Variole du singe: Des campagnes vaccinales sous la contrainte de l’approvisionnement
par Jennifer Rigby et Natalie Grover
LONDRES (Reuters) – L’approvisionnement mondial limité en vaccins contre la variole du singe impose une adaptation des stratégies de lutte contre la maladie et certains experts plaident pour une vaccination plus restrictive dans les pays développés afin de garantir une répartition équitable à l’échelle internationale.
Selon un décompte effectué par Reuters à partir de déclarations officielles, à ce jour, dans les dix pays les plus affectés par cette flambée épidémique – qui concentrent près de 90% des contaminations – le cumul des doses des deux seuls vaccins autorisés, produits par la biotech danoise Bavarian Nordic, déjà administrées ou encore disponibles s’élève à 1,5 million de doses.
Bien loin de l’estimation de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) qui évalue entre 5 et 10 millions le nombre de doses nécessaire pour une vaccination préventive des populations les plus exposées à la flambée épidémique en cours depuis le mois de mai, à savoir principalement les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes et ayant des partenaires multiples.
Certains experts soulignent par ailleurs que la vaccination devrait également cibler en priorité les personnes particulièrement à risque dans les 11 pays d’Afrique où la variole du singe (« monkeypox » en anglais) sévit à l’état endémique depuis plusieurs décennies, dont le nombre n’est pas déterminé.
En France, le gouvernement assure disposer de suffisamment de doses pour couvrir les quelque 250.000 personnes éligibles à la vaccination préventive et le ministre de la Santé, François Braun, a annoncé mardi sur Twitter que « le cap des 50.000 personnes vaccinées contre la monkeypox » venait d’être franchi.
Bavarian Nordic, qui produisait habituellement entre 200.000 et 300.000 doses par semaine, a déjà doublé le rythme depuis le début de la flambée épidémique en mai, a déclaré un porte-parole à Reuters.
La biotech danoise compte encore tripler sa production d’ici la fin de l’année et des discussions sont en cours avec d’autres groupes pour étendre encore la capacité de production.
RÉPARTITION
Mais à ce jour, 60% des pays confrontés à une flambée épidémique de variole du singe n’ont pas accès au vaccin, d’après un porte-parole de l’OMS. C’est par exemple le cas du Brésil, où 3.450 cas ont été recensés.
« On ne peut pas répartir des doses qu’on n’a pas », explique Nicole Lurie, directrice de la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (CEPI), une fondation qui a participé aux discussions avec l’OMS visant à mettre sur pied un mécanisme de répartition équitable des vaccins.
Pour certains experts, tant qu’un approvisionnement plus conséquent n’est pas assuré, les pays disposant de stocks de vaccins, qui sont principalement des pays riches, devraient restreindre les populations cibles de la vaccination préventive, par exemple en la limitant aux seules personnes immunodéprimées dans les catégories particulièrement exposées.
Dans ce contexte d’approvisionnement limité, les différents pays ayant déjà lancé des campagnes de vaccination préventive se sont adaptés pour tenter d’immuniser davantage de personnes et d’éviter une éventuelle pénurie.
Plusieurs pays parmi les plus touchés, dont la France, ont ainsi déjà décidé d’allonger le délai entre les première et seconde doses, sauf pour les personnes immunodéprimées.
L’Allemagne, le Canada et le Royaume-Uni ont fait le choix de n’injecter qu’une dose et les autorités de santé américaine (FDA) et européenne (EMA) ont récemment autorisé de nouvelles modalités d’injection (en intradermique plutôt qu’en sous-cutané) permettant d’utiliser moins de produit.
Avec ces différentes adaptations, « la stratégie de vaccination contre la variole du singe dans son ensemble reste associée à de nombreuses incertitudes », explique Dimie Ogoina, professeur de médecine de l’université du Delta du Niger, au Nigeria, et membre du comité d’urgence « monkeypox » de l’OMS.
« CHANGER LES COMPORTEMENTS »
D’autant que l’efficacité exacte des vaccins antivarioliques de Bavarian Nordic dans la prévention spécifique de la variole du singe n’est pas connue précisément.
Les deux vaccins de Bavarian Nordic autorisés, Imvanex et Jynneos, sont dirigés contre la variole et si leur bonne tolérance est avérée, leur efficacité exacte dans la prévention de l’infection par le virus responsable de la variole du singe n’est pas encore connue précisément chez l’homme.
De précédentes études ont démontré que la vaccination antivariolique avait une efficacité de 85% pour la prévention de l’infection par le virus responsable de la variole du singe.
Au-delà des questions de disponibilité, et dans l’attente de résultats plus précis d’études en cours sur l’efficacité de ces deux vaccins et les modalités d’utilisation optimale, certains experts jugent que d’autres messages de prévention devraient être davantage relayés, avec un renforcement du dépistage et du traçage des contacts.
« La première stratégie pour contrôler la flambée épidémique, c’est le changement des comportements », juge Jay Varma, directeur du Centre pour la prévention et la gestion des pandémies de l’université américaine Cornell.
Ce spécialiste préconise une incitation plus large des populations les plus exposées à réduire les activités les plus à risque, comme les rapports sexuels avec des inconnus par exemple, et à adopter des gestes de prévention, comme l’utilisation de préservatifs ou la vérification de l’absence de lésions sur leur corps et celui de leurs partenaires avant toute relation sexuelle.
Ainsi, le récent ralentissement de la progression des nouvelles contaminations en Allemagne, en Espagne et au Royaume-Uni, où les nouveaux cas semblent atteindre un plateau, est attribué par certains experts à une évolution des comportements dans les populations exposées.
Selon l’OMS, qui a estimé mi-juillet que la flambée épidémique de variole du singe constituait une « urgence de santé publique de portée internationale », près de 42.000 cas de contamination par le virus responsable de cette maladie ont été recensés depuis le début de l’année dans près d’une centaine de pays.
L’immense majorité de ces infections confirmées ont été enregistrées sur les continents européen et américain.
(Reportage Jennifer Rigby et Natalie Grover ; avec la contribution de Carolina Pulice, Christina Thykjaer, Patricia Rua, Lena Toeppler, Maria Shehan, Ismail Shakil, Toby Sterling, Geert de Clerq, Jean-Michel Belot, Emilio Parodi et Angelo Amante ; version française Myriam Rivet, édité par Bertrand Boucey)
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