En cherchant à augmenter les marges de Stellantis, Tavares a perdu des clients
BESOIN DE 5000 PARTENAIRES POUR LA CHAÎNE CHRETIENS TVpar Giulio Piovaccari, Alessandro Parodi et Inti Landauro
MILAN (Reuters) – Lorsqu’Elena Aragon, 24 ans, a décidé d’acheter une voiture, elle a passé en revue les marques bon marché dans sa ville natale de Cadix, en Espagne – dont Fiat et Peugeot de Stellantis.
Finalement, elle a acheté une Hyundai.
« Les modèles de base de Fiat et Peugeot ne me plaisaient pas. Mais les modèles plus avancés, avec les caractéristiques que je voulais, étaient trop chers », explique la jeune femme, qui a opté pour une voiture compacte i20 équipée de capteurs pour les angles morts et d’une caméra de recul.
« J’ai bénéficié d’une belle remise et j’ai fini par payer 17.000 euros », précise Elena Aragon, instructrice dans une école de contrôleurs aériens.
Le choix d’Elena Aragon illustre le problème rencontré par Stellantis sous la direction de Carlos Tavares, son directeur général qui a démissionné abruptement dimanche.
Les prix de ses marques les plus accessibles ont augmenté, provoquant la fuite de ses clients victimes de l’inflation, selon les entretiens de Reuters avec cinq concessionnaires automobiles, cinq consommateurs, deux cadres de l’industrie automobile, réalisés avant la démission de Carlos Tavares et une étude des prix pratiqués, menée par la société JATO Dynamics.
Dirigeant de Stellantis depuis sa création en janvier 2021 à la suite de la fusion de Fiat Chrysler Automobiles avec la maison-mère de Peugeot PSA, Carlos Tavares avait contenté les investisseurs en réduisant rapidement les coûts et en augmentant les marges d’exploitation à environ 13% l’année dernière, soit près de deux fois celles de ses rivaux Volkswagen et Renault.
Mais après ce départ sous de bons augures, la chute des ventes et l’augmentation des stocks sur le marché américain a conduit Stellantis à émettre un avertissement sur résultats en septembre, et son DG à annoncer peu après qu’il prendrait sa retraite en 2026.
Les investisseurs se sont concentrés sur les difficultés bien connues de Stellantis aux États-Unis. Mais le groupe rencontre aussi des difficultés à domicile, en Europe, comme le montre l’étude de Reuters.
Sous la direction de Carlos Tavares, Stellantis a perdu un tiers de sa part de marché en Europe. Au cours de la même période, Fiat a vu ses parts de marché en Europe diminuer de moitié pour atteindre 1,8%, tandis que celles de Citroën se sont réduites à 2,2%, selon les données de l’association européenne de l’automobile ACEA.
Le principal actionnaire de Stellantis est la famille Agnelli, fondatrice de Fiat, par l’intermédiaire de la société d’investissement EXOR dirigée par John Elkann.
Le groupe a déclaré dimanche qu’il acceptait la démission de Carlos Tavares « avec effet immédiat » et que John Elkann présiderait un nouveau comité exécutif intérimaire. Les actions cotées à Milan étaient en baisse de 7% à 08h34 GMT, leur plus bas niveau depuis juillet 2022.
Les concessionnaires automobiles européens qui ont parlé à Reuters pointent du doigt l’accent mis par Tavares sur l’efficacité et les marges.
« Les modèles à bas prix ont progressivement disparu de la gamme de Stellantis », déclare Alberto Di Tanno, fondateur du groupe de concessionnaires Intergea, qui gère 169 points de vente en Italie et en Suisse.
Par exemple, le modèle Ypsilon de Lancia, l’une des dix marques de Stellantis disponibles en Europe, « était une voiture à 17.000 euros. Aujourd’hui, elle coûte soudainement pas moins de 25.000 euros », a détaillé le concessionnaire.
En septembre, le prix moyen d’une voiture Stellantis dans les 14 plus grands pays de la zone euro s’élevait à près de 40.000 euros, un montant supérieur à la moyenne des autres concurrents du marché de masse, selon les données de JATO Dynamics fournies à Reuters.
Les voitures du Chinois Saic, qui possède la marque britannique MG, se vendent à 32.500 euros, tandis que les modèles de Renault, Mitsubishi et Suzuki coûtent en moyenne moins de 29.000 euros.
