghi estime que de nouvelles sources de financement communes pourraient être nécessaires, une politique à laquelle l’Allemagne reste très réticente.
Le ministre allemand de l’Economie, Robert Habeck, a néanmoins soutenu lundi le rapport de Mario Draghi. « L’Europe toute entière est confrontée à des défis existentiels que nous ne pouvons surmonter qu’ensemble », a-t-il déclaré.
Dans son rapport, Mario Draghi pointe également le rôle de la Commission européenne comme autorité de régulation de la concurrence. Il propose qu’elle fonde ses approbations de fusions non seulement sur la concurrence au sein des frontières de l’UE mais aussi sur la capacité d’une acquisition à stimuler l’innovation dans des secteurs tels que la technologie.
Le rapport contient également des propositions pour 10 secteurs économiques, dont l’énergie, l’intelligence artificielle (IA), la pharmacie et l’aérospatial.
Au cours des deux dernières décennies, la croissance de l’UE a été surpassée par celle des États-Unis, et la Chine la rattrape rapidement. D’après Mario Draghi, cet écart s’explique en grande partie par un manque de productivité.
Le rapport de Mario Draghi a été publié alors que des doutes commencent à émerger autour du modèle économique de l’Allemagne, autrefois considéré comme le moteur de l’UE, après que Volkswagen a déclaré son intention de fermer des usines dans le pays pour la première fois de son histoire.
« De plus, les récents développements politiques en France, malgré la nomination de (Michel) Barnier au poste de Premier ministre la semaine dernière, nous rendent beaucoup plus sceptiques quant à la capacité de l’UE à faire preuve d’une ambition budgétaire significative », soulignent les analystes du cabinet de conseil en risques politiques Eurasia Europe.
Pour Mario Draghi, l’Union européenne lutte pour faire face à la hausse des prix de l’énergie après avoir renoncé à l’accès au gaz bon marché en provenance de Russie et ne peut plus compter sur l’ouverture des marchés étrangers.
L’ancien directeur de la BCE estime que l’UE doit encourager l’innovation et faire pression sur les prix de l’énergie tout en poursuivant ses objectifs de décarbonisation, de réduction de sa dépendance à l’égard de pays tiers tels que la Chine et d’augmentation de ses investissements dans le domaine de la défense.
(Rédigé par Philip Blenkinsop; version française Pauline Foret et Blandine Hénault, édité par Sophie Louet et Zhifan Liu)