Pas de querelles de clochers face à la crise des semences
VOUS AIMEZ CHRÉTIENS TV? DONNEZ-NOUS LES MOYENS DE PRODUIRE DE NOUVELLES ÉMISSIONS CHRÉTIENNES EN FAISANT UN DON ICIÀ l’occasion de leur annuelle campagne œcuménique de carême, les Églises catholiques et réformées de Suisse s’engagent dans la bataille contre la privatisation des semences par un nombre restreint de multinationales – un enjeu capital pour l’avenir de la planète.
«Source de vie, les semences sont aujourd’hui menacées par les multinationales», lâche Ester Wolf, responsable du département «Droit à l’alimentation» de Pain pour le prochain, le service des Églises protestantes de Suisse pour le développement. «On a atteint un niveau d’inconscience inconcevable», assène pour sa part Joël Vuagniaux, directeur de l’association romande «Ressources de Vie pour Tous», active dans «le domaine des semences, du sol, des autres ressources dites « de vie » (nuit-silence) et d’une chaîne de production alimentaire orientée vers la résilience».
Intitulée «Ensemble pour une agriculture qui préserve notre avenir», la campagne œcuménique de carême 2020 des Églises catholiques et réformées de Suisse s’est précisément donné pour objectif de sensibiliser la population à cet enjeu capital pour l’avenir de la planète. Une problématique plus que jamais actuelle, alors que 60% des semences commerciales sont aujourd’hui contrôlées par trois multinationales.
Le règne de Monsanto & Cie
«Il y a de plus en plus de pression sur les pays du Sud pour qu’ils adhèrent à la Convention internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV)», explique Ester Wolf. Ces normes vigoureuses restreignent la sélection ainsi que la commercialisation des semences. Les familles paysannes sont poussées à utiliser des semences certifiées issue de l’industrie agro-alimentaire. «Les lobby derrière ces législations sont si puissants qu’on surnomme même ces dernières « les lois Monsanto »», souligne la responsable de Pain pour le prochain.
Les conséquences de pareils monopoles sont multiples. Elles se comptabilisent d’abord sur le plan de la diversité. Au cours des cent dernières années, le 75% des variétés existantes ont été perdues, alertent les Églises à travers leur campagne d’information. «Pour les multinationales, le critère de sélection premier est l’homogénéité. Celles-ci privilégient donc les variétés uniformes, garantes d’une meilleure rentabilité, au détriment d’anciennes variétés que l’on laisse disparaître», déplore Denise Gautier, responsable romande de ProSpecieRara, la fondation suisse pour la diversité patrimoniale et génétique liée aux végétaux et aux animaux. «Si l’on continue ainsi, on risque de perdre des caractéristiques qui pourraient être utiles à l’avenir, notamment par rapport aux changements climatiques», avertit le chercheur Claudio Brenni, auteur de l’ouvrage Souveraineté alimentaire et semences (Ed. Alphil).
«Ces semences sont le fruit du travail cumulé de générations de cultivateurs. Elles font partie d’un patrimoine qui appartient à tous, et il n’y a pas de raisons que certains se l’approprient», revendique encore Denise Gautier. Et le directeur de l’association Ressources d’ajouter: «C’est totalement immoral, car le vivant ne devrait appartenir à qui que ce soit.»
Menace sur le droit à l’alimentation
La mainmise des industriels sur ces ressources premières est encore plus pervers dans les pays du Sud, souligne la responsable de Pain pour le Prochain. «Les paysans et paysannes n’ont pas le droit de réutiliser les semences certifiés et doivent les racheter chaque année ce qui les pousse souvent à l’endettement», s’insurge-t-elle. «Cela met clairement en péril le droit à l’alimentation.» «Les agriculteurs sont aujourd’hui dépendants de ces entreprises, c’est incroyable de leur laisser tant de pouvoir sur l’alimentation humaine», s’inquiète encore la responsable romande de ProSpecieRara. Et ce n’est qu’un début, considère Ester Wolf: «L’Afrique encore peu touchée par ce phénomène est devenue une véritable cible pour les multinationales, soit un énorme marché à conquérir pour ces entreprises.»
Mais comment en est-on arrivé là? «Ce processus s’est mis en marche dès les années 1950, quand, au sortir de la guerre, on s’est mis à diffuser le modèle agricole industriel», éclaire Claudio Brenni. «Celui-ci avait pour but de multiplier la production alimentaire et de réduire les problèmes de famines.» Véritable politique de transformation des agricultures, cette «révolution verte» n’a pas manqué de séduire les acteurs du secteur privé. «L’emprise du privé intervient cependant que dans les années 1980», précise le chercheur. «Avec la crise de la dette, les États se désengagent de la politique agricole, ils n’en ont plus les moyens. C’est alors que le secteur privé prend le relais.» Avec les dérives mises aujourd’hui à jour par différents acteurs de la société civile.
«Nous sommes inquiets de voir qu’il n’y a, à l’heure actuelle, pas de politique qui garantisse à tout prix nos ressources de vie», se désole Joël Vuagniaux. «Il en va pourtant de la responsabilité des institutions publiques, or celles-ci sont aujourd’hui phagocytées par les lobby.»
Si la résistance se met en place, les forces semblent bien déséquilibrées. «Les mouvements paysans sont pris en compte dans les négociations, mais les intérêts étatiques et privés sont plus forts», estime le spécialiste Claudio Brenni. Le consommateur aurait-il un rôle à jouer? «Le consommateur est de moins en moins responsable de l’évolution du marché. Pour faire les bons choix, encore faut-il l’avoir, le choix», formule Joël Vuagniaux.
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