L’Iran entend limiter les répercussions de sa réponse au raid israélien
par Parisa Hafezi et Jonathan Landay
DUBAI/WASHINGTON (Reuters) – L’Iran a signalé aux Etats-Unis qu’il répondrait à la frappe menée par Israël contre son ambassade en Syrie d’une manière destinée à éviter une escalade majeure et qu’il ne se précipiterait pas, alors que Téhéran entend aussi réaliser des objectifs distincts, comme une trêve dans la bande de Gaza, ont déclaré des sources iraniennes.
Le message de Téhéran à Washington a été adressé par le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amirabdollahian, lors d’une visite dimanche dernier à Oman, qui sert souvent d’intermédiaire entre les deux pays, ont indiqué les sources.
Un porte-parole de la Maison blanche a refusé de commenter de quelconques messages de l’Iran, tout en déclarant que les Etats-Unis ont fait savoir à Téhéran qu’ils n’étaient pas impliqués dans l’attaque contre l’ambassade iranienne à Damas le 1er avril.
Aucun commentaire n’a été obtenu dans l’immédiat auprès du ministère iranien des Affaires étrangères. Le gouvernement omanais n’a pas répondu à des questions envoyées par courriel.
Une source proche des services du renseignement américain a dit ne pas être informée d’un message transmis par l’Iran via le sultanat d’Oman, mais a ajouté que Téhéran a été « très clair » sur le fait que sa réponse à l’attaque attribuée à Israël serait « contrôlée » et destinée à éviter une escalade. Les Iraniens prévoient d’utiliser des milices régionales alliées pour lancer un certain nombre d’attaques contre Israël, a déclaré la source.
Ces messages diplomatiques signalent une approche prudente de la part de Téhéran, qui cherche un équilibre dans sa réponse au raid israélien entre, d’un côté, une volonté de dissuader Israël de mener des attaques similaires à l’avenir et, de l’autre, éviter une escalade militaire qui pourrait pousser les Etats-Unis à prendre part directement au conflit.
Si Israël n’a pas confirmé être responsable de l’attaque contre l’ambassade iranienne en Syrie, le département américain de la Défense a attribué ce raid à l’Etat hébreu, allié de longue date de Washington.
EN QUÊTE DE « GARANTIES » AMÉRICAINES
Le guide suprême de la Révolution iranienne, l’ayatollah Ali Khamenei, a déclaré mercredi qu’Israël « devait et allait être puni » pour cette attaque qu’il a dit considérée comme survenue sur le sol iranien. Un haut commandant iranien a été tué.
Cet incident a constitué une escalade des tensions régionales en marge de la guerre dans la bande de Gaza, entrée désormais dans son septième mois.
Téhéran, qui soutient de longue date le Hamas palestinien mais nie toute implication dans l’attaque du 7 octobre dernier en Israël, s’est soigneusement abstenu de tout rôle direct dans les répercussions régionales de la guerre à Gaza.
Des groupes alignés sur l’Iran, comme le Hezbollah libanais ou les Houthis au Yémen, ont toutefois mené des attaques contre Israël. Des milices chiites ont aussi lancé des attaques contre des bases américaines en Syrie et en Irak; aucune n’est toutefois survenue depuis début février.
L’une des sources iraniennes a dit ne pas exclure la possibilité que des membres de l' »Axe de la Résistance » puissent attaquer Israël à tout moment, un scénario que des analystes ont cité comme l’une des représailles possibles.
Au cours des réunions qu’il a tenues à Oman, ont déclaré les sources, Hossein Amirabdollahian a signalé que Téhéran était disposé à une désescalade à condition que ses demandes soient satisfaites, en particulier un cessez-le-feu permanent dans la bande de Gaza – Israël s’oppose à une telle idée, disant vouloir « éradiquer » le Hamas et garantir sa sécurité nationale via son offensive dans l’enclave palestinienne.
Selon les sources, l’Iran cherche aussi à relancer les discussions à propos de son programme nucléaire, alors que les négociations indirectes entreprises un temps entre Téhéran et Washington pour rétablir l’accord de 2015 sont tombées dans l’impasse en 2022, les deux camps se reprochant mutuellement d’avoir des exigences trop élevées.
Par ailleurs, ont ajouté les sources, Téhéran veut aussi des garanties que les Etats-Unis n’interviendront pas si une « attaque contrôlée » est menée contre Israël. Cette requête a été rejetée par Washington dans une réponse transmise via Oman, ont précisé les sources.
DILEMME STRATÉGIQUE
Le président américain Joe Biden a déclaré mercredi que l’Iran menaçait de lancer une « attaque significative en Israël ». Il a ajouté qu’il avait fait savoir au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu que l’engagement des Etats-Unis à la sécurité d’Israël contre les menaces de l’Iran et des alliés de celui-ci était « dur comme fer ».
Israël a déclaré qu’il répondrait à toute attaque de l’Iran. « Si l’Iran attaque depuis son territoire, Israël répondra et attaquera en Iran », a dit mercredi le ministre israélien des Affaires étrangères, Israel Katz, via le réseau social X.
Des experts de la diplomatie iranienne ont estimé que les exigences importantes de Téhéran étaient typiques de son approche intransigeante dans toute négociation. Mais les contacts entrepris suggèrent tout de même que l’Iran souhaite éviter un conflit majeur.
Ali Khamenei est « pris au piège d’un casse-tête stratégique », a déclaré Gregory Brew, analyste chez Eurasia.
« L’Iran doit répondre pour rétablir sa force de dissuasion et maintenir sa crédibilité auprès de ses alliés de la Résistance. Mais d’un autre côté, mener des représailles devrait vraisemblablement entraîner une réponse israélienne encore plus grande, plus destructrice, probablement avec l’aide américaine ».
Les sources iraniennes ont déclaré que Washington a demandé à Téhéran de faire preuve de retenue et de laisser de la place pour la diplomatie, prévenant qu’il se tiendrait au côté d’Israël en cas d’attaque directe de l’Iran.
D’après ces sources, Téhéran pense que Benjamin Netanyahu a pour objectif d’entraîner l’Iran dans une guerre, ce qui alimente la possibilité que la réponse à l’attaque du 1er avril soit sobre, en évitant par exemple de frapper directement le territoire israélien.
Le dilemme pour l’Iran est de « trouver comment répondre de manière à sauver la face, sans perdre la tête », a commenté Ali Vaez, du centre de réflexion International Crisis Group, dont le siège est à Bruxelles.
« Israël est bien plus imprévisible que les Etats-Unis », a-t-il ajouté. « Le guide suprême est clairement préoccupé par le fait que, plutôt que d’obtenir l’effet de dissuasion escompté, une attaque contre Israël pourrait seulement déclencher une contre-offensive qu’il aurait aimé éviter ».
(Parisa Hafezi à Dubai et Jonathan Landay à Washington, avec la contribution de Steve Holland, Jeff Mason, Arshad Mohammed et Matt Spetalnick à Washington; Jean Terzian pour la version française)