Combien de chrétiens vivent actuellement en Syrie ?
À l'heure de l'intelligence artificielle, l'accès à des faits vérifiables est crucial. Soutenez le Journal Chrétien en cliquant ici.Nabil Antaki, cofondateur des Maristes Bleus et partenaire de la Solidarité Chrétienne Internationale (CSI) à Alep, met tout en œuvre pour que les jeunes puissent envisager un avenir dans leur pays. Certes, la situation des chrétiens en Syrie est actuellement relativement sûre. Mais la crise économique pousse les plus désespérés à quitter le pays. Reto Baliarda s’est entretenu avec lui.
CSI : Combien de chrétiens vivent actuellement en Syrie ?
Nabil Antaki : Environ 500 000, alors qu’ils étaient près de 2 millions avant la guerre.
Comment jugez-vous la sécurité des chrétiens en Syrie et en particulier à Alep ?
Les chrétiens se sentent fondamentalement en sécurité, comme avant la guerre. Les seuls moments où ils ont vraiment vécu dans la crainte, c’est pendant la guerre, lorsque l’État islamique (EI) et d’autres groupes islamistes contrôlaient une grande partie de la Syrie et menaçaient Alep.
Pendant la guerre, la plupart des chrétiens ont dû quitter le nord-ouest du pays en raison de l’invasion de la milice islamiste Al-Nosra, qui occupe encore actuellement Idlib. Des chrétiens sont-ils néanmoins revenus dans cette ville ?
Récemment, à la demande de ses bailleurs de fonds occidentaux qui ne peuvent plus avoir affaire au gouvernement dans cette région, Abou Mohammed al-Joulani, le chef du Front al-Nosra, a tenté de présenter son groupe comme un responsable politique crédible. Il porte désormais des vêtements civils et se montre modéré dans les interviews. Il prétend même que les chrétiens de la région d’Idlib peuvent rentrer chez eux sans crainte. Certains d’entre eux sont revenus dans les villages de Knaye et de Yacoubiye.
Qu’en est-il de l’EI en Syrie ?
L’EI est toujours présent dans le désert syrien, dans les environs de Palmyre et près d’Al-Tanf, la plus grande base militaire américaine en Syrie.
Quelle est la plus grande crainte des chrétiens qui restent en Syrie ?
Aujourd’hui, plus personne ici ne croit à la menace islamiste. La plus grande préoccupation est la crise économique. Elle est le sujet des conversations quotidiennes et la seule raison de l’exode.
Le revenu mensuel moyen d’une famille est de 500 000 livres syriennes (environ 30 euros). À l’ONU et dans le cadre des organisations humanitaires internationales, les salaires varient entre 300 et 2 000 euros. C’est pourquoi tous nos jeunes veulent travailler pour ces organisations.
Quelle est la proportion de la population qui vit dans la misère ?
Selon l’ONU, 82 % des Syriens vivent en dessous du seuil de pauvreté et 58 % sont en situation d’insécurité alimentaire.
Quel est l’impact des sanctions occidentales sur l’économie syrienne ?
Les sanctions ont un effet dévastateur, car elles entraînent une pénurie de produits de première nécessité comme le pain, le gazole, le mazout et l’électricité, qui sont tous rationnés. De nombreux produits, y compris les médicaments contre le cancer, ne peuvent pas être importés légalement. Certains sont disponibles à des prix exorbitants sur le marché noir.
De plus, les sanctions interdisent la reconstruction. C’est une des principales raisons pour lesquelles les réfugiés en Turquie et au Liban ne rentrent pas en Syrie.
Est-ce que beaucoup de jeunes Syriens quittent le pays ?
Oui, à cause de la pression économique et pour éviter le service militaire.
En tant que membre fondateur des Maristes Bleus, vous vous engagez auprès de ceux qui souffrent à Alep. Combien de personnes travaillent avec vous ?
Nous sommes actuellement 162 : il y a 25 salariés à part entière et les autres sont des bénévoles auxquels nous octroyons une compensation financière à la fin du mois pour qu’ils puissent joindre les deux bouts. Seuls le frère Georges, ma femme Leyla et moi-même, ainsi que deux bénévoles qui ne sont pas dans le besoin, travaillons sans aucune rémunération.
Sur les photos des Maristes Bleus, on voit surtout des jeunes femmes.
En effet, 70 % des Maristes Bleus sont des femmes. Cela est dû à la nature de nos programmes : Je veux apprendre compte vingt enseignantes et un enseignant ; Partager le pain regroupe treize cuisinières et trois cuisiniers ; quant au programme de couture Heartmade, il est à 100 % féminin.
Y a-t-il aussi des musulmans chez les Maristes Bleus ?
Oui, ils sont environ 10 %. Nous les acceptons tant qu’ils partagent nos valeurs chrétiennes et notre mission. En d’autres termes, nous traitons chacun de nos membres comme des personnes ayant une dignité et nous établissons une relation avec eux. Lorsque nous organisons un événement chrétien, ils sont libres de rester ou de partir. La plupart d’entre eux restent pour la messe ou la prière.
Combien de personnes bénéficient des deux programmes soutenus par CSI, Micro-Projets et Heartmade ?
Pour Micro-Projets, nous organisons chaque année trois cours de vingt heures et autant de cours de cinquante-six heures avec vingt participants chacun. Ces derniers apprennent à concevoir leurs micro-projets. Un jury sélectionne ensuite entre huit et dix micro-projets par session et leur attribuent un financement.
CSI est l’une des trois organisations qui soutiennent ce programme. Depuis sa mise en place en 2016, nous avons financé trois cent trente micro-projets.
Heartmade emploie seize à dix-huit femmes. Elles fabriquent des vêtements uniques à partir de tissu usagé.
Quelle est l’importance de votre collaboration avec CSI ?
Elle est essentielle. Notre objectif est d’assurer la survie des personnes les plus démunies. Et nous avons à cœur de permettre aux chrétiens de rester en Syrie, le berceau du christianisme. CSI a le même objectif.
Votre soutien nous donne la force de continuer à nous battre et de poursuivre notre travail. CSI prend également en charge des factures d’hôpital des patients les plus pauvres.
Concernant votre situation personnelle, presque tous les membres de votre famille ont quitté la Syrie. Comme votre femme Leyla, vous avez également un passeport canadien. Allez-vous tout de même rester ?
Leyla et moi considérons que notre devoir consiste à rester en Syrie aussi longtemps que possible pour aider. Il y a quarante-cinq ans, nous avons décidé de retourner en Syrie au terme de ma formation de médecin au Canada. Nous avons également décidé de rester pendant les années de guerre, alors que la vie ici était pleine de dangers et que mon frère aîné a été tué par des rebelles en 2013.
En raison de notre âge avancé, nous sommes en train de mettre en place un nouveau comité pour assurer l’avenir des Maristes Bleus.
Dites-nous votre plus grande inquiétude et votre plus grand espoir pour le peuple syrien !
Ma plus grande inquiétude : l’exode continu de nos jeunes. Mon espoir : la levée des sanctions et la paix au Moyen-Orient.
Interview : Reto Baliarda
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