L’Europe retient sous souffle avant le second tour des législatives en France
par Andrew Gray et Michel Rose
BRUXELLES/PARIS (Reuters) – A trois jours du second tour des élections législatives en France, l’Europe retient sous souffle face à un scrutin qui pourrait ébranler autant l’avenir du pays que celui de l’Union européenne (UE).
Quel que soit le résultat du second tour de ce dimanche, il semble déjà évident que le rôle d’Emmanuel Macron en tant que moteur de l’intégration européenne sera considérablement amoindri.
Le Rassemblement national (RN) est arrivé en tête du premier tour des élections législatives dimanche dernier, devançant le « Nouveau Front populaire » (NFP) et le camp présidentiel dans un scrutin dont l’enjeu politique revêt un caractère inédit dans l’histoire de la Ve République.
Deux issues apparaissent pour le second tour: une majorité absolue pour le RN qui porterait la formation d’extrême droite au pouvoir ou une Assemblée nationale sans majorité, avec le risque d’un pays ingouvernable. Les deux scénarios constitueraient des défis sans précédent pour l’UE, dont la France est la deuxième puissance économique.
Bruxelles craint notamment une victoire du RN, qui obligerait Emmanuel Macron, pro-européen fervent, à « cohabiter » avec un gouvernement ouvertement eurosceptique.
Une Assemblée nationale sans majorité, aboutissant à une coalition de formations très divergentes ou à des alliances au cas par cas, priverait également le chef de l’Etat d’un gouvernement pleinement engagé dans ses politiques.
Dans les deux cas, un grand point d’interrogation pèserait sur certaines des initiatives phares d’Emmanuel Macron à Bruxelles, du combat pour une Europe plus autonome stratégiquement et moins dépendante des Etats-Unis jusqu’au déploiement d’instructeurs français en Ukraine pour former les soldats ukrainiens.
L’UE risque en outre d’être confrontée à une double paralysie politique, alors que le « moteur » franco-allemand est aussi menacé par les difficultés internes du chancelier allemand Olaf Scholz.
Les partis de la coalition gouvernementale au pouvoir en Allemagne ont essuyé un revers cuisant lors des élections européennes de juin et le pays se prépare à une forte poussée de l’extrême droite lors des prochaines élections régionales.
Si les partis d’extrême droite sont encore loin de dominer au Parlement européen, ils ont réalisé des gains significatifs lors des dernières élections législatives européennes et ont pris le pouvoir dans plusieurs pays.
Aux Pays-Bas, un nouveau gouvernement composé de représentants de la formation populiste de Geert Wilders vient d’être investi. En Italie, le parti d’extrême droite Fratelli d’Italia de la présidente du Conseil Giorgia Meloni est ressorti grand gagnant du scrutin européen.
De son côté, la Hongrie, dirigée par le Premier ministre nationaliste Viktor Orban, vient de prendre la présidence tournante du Conseil de l’UE et a annoncé la création d’un nouveau groupe parlementaire européen aux côtés d’autres partis populistes et d’extrême droite.
« Une France et une Allemagne plus faibles, associées à une Italie et une Hongrie plus fortes, façonneront clairement l’avenir de l’UE », prévient Elizabeth Kuiper, directrice associée du groupe de réflexion European Policy Centre.
UN GOUVERNEMENT MOINS FAVORABLE À L’UE
Conscient du risque d’affaiblissement, Emmanuel Macron a averti ses homologues européens lors du dernier sommet que la France, pays fondateur de l’UE, continuerait à jouer un rôle de premier plan au sein du bloc, selon des responsables français.
Alors que se décident en ce moment même les nominations aux postes clés de l’UE – les « top jobs » dans le jargon bruxellois – Emmanuel Macron a senti nécessaire d’envoyer un message aux autres délégations, où la tentation peut exister de profiter d’un flottement à Paris pour placer leurs pions.
« La semaine dernière quand on était à Bruxelles, le message du Président c’était ‘merci pour votre sollicitude, mais ne comptez pas sur la France pour oublier ce qu’elle est’, » selon un responsable français qui a requis l’anonymat.
« Au Conseil européen, les choses se jouent à la majorité qualifiée renforcée, et la France reste la France, avec son poids ».
Emmanuel Macron a déjà réussi à négocier un poste clé de la Commission pour un de ses fidèles, son ancien conseiller Europe Alexandre Adam, selon une source bien informée. Le Français deviendrait directeur de cabinet adjoint d’Ursula von der Leyen si celle-ci était confirmée par le Parlement à la rentrée.
Des diplomates soulignent toutefois qu’une grande partie du travail politique de l’UE se fait lors des réunions des ministres dans les différents conseils bruxellois. Or il semble déjà acquis que ces ministres ne répondront plus à Emmanuel Macron, mais à un hypothétique gouvernement de cohabitation.
Certains diplomates estiment que si Jordan Bardella, candidat du RN au poste de Premier ministre, parvenait à former un gouvernement, il pourrait essayer d’adopter une position semi-coopérative avec les institutions de l’UE, en suivant l’exemple de Giorgia Meloni en Italie.
Mais dans cette hypothèse, des affrontements de Jordan Bardella avec Emmanuel Macron et Bruxelles sembleraient inévitables au vu du programme et des déclarations du parti d’extrême droite.
Ainsi, la cheffe de file du RN Marine Le Pen a remis en cause la prérogative du président de nommer le commissaire européen de la France au sein du prochain exécutif européen. Emmanuel Macron a dit souhaiter conserver dans le poste son titulaire actuel, Thierry Breton, ce que à quoi s’oppose le RN.
« Bonne chance à Bardella pour faire approuver un commissaire européen RN par le Parlement européen », soufflait cependant un diplomate français sous couvert d’anonymat.
Le parti d’extrême-droite souhaite également que la France réduise de deux milliards d’euros sa contribution au budget de l’UE, ce que Bruxelles n’est pas disposée à concéder.
Même si le RN échoue à former un gouvernement, un exécutif issu d’une coalition « plurielle » pourrait se retrouver sans direction claire, alors que seul un engagement de tous les instants et une volonté de fer peuvent faire avancer la machine bruxelloise.
« Le problème pour l’UE est que si les États membres ne la soutiennent pas fermement, il est très difficile (d’aller de l’avant) », dit Karel Lannoo, directeur général du groupe de réflexion Centre for European Policy Studies, soulignant que les initiatives visant à stimuler la compétitivité économique du bloc, telles que l’union des marchés de capitaux, pourraient ainsi s’embourber.
(Avec Philip Blenkinsop, version française Diana Mandiá, édité par Blandine Hénault)