L’ultraconservateur Raïssi remporte la présidentielle en Iran
par Parisa Hafezi
DUBAI (Reuters) – Ebrahim Raïssi, un juge ultraconservateur visé par des sanctions américaines pour des violations des droits de l’homme, a remporté sans surprise l’élection présidentielle iranienne avec plus de 60% des suffrages exprimés, ont annoncé samedi les autorités de la République islamique, au terme d’un scrutin marqué par une abstention massive.
Ancien magistrat, Ebrahim Raïssi succédera début août au modéré Hassan Rohani qui quitte la présidence après deux mandats consécutifs, limite fixée par la Constitution.
Selon des résultats encore provisoires annoncés à la télévision publique par le ministre de l’Intérieur Abdolreza Rahmani Fazli, Ebrahim Raïssi a remporté 17,9 millions de voix sur 28,9 millions de suffrages exprimés, soit plus de 60%.
Le taux de participation s’est élevé à environ 48,8% et 3,7 millions de bulletins blancs ou nuls ont été décomptés.
Âgé de 60 ans, Ebrahim Raïssi est un proche de l’ayatollah Ali Khamenei, véritable détenteur du pouvoir en Iran, et sa victoire pourrait à terme lui permettre de succéder au Guide suprême de la Révolution islamique. Khamenei a lui-même été président pendant deux mandats avant d’être choisi comme guide suprême pour succéder à l’ayatollah Khomeini en 1989.
Nommé par Khamenei à la tête du pouvoir judiciaire en 2019, Raïssi a été visé quelques mois plus tard par des sanctions américaines pour des violations des droits de l’homme, parmi lesquelles l’exécution de milliers de prisonniers politiques en 1988 et la violente répression des manifestations de 2009 contre la réélection de Mahmoud Ahmadinejad.
L’Iran n’a jamais reconnu des exécutions de masse et Raïssi lui-même n’a jamais évoqué publiquement les accusations à son encontre. Agnès Callamard, la secrétaire générale d’Amnesty International a réagi samedi à l’annonce de son élection en réclamant l’ouverture d’une enquête sur les faits qui lui sont reprochés.
PARTICIPATION « ÉPIQUE »
« Soutenu par votre forte participation et votre confiance exceptionnelle, je formerai un gouvernement dur à la tâche, révolutionnaire et contre la corruption », a déclaré Ebrahim Raïssi dans un communiqué diffusé par les médias d’Etat.
Cité par l’agence de presse Irna, Ali Khamenei a salué l’élection de son protégé et la participation « épique » de la population au scrutin.
« La grande gagnante des élections d’hier a été la nation iranienne, qui s’est une fois de plus dressée face à la campagne de propagande menée par les médias mercenaires de l’ennemi et aux tentatives des malveillants et ignorants et qui a exposé sa présence sur la scène politique du pays », a-t-il déclaré.
Parmi les dirigeants étrangers, Vladimir Poutine a été le premier a féliciter publiquement le nouveau président élu iranien. Selon l’agence de presse RIA, le chef du Kremlin a exprimé l’espoir d’un « approfondissement de la coopération bilatérale » entre les deux pays.
Le président syrien Bachar al Assad et le mouvement islamiste palestinien Hamas, alliés régionaux de l’Iran, ont également salué son élection.
Donné favori par les sondages et soutenu par l’appareil, le futur président iranien était opposé à deux autres candidats conservateurs et à un modéré, l’ancien gouverneur de la banque centrale Abdolnasser Hemmati, qui a rassemblé quelque 2,4 millions de voix, arrivant en troisième position du scrutin.
Outre la disqualification de plusieurs candidats modérés, une partie de la population déplorait avant le scrutin des difficultés économiques exacerbées par des sanctions américaines, mais aussi la corruption et une mauvaise gestion du pays, ainsi que la répression qui a suivi les manifestations de 2019 contre la hausse du prix de l’essence.
POURSUITE DE LA RELANCE DU JCPOA
L’élite dirigeante a été affaiblie début 2020 par la chute d’un avion de ligne ukrainien, abattu par erreur par des tirs de missiles iraniens peu après son décollage de Téhéran dans un moment de fortes tensions avec les Etats-Unis après l’assassinat ciblé en Irak du général Qassem Soleïmani, chef de l’unité d’élite des Gardiens de la révolution. La destruction de l’appareil a fait 176 morts.
Mais de nombreux partisans du camp réformateur en Iran redoutent que l’élection de Raïssi ne déclenche une nouvelle vague de répression.
« J’ai peur, je ne veux pas retourner en prison », déclare Hamidreza, 31 ans, qui ne souhaite pas révéler son nom de famille. « Je suis certain qu’aucune forme de dissidence ne sera plus tolérée », ajoute ce jeune homme qui a été emprisonné pour avoir participé à des manifestations contre la hausse du prix du carburant en 2019.
Hassan Rohani, le président sortant, s’est rendu samedi au siège de campagne d’Ebrahim Raïssi pour le féliciter.
« Nous nous tiendrons au côté du président-élu et nous coopérerons pleinement avec lui au cours des 45 prochains jours, jusqu’à la prise de fonction du nouveau gouvernement », a-t-il dit dans des propos rapportés par les médias d’Etat.
Ebrahim Raïssi devra reprendre en main les négociations ouvertes cette année à Vienne sur la relance de l’accord de 2015 qui encadre les activités nucléaires iraniennes.
S’il n’a pas détaillé ses intentions au cours de sa campagne électorale, ce cacique du régime théocratique iranien s’est engagé à poursuivre les discussions destinées à sauver le Plan d’action global commun (PAGC, ou JCPoA en anglais).
Les parties toujours prenantes du JCPoA – Russie, Chine, Grande-Bretagne, France, Allemagne et Union européenne – tentent de ramener l’Iran et les Etats-Unis dans l’accord, que l’ancien président américain Donald Trump a dénoncé en 2018 en rétablissant les sanctions contre l’Iran, poussant celui-ci à s’en affranchir par étapes.
Selon les négociateurs iraniens, une issue serait à portée de main, même si des questions clés restent à régler.
(version française Nicolas Delame et Jean-Stéphane Brosse)
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