La contestation agricole pousse les décideurs à agir avant les élections européennes
BESOIN DE 5000 PARTENAIRES POUR LA CHAÎNE CHRETIENS TVpar Kate Abnett
BRUXELLES (Reuters) – Entre allègement de normes environnementales, limites sur les importations de céréales ukrainiennes libres de droits de douane et suppression de nouvelles réglementations limitant l’utilisation des pesticides, les décideurs européens s’évertuent à calmer la contestation des agriculteurs, dont les revendications résonnent auprès des électeurs en amont du scrutin européen de juin prochain.
De la Pologne au Portugal, les agriculteurs ont obtenu des concessions notables en réponse à leurs démarches contestataires, avec pour effet de redessiner la politique « verte » de l’Union européenne, à désormais deux mois environ des élections européennes.
En France, le gouvernement doit présenter ce mercredi le projet de loi d’orientation sur l’agriculture, initialement attendu plus tôt cette année mais qui a été repoussé et retravaillé après les opérations de blocage menées par les agriculteurs à travers le pays.
D’après des activistes environnementaux et des analystes, cette marche arrière au sein de l’Union européenne met en exergue l’influence politique considérable des agriculteurs, alors que les partis traditionnels tentent d’empêcher les formations nationalistes et d’extrême droite de séduire les électeurs des zones rurales.
Une nouvelle fois, la semaine dernière, des agriculteurs ont bloqué des rues voisines des bâtiments de l’UE à Bruxelles, répandant de l’engrais pour protester contre la faiblesse de leurs revenus, les importations alimentaires à bas-coût et les lourdeurs administratives.
Au même moment, les ministres de l’Agriculture du bloc communautaire ont soutenu une nouvelle série d’amendements destinés à assouplir des lois environnementales liées au versement de dizaines de milliards d’euros de subventions agricoles.
CRÉDIBILITÉ
En 2019, lors des précédentes élections européennes, les écologistes avaient réalisé des gains importants, tandis que la jeune activiste suédoise Greta Thunberg avait été désignée « personnalité de l’année » par le Time Magazine.
Cette année, le scrutin européen sera marqué du sceau des « agriculteurs en colère », a déclaré Franc Bogovic, eurodéputé slovène et lui-même agriculteur.
Les efforts précipités pour apaiser la colère des agriculteurs sont venus affecter des piliers de la politique de l’UE, mettant le bloc sous pression à propos de son Pacte vert et des accords de libre-échange.
Le commissaire européen à l’Environnement, Virginijus Sinkevicius, a prévenu la semaine dernière d’un revers pour la crédibilité du bloc communautaire, après que les pays de l’UE ont refusé d’approuver un texte majeur sur la protection de la biodiversité, jetant un voile sur l’adoption de cette loi.
D’autres mesures environnementales restent en suspens à l’approche des élections européennes.
Il a été demandé la semaine dernière à l’exécutif européen d’alléger, voire même de reporter, une nouvelle politique de lutte contre la déforestation, que certains pays de l’UE considèrent comme une menace potentielle pour leurs agriculteurs.
En France, le Sénat s’est opposé en mars à la ratification du traité de libre-échange entre l’UE et le Canada (Ceta), infligeant un revers à un accord considéré comme un symbole de la volonté de Bruxelles d’ouvrir les marchés européens et de dynamiser la concurrence.
Par ailleurs, si l’UE a prolongé le mois dernier l’exemption de droits de douane pour les produits alimentaires importés d’Ukraine, le bloc est convenu d’imposer des limites sur les volumes de ces importations libres de tarifs douaniers, en réponse aux doléances des agriculteurs.
RUPTURE
Certains groupes du secteur agricole admettent que les mesures mises en oeuvre par les décideurs politiques en réponse à la contestation sont vraisemblablement liées au scrutin de juin, tout en assurant ne pas avoir pour objectif de nuire à la réglementation verte.
