Pour ou contre le retour des chrétiens arméniens au Haut-Karabakh
Avec une interpellation et une motion intitulée « Forum sur la paix dans le Haut-Karabakh : permettre le retour de la population arménienne », Erich Vontobel, conseiller national (UDF), s’engage pour la protection des Arméniens d’origine chrétienne. Les rencontres, lors de son voyage en Arménie fin septembre 2024, l’ont profondément impressionné. En même temps, il s’inquiète des divisions et de la sécurité dans l’État du Caucase.
CSI : Le Haut-Karabakh était-il déjà un sujet de préoccupation pour vous avant votre contact avec CSI ?
Erich Vontobel : Oui, j’avais suivi les développements dans les médias. J’ai eu un lien plus profond lorsque, fin janvier 2024, la Commission de politique extérieure du Conseil national (CPE-N) m’a attribué le dossier sur l’Arménie et le Haut-Karabakh. Peu après, j’ai été contacté par un Arménien qui m’a parlé de la situation au Haut-Karabakh.
En juillet, lors d’un événement CSI à Berne, j’ai rencontré des personnes qui s’engagent pour les Arméniens.
Quelle a été votre motivation pour votre voyage en Arménie ?
C’était une décision spontanée prise le 20 septembre 2024. Ma femme et moi voulions nous faire une idée de ce pays. En même temps, nous voulions parler avec des Arméniens déplacés du Haut-Karabakh afin de mieux comprendre la situation actuelle.
Y a-t-il eu un moment fort de votre voyage ?
Ma « journée politique » a été très impressionnante. Le matin, nous avons visité le mémorial du génocide Tsitsernakaberd à Erevan et le musée qui s’y rapporte. L’après-midi, j’ai parlé avec Samvel Shahramanian, l’ancien président du Haut-Karabakh. J’ai ensuite rencontré un groupe de douze personnes expulsées du Haut-Karabakh en septembre 2023, dont Vardan Tadevossian, partenaire de CSI. Je voulais savoir comment ils avaient vécu personnellement le nettoyage ethnique au Haut-Karabakh et ce que nous pouvions faire en Suisse.
Vous imaginiez l’Arménie autrement ?
Je n’avais pas d’attentes claires auparavant. J’associais plutôt ce pays à la pauvreté et à la souffrance. Mais c’est surtout Erevan qui m’a surpris : une ville trépidante avec un air occidental. Cela s’explique sans doute par le fait que de nombreux Arméniens de l’étranger soutiennent généreusement leur pays. Toutefois, l’écart de prospérité entre la ville et la campagne est palpable.
Pourtant, j’ai rencontré partout des gens aimables et serviables. On m’a même dit que l’on pouvait laisser son sac de courses avec son porte-monnaie… le lendemain, je pourrais probablement tout retrouver.
Qu’est-ce qui vous a attristé ?
D’après mes impressions, le pays est divisé entre les habitants de longue date de la République d’Arménie et les quelque cent mille Arméniens déplacés du Haut-Karabakh. Le gouvernement arménien ne semble pas avoir un grand intérêt à intervenir auprès de l’Azerbaïdjan pour un retour des réfugiés au Haut-Karabakh. Je pense qu’il espère plutôt que ces derniers émigreront ou se feront naturaliser en Arménie et abandonneront leurs espoirs de retour.
Le gouvernement ne veut apparemment pas contrarier l’Azerbaïdjan, en espérant que l’Arménie soit laissée en paix. Mais cela pourrait être trompeur. De nombreuses personnes craignent qu’après la conférence mondiale sur le climat qui se déroulera à Bakou, l’Azerbaïdjan ne soit plus au centre de l’attention mondiale et qu’il attaque ensuite le sud de l’Arménie.
Ce qui m’a particulièrement affecté : les Arméniens réfugiés n’ont pas le droit de vote et d’éligibilité en Arménie. Cela les fait passer pour des citoyens de seconde zone.
Comment avez-vous vécu la visite du cimetière militaire d’Erablur, où sont enterrés environ mille jeunes hommes de la guerre du Haut-Karabakh de 2020 ?
C’était bouleversant de se rendre compte de l’ampleur de cette tragédie. Dans le cimetière, on voit des plaques funéraires couchées et toujours une grande plaque debout avec la photo du soldat tombé au combat.
On croise régulièrement des familles vêtues de noir qui entretiennent les tombes de leurs fils, frères et sœurs et se recueillent. Je me demande si, en Occident, nous avons vraiment pris conscience de la tragédie de 2020, qui a coûté la vie à quelque sept mille jeunes hommes.
Vous avez également assisté à une manifestation à Erevan qui a rassemblé environ 2 500 participants demandant le retour des Arméniens au Haut-Karabakh.
Comme notre hôtel se trouvait à proximité, la manifestation était audible. Je m’y suis donc rendu. Il est apparu clairement à quel point les réfugiés du Haut-Karabakh souhaitent que le gouvernement arménien fasse davantage pour leur retour. Actuellement, l’État ne verse aux exilés que l’équivalent de 120 euros par mois, probablement jusqu’à fin 2024 seulement.
Concernant votre engagement politique, vous avez déposé en août 2024 une interpellation signée par quinze conseillers nationaux. Il s’agit du droit au retour des Arméniens du Haut-Karabakh. À quel point est-ce réaliste ?
Si je ne croyais pas à une solution, je mettrais immédiatement fin à mon engagement. Je suis convaincu qu’une solution est possible, probablement avec des compromis de part et d’autre. Un Haut-Karabakh largement autogéré pour les personnes déplacées serait idéal, à condition que les Arméniens qui sont revenus puissent y vivre en paix et bénéficier d’une protection internationale. Cela contribuerait considérablement à la paix dans la région.
Un conflit persistant entraînerait également des conséquences négatives pour l’Azerbaïdjan et, par conséquent, pour la Suisse, étant donné qu’elle entretient des relations économiques étroites avec l’Azerbaïdjan.
Comment avez-vous vécu la collaboration avec CSI en ce qui concerne l’interpellation ?
Je suis impressionné par la compétence politique de CSI et son excellent réseau. Je suis heureux si mon action politique peut également contribuer à soutenir les objectifs de CSI.
Vous avez également déposé une motion ?
Oui, les entretiens avec Vardan et d’autres personnes réfugiées m’ont incité à déposer la motion de commission « Forum sur la paix dans le Haut-Karabakh : permettre le retour de la population arménienne » au sein de la CPE-N. Je suis reconnaissant que ma motion ait été adoptée le 15 octobre 2024 par 14 voix contre 7. Elle sera maintenant traitée par le Conseil national lors de la session d’hiver.
J’espère que la motion de commission sera soutenue et que le Conseil des États la suivra également. La Suisse devrait absolument s’engager en faveur d’une solution pacifique et équitable au Haut-Karabakh, et ce sans délai. Les exilés en Arménie sont soumis à une énorme pression. Je doute qu’ils puissent y résister encore longtemps.
Nous avons maintenant une fenêtre d’opportunité pour agir. Si nous laissons passer cette occasion, nous porterons une part de responsabilité pour ce qui pourrait se passer ensuite.
Interview : Reto Baliarda
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