Les chrétiens protestantes rejettent le pass vaccinal au Togo
À l'heure de l'intelligence artificielle, l'accès à des faits vérifiables est crucial. Soutenez le Journal Chrétien en cliquant ici.Malgré un faible taux de mortalité dû au covid au Togo, les Églises protestantes n’y sont désormais accessibles que sur présentation d’un pass sanitaire. Pourtant, certaines paroisses refusent d’obtempérer, cette mesure ayant notamment de très fortes conséquences économiques.
Alors que plusieurs pays imposent de nouvelles restrictions pour contenir la propagation du variant Omicron, en Afrique, l’introduction du pass sanitaire se heurte à de fortes résistances de la part de la population, plutôt sceptique face à la pandémie. Au Togo, l’un des premiers pays du continent à introduire la mesure, l’accès aux lieux de culte est désormais subordonné à la présentation d’un pass sanitaire ou un test PCR négatif de moins de 72 heures. Une mesure contestée par les responsables d’Église qui y voient une atteinte aux libertés religieuses.
«Ce pass vaccinal est anti-religieux», dénonce le pasteur Elie N’Djékornondé, secrétaire général du Conseil Chrétien du Togo (CCT), principale organisation faîtière des Églises protestantes et évangéliques du pays. Depuis le 15 novembre date à laquelle les autorités ont annoncé leur intention d’introduire le pass vaccinal, il a mené avec ses pairs catholiques et musulmans une série de rencontres pour amener le gouvernement à assouplir ses positions, sans succès. Les leaders religieux, chrétiens et musulmans, ont de manière unanime exprimé leur désaccord sur la nouvelle mesure qui a pris effet le 10 décembre.
Dans un communiqué rendu public le 7 décembre, le CCT a déploré l’échec de ces discussions et a exhorté le gouvernement à «opter pour une méthode pédagogique». Le CCT encourage également la population et les chrétiens en particulier à adhérer «massivement» et «volontairement» au vaccin anti-covid, afin d’«atteindre l’immunité collective tant recherchée».
Un pays pourtant très peu touché
Les autorités mettent en avant des impératifs de santé publique devant l’augmentation des cas de covid. Pour le Dr Sylvain Alabouet, directeur de l’École baptiste supérieure de théologie d’Afrique de l’Ouest (EBSTAO) de Lomé, un tel narratif peine à convaincre. Il met en avant les chiffres actuels qui montrent une tendance plutôt à la baisse. Depuis le début de la pandémie en janvier 2020, le Togo a enregistré officiellement 243 décès liés au covid, ce qui le place au plus bas du classement des pays africains touchés par l’épidémie. Le pays dénombre une centaine de cas positifs en novembre 2021, pour une population de 8 millions d’invidivus.
«Au regard de ces statistiques, on est en droit de se demander pourquoi cela préoccupe autant les autorités, les décès liés au paludisme étant bien plus nombreux. Pourquoi n’en parle-t-on pas au moins autant?» s’interroge le Dr Alabouet. Pour lui, le gouvernement devrait plutôt miser sur la sensibilisation afin de vaincre les réticences actuelles et amener davantage de personnes à se faire vacciner. Car en la matière, dit-il, le Togo est en avance sur les autres pays de la sous-région.
L’imposition du pass vaccinal peut être perçue comme une forme de persécution, la mesure de trop à l’encontre des Églises, fait remarquer le Dr Alabouet. Et de poursuivre: «Pourquoi ce sont les lieux de culte qui sont de nouveau visés ? Ils auraient dû commencer par les guichets, là où les clients vont en nombre et s’alignent des heures durant».
Depuis le début de la pandémie, les Églises ont fait face à deux mesures contraignantes. En mars 2020 tous les lieux de cultes furent fermés sur toute l’étendue du territoire. La mesure a été levée en novembre, mais assortie de conditions: seules les églises dument reconnues sont autorisées à rouvrir. En septembre 2021, les églises sont de nouveau fermées et pendant un mois.
Une nouvelle mesure pas respectée
Depuis l’entrée en vigueur officielle du pass sanitaire le 10 décembre, la mesure peine à être suivie d’effets dans les églises. Les fidèles continuent toutefois à observer les gestes barrière lors des rencontres hebdomadaires: port de masques, usage du gel hydroalcoolique à l’entrée, distanciation sociale. Pour le pasteur Lavenir Akplogan, responsable d’une paroisse évangélique dans la banlieue de Lomé, l’Eglise est la maison de Dieu, et chacun doit être libre d’y accéder. «Aujourd’hui plus que jamais les gens ressentent la nécessité de se rapprocher de Dieu. Il serait donc déplacé de les priver de ce moment de communion en leur imposant un pass sanitaire ou toute autre mesure qui pourrait les empêcher de venir au culte», déclare le pasteur Akplogan, qui se dit conscient des défis que posent la pandémie: «Le covid est réel, je ne rate pas une occasion pour sensibiliser les fidèles sur la pandémie et la nécessité de se faire vacciner. Et je me réjouis de constater que la majorité des adultes de mon Église se sont déjà fait vacciner.»
La mesure est loin de faire l’unanimité au sein de l’opinion publique, plutôt préoccupée par l’impact de la pandémie sur le panier de la ménagère. Le pasteur Timothée Tsomana, rappelle le lourd tribut payé par les Églisea à la suite des deux premières mesures. «À la première fermeture de mars-novembre 2020, les Églises ont plutôt approuvé la mesure, mais la seconde n’était pas justifiée, d’autant que les marchés sont restés animés, de même que les bars-restaurants. Quant aux écoles, elles sont également restées ouvertes.»
Sur le plan spirituel, les conséquences sont grandes. «Privés de communion, certains fidèles ont abandonné la foi», se désole le pasteur Tsomana. Pour y remédier, les églises ont dû innover en misant les cultes en ligne, les cellules de maison ou les visites à domiciles.
Coup dur pour les finances
Sur le plan économique, les fermetures ont porté un coup dur aux activités des Églises. Le pasteur Tsomana cite des chantiers de construction d’églises abandonnés ou des églises ayant contracté des prêts bancaires se retrouvant désormais en cessation de paiement. Il cite également les conséquences sociales sur les fidèles ayant perdu leur emploi et ces pasteurs tombés malades, qui n’ont pas pu recevoir les soins requis faute de moyens.
Lui-même n’a pas été épargné: «Mon église est restée fermée pendant 15 mois et je suis resté sans salaire durant 8 mois.» Directeur de Média Afrique, un centre de formation en techniques radiophoniques, le pasteur Tsomana s’inquiète également de l’impact de la crise sanitaire sur son institution. «Les portes de l’école sont restées fermées depuis 2020. Certains partenaires extérieurs, frappés eux aussi par les répercussions économiques liées à la Covid-19, se sont désengagés. Or il fallait payer le loyer, les salaires du personnel et autres charges administratives».
Face à la perspective d’une crise sanitaire de longue durée, certains responsables évoquent le besoin de réinventer l’église au Togo et ailleurs sur le continent. Le pasteur Elie N’Djékornondé prône une diversification des sources de revenus. «Le fonctionnement de l’Église ne doit plus reposer sur les dimes et offrandes, mais sur d’autres activités telles que l’agriculture ou l’élevage». Pour Sylvain Alabouet un changement de paradigme s’impose. «C’est une nouvelle ère qui s’ouvre pour l’Église en Afrique. Et le covid nous a fait comprendre qu’il faudra être visibles autrement.»