Depuis 2021, les prix pratiqués par Stellantis ont augmenté sur chacun des cinq plus grands marchés européens : l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni. Hyundai et Toyota ont également augmenté leurs prix sur ces marchés, mais Volkswagen et Renault les ont réduits.
« Les prix augmentent pour les marques Stellantis, mais les clients considèrent encore beaucoup d’entre elles comme des produits de masse », a déclaré Felipe Munoz, analyste principal chez JATO.
Un ancien cadre commercial de Stellantis a déclaré à Reuters que la politique de hausse des prix, ainsi que les agressives réductions de coûts, s’inscrivaient dans le cadre des efforts déployés par Carlos Tavares pour obtenir une marge d’exploitation à deux chiffres, en particulier après la pandémie de grippe aviaire.
Les difficultés de Stellantis en Europe reflètent certains des problèmes auxquels l’entreprise a été confrontée en Amérique du Nord avec la marque haut de gamme Jeep.
Erin Keating, analyste exécutif chez Cox Automotive, a déclaré que les acheteurs ont été choqués par le fait que les Jeep vendues à 35.000 dollars en 2019 ont dépassé les 60.000 dollars cette année, certains modèles dépassant même les 100.000 dollars. Le coût de ces modèles a été dissuasif pour de nombreux acheteurs, qui ont donné la priorité aux Jeeps pour leur robustesse et leur prix abordable.
« Il a cherché à faire des bénéfices. Ils ont fait grimper les prix des véhicules, et je pense qu’il a oublié de se demander qui était mon consommateur américain », estime Erin Keating.
Stellantis a déclaré à Reuters qu’il prévoyait de lancer une vingtaine de nouveaux modèles au cours des prochains mois, dans tous les segments, pour atteindre une part de marché de 20% dans l’Union européenne.
Parmi ces modèles figure la Citroën C3, dont la version électrique est proposée à partir de 23.000 euros, mais qui coûte moins de 15.000 euros avec un moteur à combustion.
UNE AMBITION DÉÇUE
Comme pour d’autres constructeurs automobiles européens, les problèmes de Stellantis en Europe ont été exacerbés par la concurrence féroce des concurrents asiatiques, dont Hyundai et Toyota.
Les constructeurs automobiles chinois, dont BYD, qui représentent collectivement environ 5% des ventes d’automobiles en Europe et pourraient détenir une part de marché de 12% d’ici 2030, selon le consultant AlixPartners, ont sapé l’offre de Stellantis.
La petite Fiat 500, traditionnellement associée à une mobilité abordable, n’est vendue qu’en tant que véhicule électrique, pour environ 29.000 euros.
« Les prix (de Stellantis) ne sont pas les bons », a déclaré Tony Fassina, fondateur de l’un des plus grands concessionnaires automobiles de Milan, en Italie, et selon qui « lorsque les prix sont adaptés, la demande est là. »
D’après Herman Claes, président de la Stellantis Retailer Association pour la Belgique et le Luxembourg, de plus en plus de concessionnaires Stellantis de la région avaient commencé à proposer d’autres marques pour compenser le ralentissement des ventes, à l’avantage des constructeurs automobiles chinois.
La complexité du groupe a également été un problème.
Avec 14 marques dans le monde, Stellantis possède le plus grand nombre de marques parmi les constructeurs automobiles traditionnels. Après la scission de Porsche en 2022, Volkswagen exploite neuf marques. Toyota n’en possède que trois.
Le vaste portefeuille de Stellantis n’a toutefois pas permis de garantir des produits clairement différenciés : Fiat et Citroën sont en concurrence sur le segment moins cher, Jeep et Alfa Romeo sur le segment haut de gamme.
Pour réaliser des économies, les véhicules de taille moyenne de Stellantis sont développés sur la même plate-forme technologique STLA Medium, tandis que les voitures plus petites utilisent la plate-forme CMP de Peugeot.
« De nombreux modèles Stellantis se chevauchent », a estimé Plinio Vanini, propriétaire du plus grand groupe de concessionnaires italiens, Autotorino.
(Reportage par Giulio Piovaccari à Milan, Alessandro Parodi à Gdansk, Inti Landauro à Madrid, Gilles Guillaume à Paris et Nora Eckert à Detroit; version française Florence Loève, édité par Sophie Louet)