Zone euro: La BCE abaisse ses taux mais relève ses prévisions d’inflation
par Claude Chendjou
PARIS (Reuters) – La Banque centrale européenne (BCE) a, comme prévu, annoncé jeudi une réduction de 25 points de base de ses trois taux directeurs, première baisse des coûts d’emprunt dans un cycle de resserrement monétaire entamé en juillet 2022 pour lutter contre une inflation qui a culminé à deux chiffres.
Elle a toutefois relevé ses prévisions d’inflation pour 2024 et 2025, signalant que la lutte contre la hausse des prix n’était pas terminée.
Le taux de facilité de dépôt, monté à 4,0%, son niveau le plus élevé depuis la création de l’euro en 1999, à la suite de dix relèvements consécutifs des coûts d’emprunt entre juillet 2022 et septembre 2023, passe ainsi à 3,75%.
Le taux de refinancement et le taux de facilité de prêt marginal sont eux abaissés respectivement à 4,25% et 4,5% contre 4,5% et 4,75% auparavant.
Parallèlement, la BCE a relevé à 2,5% sa prévision d’inflation en 2024, contre 2,3% prévu précédemment, et à 2,2% pour 2025 (contre 2,0%) alors qu’elle misait auparavant sur un retour de l’inflation à sa cible – de 2% – l’an prochain.
« Malgré les progrès observés ces derniers trimestres, les tensions sur les prix d’origine interne restent fortes, en raison de la croissance élevée des salaires, et l’inflation devrait rester supérieure à l’objectif pendant une grande partie de l’année prochaine », a indiqué la BCE dans un communiqué.
Commentant les annonces de l’institution dans une conférence de presse, Christine Lagarde a souligné que la lutte contre l’inflation se poursuivait.
« Nous ne nous engageons pas à l’avance sur une trajectoire de taux en particulier », a-t-elle déclaré, en lisant un extrait du communiqué du Conseil des gouverneurs.
UNE POLITIQUE TOUJOURS RESTRICTIVE?
Priée de dire si la BCE entrait dans une phase de « retrait » de sa politique monétaire restrictive, Christine Lagarde a répondu qu’elle ne pouvait pas confirmer qu’un tel processus était en cours, mais qu’il y avait « une forte probabilité ».
« Mais cela dépendra des données, et ce qui est très incertain, c’est la vitesse à laquelle nous voyageons et le temps que cela prendra », a-t-elle ajouté.
Plusieurs responsables de premier plan de la banque centrale, dont Isabel Schnabel et Klaas Knot, ont déjà plaidé en faveur d’une pause sur les taux le mois prochain.
Christine Lagarde s’est elle-même montrée assez prudente dans ses commentaires, donnant à penser que la baisse de taux décidée jeudi ne serait pas reconduite dans l’immédiat, alors qu’un membre du Conseil des gouverneurs s’est opposé à la décision prise jeudi.
Trois sources ont indiqué à Reuters que la voix dissidente est celle de Robert Holzmann, gouverneur de la banque centrale autrichienne.
« A notre avis, cela suggère qu’il est peu probable que nous assistions à des réductions successives (de taux) en juillet », relève Diego Iscaro en charge de l’économie européenne chez S&P Global Market Intelligence.
Pour Matthieu Bailly, président et directeur général délégué d’Octo AM, la réduction des coûts d’emprunt décidée par la BCE ne peut cependant pas être un acte isolé dans le cycle actuel.
« Historiquement, il n’y a jamais eu de baisse de taux qui ne soit pas suivie d’une autre. Et même si cela ne veut pas dire qu’une baisse aura lieu le mois prochain, d’ici 12 à 18 mois, le taux d’équilibre sera autour de 2% à 3% », a-t-il dit.
Chez Nomura, l’économiste Andrzej Szczepaniak voit trois baisses de taux cette année et trois autres baisses l’an prochain, ce qui ramènerait le taux de dépôt de la BCE en septembre 2025 à 2,5%.
HAUSSE DE L’EURO ET DES RENDEMENTS
Les investisseurs sur le marché monétaire ont cependant réduit leurs anticipations sur les baisses de taux après les annonces de la BCE et ne prévoient plus qu’une réduction supplémentaire du loyer de l’argent cette année.
Sur les marchés financiers, les annonces de la BCE ont fait remonter l’euro et les rendements obligataires de la zone euro tandis que les indices actions de la région réduisaient légèrement leur avance.
« Le ton dans l’immédiat est celui d’une ‘baisse restrictive’ (‘hawkish cut’ en anglais). Ce n’est pas une banque centrale qui se montre pressée d’assouplir sa politique », observe Mark Wall, économiste pour l’Europe chez Deutsche Bank.
Matthieu Bailly d’Octo AM minimise cependant la légère tension observée sur les rendements obligataires en zone euro, soulignant qu’ils avaient nettement réculé dans les précédentes séances.
Quant à l’euro, qui progresse face au dollar, malgré selon certains analystes le risque d’un découplage des politiques monétaires entre la Fed et la BCE – une baisse des taux aux Etats-Unis n’étant pas attendue avant septembre – ce rebond est surtout jugé technique.
Matthieu Bailly voit l’euro évoluer à court terme dans une fourchette comprise entre 1 et 1,10 dollar, notant que la monnaie unique reste attractive d’un point de vue géopolitique, ce qui compense ses faiblesses en termes de déficits publics élévés de certains Etats membres et de faible croissance économique comparativement aux Etats-Unis.
(Avec la contribution de Blandine Hénault à Paris, Francesco Canepa et Balazs Koranyi à Francfort, édité par Kate Entringer)