« Pas de déficit caché » du système des retraites, dit la Cour des comptes
par Blandine Henault
PARIS (Reuters) -Le système de retraites en France n’accuse pas de « déficit caché », estime la Cour des comptes dans un rapport publié jeudi, tout en avertissant de perspectives « préoccupantes » face à une forte dégradation du financement attendue d’ici 2045.
Dans le cadre de la remise en chantier de la réforme des retraites de 2023 décidée par le Premier ministre François Bayrou, la juridiction a été chargée d’une « mission flash » sur la situation financière du système de retraites afin de servir de base aux négociations des partenaires sociaux.
Un audit d’autant plus attendu que François Bayrou a relancé lors de son discours de politique générale le débat sur le déficit du système en prenant en compte un chiffrage différent de celui du Conseil d’orientation des retraites (COR), qui fait référence sur le financement du système français.
Quand le COR estime le « trou » financier du système à 6,1 milliards d’euros pour 2024, le Premier ministre évoque pour sa part en déficit de quelques 45 milliards. Il prend en compte les surcotisations versées par les collectivités publiques et l’Etat sur les pensions des fonctionnaires ainsi que les subventions allouées pour équilibrer le système de financement des retraites.
Tout en reconnaissant la « légitimité » des deux approches, la Cour des comptes n’a pas retenu celle de François Bayrou.
« La Cour considère que ces deux systèmes [public et privé] présentent de telles divergences qu’ils ne sont pas comparables », a indiqué le président de la juridiction Pierre Moscovici lors d’une conférence de presse.
« En tout état de cause, il n’existe aucun déficit caché des retraites des fonctionnaires », a-t-il ajouté, évacuant « un débat technique qui ne permettrait en aucun cas de résorber nos déficits ».
La bataille des chiffres pesait lourdement sur les négociations à venir entre les partenaires sociaux, la CFDT ayant menacé de ne pas y participer si l’approche de François Bayrou sur le déficit avait été retenue par la Cour des comptes.
« Il n’y a pas de déficit caché. Ce premier obstacle est levé. On va pouvoir passer aux choses sérieuses », s’est félicitée jeudi devant la presse la secrétaire générale du syndicat, Maryse Léon, à la sortie du ministère du Travail.
Les négociations entre partenaires sociaux doivent débuter la semaine prochaine pour s’achever fin mai.
DÉFICIT DE 30 MILLIARDS D’EUROS EN 2045
La Cour des Comptes estime que le système des retraites a été excédentaire en 2023 mais souligne une situation temporaire qui se dégrade dès cette année, malgré la dernière réforme.
Le déficit du régime des retraites devrait atteindre 6,6 milliards d’euros en 2025 avant de se stabiliser jusqu’en 2030 puis de se dégrader rapidement sous l’effet de la hausse continue du nombre de retraités et du montant moyen de leurs pensions.
Il atteindrait hors inflation 15 milliards d’euros en 2035 puis 30 milliards en 2045, concentré principalement dans le régime général des salariés du secteur privé et des salariés agricoles.
Dans ce contexte, la réforme des retraites de 2023 – dont l’effet sur l’équilibre financier du système est estimé à 10 milliards d’euros à horizon 2030 – est jugée nécessaire mais « pas suffisante » pour couvrir les besoins futurs de financement.
Refusant de donner « toute recommandation ou préconisation », la Cour des comptes présente néanmoins trois « leviers » pour faire face aux déficits attendus : l’âge légal de départ, le niveau moyen des pensions et le niveau des cotisations.
Vivement contestée au Parlement et dans la rue, la réforme de 2023 prévoit de repousser progressivement l’âge de départ à la retraite à 64 ans.
BOUGER L’ÂGE DE DÉPART ?
Point de cristallisation des débats en 2023, cet âge devrait de nouveau être au coeur des négociations entre les partenaires sociaux, François Bayrou ayant promis une conversation « sans tabou ».
« Le dogme des 64 ans doit être levé. On fera des propositions pour qu’il y ait des bougés sur l’âge légal », a prévenu jeudi Maryse Léon. « La situation est préoccupante, mais ce n’est pas la catastrophe non plus », a-t-elle fait valoir.
« L’objet des discussions, ce n’est pas la question du retour à l’équilibre des régimes de retraite, c’est de financer l’abrogation de la réforme des retraites », a pour sa part relevé la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, retenant le chiffre de 10 milliards d’euros à financer pour abroger la réforme de 2023.
« C’est de cela dont nous voulons parler, c’est ça l’enjeu aujourd’hui, c’est de revenir aux 62 ans et ensuite aux 60 ans pour ce qui concerne la CGT et de le financer », a-t-elle dit à la presse.
Reste à savoir si un accord est possible avec les organisations patronales, le Medef ayant d’ores et déjà estimé qu’ouvrir le chantier de la réforme des retraites constituait « une erreur » dans un contexte budgétaire extrêmement tendu.
Selon la Cour des comptes, fixer un âge de départ à 63 ans aurait un coût total de 13 milliards d’euros sur les finances publiques en 2035. A l’inverse, un relèvement à 65 ans rapporterait 17,7 milliards d’euros.
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ANALYSE-France-Une bataille des chiffres décisive autour de la réforme des retraites
(Rédigé par Blandine Hénault, avec la contribution de Jean-Stéphane Brosse et Benjamin Mallet, édité par Kate Entringer et Augustin Turpin)
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