Devant le Capitole, les Evangéliques ont combattu au son du shofar
À l'heure de l'intelligence artificielle, l'accès à des faits vérifiables est crucial. Soutenez le Journal Chrétien en cliquant ici.Le son du shofar (trompette en hébreux) a rythmé les rassemblements pro-Trump, cette semaine, devant le Capitole à Washington. Cet instrument destiné à l’origine à un rituel juif est devenu monnaie courante lors de nombreuses manifestations politiques. Explications.
La scène avait tout du décor d’un péplum: mercredi 6 janvier devant le Capitole américain à Washington, des dizaines de participants à la Marche de Jéricho – nom que les pro-Trump ont donné à leur rassemblement pour manifester leur mécontentement face à l’élection de Joe Biden – portaient des shofars à leurs lèvres.
Traditionnellement, souffler dans un shofar relève d’un ancien rituel juif, généralement réservé aux sanctuaires des synagogues. Le jour de Rosh Hashana et de Yom Kippour, les juifs se lèvent pour entendre un membre de la congrégation souffler dans la corne de bélier pour réveiller leur âme et les inciter à revenir à Dieu.
Mais au cours des dernières décennies, ce rituel a été repris par les évangéliques conservateurs, les chrétiens charismatiques et les pentecôtistes .Alors que nombre d’entre eux sont des chrétiens sionistes qui soutiennent l’État d’Israël et ont travaillé à renforcer le lien entre chrétiens et juifs, les générations plus jeunes de chrétiens en sont venues à considérer le shofar comme une arme de combat spirituel, tout comme le clairon était autrefois utilisé sur les champs de bataille.
Un instrument politisé
Le souffle du shofar est devenu courant dans de nombreux rassemblements évangéliques et manifestations politiques, éloignés de toutes questions liées au judaïsme ou à Israël. Récemment, l’instrument a été utilisé lors de concerts en plein air du leader religieux Sean Feucht défiant les restrictions liées à la lutte contre le Covid-19, lors de contre-protestations opposées au mouvement Black Lives Matter et durant divers événements «Stop the Steal» dénonçant les fraudes électorales, comme celui qui a eu lieu sur les marches de la Cour suprême le 12 décembre dernier, et, bien sûr, lors de la Marche de Jéricho cette semaine. Lors de ces manifestations, le shofar est généralement couvert d’images du drapeau américain ou de couleurs rouge, blanc et bleu.
«Pour les gens qui viennent à ces marches, je ne sais même pas s’ils savent que cet instrument est un symbole distinctement juif ou un symbole judéo-chrétien. C’est plus un signe militariste», déclare Dan Hummel, chercheur au département d’histoire de l’Université du Wisconsin-Madison, qui a écrit sur les relations entre les évangéliques et les juifs.
Mercredi 6 janvier à Washington et dans d’autres endroits du pays, les manifestants sont revenus sur le récit biblique des hébreux assiégeant la ville de Jéricho. Dans ce récit, une armée du peuple d’Israël encercle la ville sept fois, en soufflant dans des trompettes (en hébreu, «shofars») et en criant jusqu’à ce que les murs de la ville tombent et que la ville soit conquise.
Cette semaine, les manifestants ont sonné des shofars dans l’espoir que le Congrès invalide suffisamment de votes pour accorder un second mandat au président Donald Trump.
Les origines juives
Le shofar est récolté sur la carcasse d’une corne de bélier ou de presque tout autre animal casher, telles les antilopes qui ont des cornes en spirale particulièrement belles. Elles sont facilement disponibles en ligne pour seulement 30 francs, mais elles peuvent coûter beaucoup plus cher.
Des générations de juifs ont estimé que le cri plaintif du shofar était le point culminant des services de Yom Kippour et, pour certains, de toute l’année liturgique juive. Mais à partir de la création de l’État d’Israël en 1948, que de nombreux évangéliques ont considéré comme l’accomplissement de la prophétie biblique, certains chrétiens ont commencé à se rapprocher des anciennes pratiques juives, qu’ils avaient auparavant rejetées. Le shofar en faisait partie, tout comme le Séder de Pessa’h (rituel juif visant à se commémorer la libéralisation des juifs après les années d’esclavage en Égypte, ndlr). Dans beaucoup de ces rassemblements, les participants se lancent dans ce qu’ils appellent la «danse davidique», soit une danse d’adoration.
«Tout cela devient une façon de vous envelopper autour de ce qui est supposé être les expressions culturelles préférées de Dieu», déclare Gary Burge, professeur de Nouveau Testament et doyen de la faculté du Calvin Theological Seminary à Grand Rapids, Michigan. Il qualifie cette impulsion de «philo-sémitisme», qui signifie littéralement «amour des juifs».
L’essor messianique
La montée du judaïsme messianique dans les années 1960 et 1970 a encore popularisé les pratiques rituelles juives, telles que le souffle du shofar.
Les juifs messianiques combinent le christianisme avec des éléments du judaïsme. Leurs congrégations soufflent le schofar le jour de Rosh Hashana, qu’ils appellent Yom Teruah, ou «jour de la sonnerie du shofar», comme indiqué dans la Bible (Nombres 29:1).
Une grande partie du judaïsme messianique a été inspirée par le mouvement charismatique de Jésus dans les années 1960, explique Neal Surasky, directeur des publications de Chosen People Ministries, un groupe qui tente à la fois d’évangéliser les juifs et d’apporter l’amour des juifs au sein de l’Église.
«Le mouvement de Jésus a engendré un nouvel essor de la culture messianique qui a apporté avec lui dans les églises des éléments qui étaient d’origine juive», précise Neal Surasky, qui dirige également une congrégation juive messianique à Columbia, dans le Maryland. Et d’ajouter que «beaucoup de chrétiens aujourd’hui tentent de replacer Jésus dans son contexte juif».
Il souligne encore que le mot «trompette» apparaît également dans le Nouveau Testament (Thessaloniciens 1), où il est écrit que Jésus reviendra «avec l’appel de Dieu à la trompette».
Lien avec Israël
Mais l’utilisation du shofar a vraiment pris son essor dans les années 1980 avec la création de l’Ambassade chrétienne internationale, une organisation mondiale qui cherche à relier l’Église à Israël. Basée à Jérusalem, elle organise chaque année un rassemblement massif de milliers de chrétiens, pour la plupart charismatiques, pendant la fête juive de Souccot, où les participants marchent autour de Jérusalem en sonnant le shofar.
Pour ces sionistes chrétiens, le lien avec Israël est ancré dans un passage biblique où Dieu dit à Abraham: «Je bénirai ceux qui te bénissent et je maudirai ceux qui te maudissent» (Genèse 12:3). «Ils voient cela comme le signe de l’Alliance entre Dieu et les hommes», note Dan Hummel.
Une réappropriation en demi-teinte
Les juifs américains n’ont pas toujours apprécié la récupération chrétienne du shofar.«En tant que juifs, nous sommes habitués à la façon dont d’autres se sont appropriés nos rituels et objets sacrés pour des usages qui détournent ouvertement leurs objectifs», commente le rabbin Aaron Alexander de la congrégation Adas Israel à Washington.
Mais pour de nombreux chrétiens, comme ceux qui ont défilé à Washington pour protester contre la certification de l’élection de Joe Biden, le souffle du shofar a transcendé ce lien avec Israël ou avec le judaïsme. À tel point que le rabbin «doute que beaucoup de personnes de la Marche de Jéricho connaissent cette histoire. Ils utilisent le shofar pour leurs propres expressions politiques.»