« Nos demandes (de prix équitables) n’ont en fait pas été entendues », a déclaré Leonardo van der Berg, un agriculteur néerlandais et représentant de l’association La Via Campesina.
Si les agriculteurs représentent 4,2% des travailleurs de l’UE et génèrent seulement 1,4% du produit intérieur brut (PIB) du bloc, leur mouvement de contestation trouve écho dans les zones rurales, où le mécontentement à l’égard d’une classe politique considérée comme distante et les questions d’identité culturelle occupent une place importante.
D’après un rapport commandé par le Comité européen des régions, publié le mois dernier, les électeurs eurosceptiques sont nombreux dans les zones rurales, dont les préoccupations premières – immigration et difficultés économiques – profitent aux partis populistes.
Une enquête d’opinion réalisée par Elabe en janvier indiquait que 87% des Français soutenaient le mouvement de contestation des agriculteurs. En Pologne, près de 8 sondés sur 10 ont dit soutenir les demandes des agriculteurs, selon l’Institut de recherche sur les marchés et la société.
En France, comme ailleurs en Europe, l’extrême droite a décrit la contestation agricole comme l’illustration d’une rupture entre l’élite urbaine et les cols bleus de la campagne.
Si les agriculteurs représentent un groupe restreint, l’extrême droite pense pouvoir attirer par extension un groupe plus élargi d’électeurs ruraux, a commenté Antonio Barroso, analyste chez Teneo.
Les partis d’extrême droite s’évertuent à se présenter comme les porte-étendard de la colère agricole, se servant de ce mouvement pour illustrer ce qu’ils présentent comme l’échec de politiques vertes élitistes, a déclaré Simone Tagliapietra, du cercle de réflexion Bruegel. « Cela pousse les partis politiques traditionnels à recalibrer leurs propres priorités ».
Les électeurs sont de plus en plus nombreux à soutenir le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen, qui a appelé à la suspension des accords européens de libre-échange.
« CARTE POLITIQUE »
A la question de savoir pourquoi les agriculteurs parvenaient si efficacement à influencer les décisions politiques, les ministres européens de l’Agriculture les ont décrit comme les moteurs de l’économie rurale.
« Tout le monde a besoin de manger tous les jours », a déclaré la semaine dernière à Bruxelles la ministre finlandaise de l’Agriculture, Sari Essayah, ajoutant qu’il s’agissait de l’un des secteurs essentiels que l’UE devait soutenir.
Son homologue irlandais, Charlie McConalogue, a estimé pour sa part que l’Europe devait apprendre des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement provoquées par l’invasion russe de l’Ukraine. « Nous ne pouvons prendre pour acquis la sécurité alimentaire », a-t-il dit.
Des activistes de la protection environnementale disent s’inquiéter de la rapidité avec laquelle les politiques vertes sont assouplies, déplorant ce qu’ils décrivent comme de l’opportunisme politique.
Selon Greenpeace, les modifications apportées aux critères fixés pour le versement des subventions prévues par la Politique agricole commune (PAC) de l’UE ont été mises en oeuvre à une vitesse éclair et en l’absence des consultations adéquates.
Ce qui est présenté par les responsables européens comme « un ensemble d’ajustements de simplification est en fait une réforme de la PAC élaborée en une semaine », a estimé Marco Contiero, directeur de la politique agricole européenne chez Greenpeace.
« Il s’agit d’une carte politique, électorale qui est utilisée », a-t-il ajouté.
Un porte-parole de la Commission européenne a déclaré que les propositions pour amender la PAC étaient « calibrées avec soin », avec l’objectif de « maintenir un degré élevé d’ambition environnementale et climatique ».
Quatre associations agricoles européennes et les Etats membres du bloc ont été consultés par la Commission avant de proposer les mesures allégeant le processus bureaucratique pour les agriculteurs, a ajouté le porte-parole.
(Kate Abnett, avec Philip Blenkinsop à Bruxelles et Sybille de la Hamaide à Paris; version française Jean Terzian, édité par Zhifan Liu)