Le virage de Trump à l’égard de la Russie fait planer des risques majeurs
par Matt Spetalnick
WASHINGTON (Reuters) – Quand le président russe Vladimir Poutine a lancé une invasion de l’Ukraine il y a près de trois ans jour pour jour, le président américain à l’époque, Joe Biden, a adopté une position de soutien sans faille à Kyiv, forgé une unité avec ses alliés européens et confié à des conseillers expérimentés la mission d’isoler Moscou sur les plans économique et diplomatique.
En quelques jours à peine, l’approche de Washington a radicalement changé.
Mardi, une réunion bilatérale de haut niveau s’est tenue entre les Etats-Unis et la Russie, à la suite de laquelle Donald Trump a reproché à l’Ukraine, non convié aux discussions en Arabie saoudite, d’être à l’origine de la guerre.
Mercredi, tout juste une semaine après un entretien téléphonique avec Vladimir Poutine, le président républicain des Etats-Unis a décrit son homologue ukrainien Volodimir Zelensky comme un « dictateur sans élections ».
Investi pour un second mandat le 20 janvier, Donald Trump a mis sur la touche Kyiv et les partenaires de Washington à l’Otan, a chargé du dossier ukrainien une équipe relativement inexpérimentée et a effectué d’emblée, avant même la tenue d’une réunion, des concessions importantes à Moscou.
La volonté de Donald Trump de mettre fin au plus vite à la guerre entre la Russie et l’Ukraine, à peine un mois après son retour à la Maison blanche, en semblant au passage utiliser des éléments de langage du Kremlin, a alimenté les craintes d’un accord qui serait conclu avec Vladimir Poutine aux dépens de Kyiv et de la sécurité de l’Europe. Avec le risque de bouleverser le tableau géopolitique.
« Ce qui est vraiment préoccupant, c’est que Trump a fait passer la Russie de paria à partenaire prisé en l’espace d’à peine quelques jours. Cela s’accompagne d’un coût », a déclaré Brett Bruen, conseiller en politique étrangère de l’administration de l’ancien président américain Barack Obama.
LA FIN DU « RIEN SUR L’UKRAINE SANS L’UKRAINE » ?
En Arabie saoudite, mardi, où Américains et Russes se sont rencontrés pour la première fois pour discuter du conflit le plus meurtrier en Europe depuis la Deuxième Guerre mondiale, il a été convenu de composer des équipes de négociateurs sur la guerre en Ukraine et de rétablir un fonctionnement normal des missions diplomatiques respectives, mettant en exergue un dégel des relations bilatérales.
Avant même la réunion de Ryad, des dirigeants européens ont reproché à Donald Trump d’avoir offert des concessions notables à Moscou en rejetant l’hypothèse que l’Ukraine intègre l’Otan et en décrivant la semaine dernière comme illusoire l’objectif de Kyiv de récupérer les territoires conquis par la Russie.
Cette semaine, le président américain est allé encore plus loin. Il a déclaré mardi à des journalistes que l’Ukraine n’aurait « jamais dû commencer la guerre », pourtant déclenchée par l’offensive de grande ampleur lancée par la Russie en février 2022 que d’autres puissances occidentales ont dénoncé comme une agression non-provoquée.
Puis, mercredi, le chef de la Maison blanche a mis en doute la légitimité démocratique de Volodimir Zelensky, le prévenant qu’il ferait mieux de conclure un accord au plus vite s’il ne voulait pas perdre son pays. Donald Trump a effectué ces commentaires via son réseau social Truth après que le président ukrainien l’a accusé de vivre dans une « bulle de désinformation » russe.
Le mandat présidentiel de Volodimir Zelensky devait prendre fin en 2024 mais les élections ont été reportées du fait de la loi martiale entrée en vigueur face à l’offensive de la Russie.
En excluant l’Ukraine de la réunion saoudienne, Donald Trump a rompu avec la devise de son prédécesseur Joe Biden et de l’Otan – « rien sur l’Ukraine sans l’Ukraine ». Kyiv répète qu’il n’acceptera aucun accord conclu sans son consentement.
« AMATEURISME »
Que les Européens soient également tenus à l’écart a alimenté les craintes des alliés de Washington de voir Donald Trump renoncer à beaucoup pour obtenir peu, en échange, de la part de Vladimir Poutine.
A l’initiative d’Emmanuel Macron, des dirigeants européens se sont réunis en urgence à Paris pour discuter de manière informelle de l’hypothèse d’envoyer des soldats de maintien de la paix en Ukraine afin d’apporter des garanties sécuritaires en cas d’accord. Le président français a dit vouloir des garanties « fortes et crédibles » pour les Ukrainiens.
Si Donald Trump a indiqué qu’il n’était pas opposé à cette perspective, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a déclaré que Moscou n’accepterait la présence d’aucun soldat de l’Otan en Ukraine.
Pour l’heure, rien n’indique que Sergueï Lavrov et Youri Oushakov, haut conseiller en politique étrangère du Kremlin, ont proposé mardi à Ryad des concessions à la délégation américaine composée du secrétaire d’Etat, Marco Rubio, du conseiller à la sécurité nationale, Mike Waltz, et de l’émissaire spécial pour le Proche-Orient, Steve Witkoff. Tous trois sont en poste depuis moins d’un mois.
« L’équipe américaine n’a quasiment aucune expérience des négociations internationales de haut niveau, aucune expertise régionale sur l’Ukraine et la Russie, et aucune connaissance pertinente d’une langue étrangère », a déclaré Timothy Snyder, professeur à l’université américaine de Yale et expert de la Russie. « Cela n’est pas vrai pour les Russes, c’est le moins que l’on puisse dire », a-t-il ajouté sur le réseau social X.
Brett Bruen a déploré l' »amateurisme » du dispositif de sécurité nationale de Donald Trump.
Un représentant de l’administration Trump a déclaré que Washington ne pouvait pas favoriser une paix durable en adoptant la même position – l’absence de dialogue – ayant permis que s’accumulent morts et destruction en Ukraine.
« Le président Trump a construit une équipe solide qui montre déjà en action sa politique de ‘paix via la force' », a dit Brian Hughes, porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison blanche.
« TROP DE VOIX, PROGRÈS PLUS DIFFICILES »
Donald Trump, qui s’est montré élogieux à l’égard de Vladimir Poutine par le passé, a déclaré mardi qu’il était encore plus optimiste sur un accord de paix à la suite des discussions de Ryad et qu’il rencontrerait « probablement » son homologue russe d’ici la fin du mois de février.
S’exprimant devant des journalistes depuis sa résidence floridienne de Mar-a-Lago, le président américain a balayé les préoccupations de l’Ukraine d’être tenu à l’écart des discussions saoudiennes et a reproché à Kyiv de n’avoir pas entamé bien plus tôt des pourparlers avec Moscou.
Marco Rubio a dit séparément que personne n’était exclu et qu’une quelconque solution devait être acceptable pour toutes les parties. Le chef de la diplomatie américaine n’a toutefois pas expliqué comment Kyiv pourrait être intégré aux pourparlers.
Attendu en Arabie saoudite mercredi, Volodimir Zelensky a reporté sa visite afin, ont dit des sources au fait de la question, d’éviter qu’y soit perçue une quelconque « légitimité » accordée aux discussions entre Etats-Unis et Russie un jour plus tôt.
Le président ukrainien a provoqué la colère de l’administration Trump en déclarant le week-end dernier que l’accord sur les minerais de son pays proposé par Washington ne contenait pas les garanties sécuritaires que Kyiv juge nécessaires.
Emma Ashford, membre du centré de réflexion Stimson basé à Washington, a déclaré que l’administration Trump pourrait avoir eu raison en menant pour l’heure des discussions restreintes.
« Il n’est certainement pas idéal que l’Ukraine ne fut pas présente, mais je pense que ce sera le cas lors de prochaines réunions similaires », a-t-elle dit. Washington a « probablement raison de penser qu’inclure une variété de partenaires européens pourrait représenter trop de voix dans la salle et rendre tout progrès plus difficile », a-t-elle poursuivi.
« PREMIER ROUND, RUSSIE »
Reste que, selon l’élu démocrate Jake Auchincloss, co-président du caucus sur l’Ukraine à la Chambre américaine des représentants, la Russie a remporté le premier round.
« Le Kremlin est normalisé dans une diplomatie bilatérale qui exclut l’Ukraine et l’Otan, sans n’avoir à céder sur quoi que ce soit », a-t-il déclaré à Reuters.
Trois représentants de services de renseignements occidentaux ont dit à Reuters ne disposer d’aucune preuve attestant que les objectifs de Vladimir Poutine ont changé. Le président russe entend toujours conserver tous les territoires conquis par son armée en Ukraine et veut à plus long-terme élargir sa position en Europe, ont-ils ajouté.
« Poutine ne s’arrêtera pas à l’Ukraine », a déclaré à Reuters le directeur du service lituanien de sécurité nationale. « Y-a-t-il un désir sincère de mettre fin à la guerre ? Je ne pense pas », a ajouté Darius Jauniškis.
L’élu Roger Wicker, pair républicain de Donald Trump à la tête de la commission sénatoriale des Armées, a admis qu’on ne pouvait pas faire confiance à Vladimir Poutine dans les pourparlers sur l’Ukraine. Le président russe est « un criminel de guerre », a-t-il dit à la chaîne de télévision CNN.
Interrogé sur des commentaires de Donald Trump selon lesquels Vladimir Poutine veut la paix, il a ajouté: « Ce en quoi nous pouvons avoir confiance, c’est que les Russes feront tout ce qui les favorise », quitte à prendre des mesures temporaires.
(Matt Spetalnick, Patricia Zengerle, Humeyra Pamuk et Erin Banco; version française Jean Terzian)
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