Un jeune théologien protestant s’intéresse à la question des robots sexuels
Pour un doctorant à la Faculté de théologie de l’Université de Genève, le sujet a de quoi surprendre! C’est pourtant bien dans le cadre de ses travaux portant sur les enjeux éthiques soulevés par l’intelligence artificielle, menés dans une perspective théologique, qu’Ezekiel Kwetchi Takam s’est intéressé à la question de la «robotsexualité». Comprenez par-là, «cette forme de sexualité dans laquelle l’attirance est dirigée vers une entité robotique humanoïde». Rencontre.
Vous travaillez sur la robotsexualité. Cette pratique existe-t-elle vraiment, en dehors de quelques cas rarissimes?
Si l’industrie des sexbots (robots sexuels) affiche aujourd’hui un chiffre d’affaires annuel de 200,7 millions de dollars, représentant 56 000 sexbots vendus chaque année, c’est bien parce qu’il y a une demande de la part d’une population pratiquante. Cette pratique existe donc vraiment, même si sa revendication sociale bénéficie d’une très faible résonnance.
Comment comprendre cet intérêt?
Le bouleversement du rapport des genres l’explique en partie. La combinaison entre la vague féministe des années 1960 (caractérisée par une forte libération des corps et une révolution sexuelle féminine) et le développement des savoirs numériques et technologiques à la même période, a contribué à définir une culture au sein de laquelle les hommes tendent à n’être qu’une option – parmi d’autres – pouvant garantir la satisfaction du désir féminin. Pour preuve, la forte production des sextoys technologiques majoritairement destinés à un public féminin (le marché est aujourd’hui estimé à 30 milliards de dollars).
Du sextoy au sexbot, il y a encore un pas…
Justement, j’y viens. En conséquence, les hommes – victimes d’une auto-injonction de performance sexuelle et n’occupant plus, au sein du monde de la sexualité, la position dominante que leur procurait leur prétendue autorité patriarcale – se réfugient dans les sexbots, où réside leur dernier bastion de contrôle suprême. C’est pourquoi, inversement aux sextechs, les sexbots – dont la commercialisation remonte à 2010 –sont pour l’instant majoritairement adressés à un public masculin. Les sexbots représentent 0,5% du marché global de la sextech.
De là à évoquer la possibilité que la robotsexualité puisse, dans quelques décennies, être considérée comme une orientation sexuelle?
C’est dans un esprit prospectif et provocateur que j’ai formulé cet avis se fondant sur un cas médiatisé. En novembre 2018, le Japonais Akihiko Kondo, se sentant ostracisé par les femmes, décida d’épouser l’hologramme humanoïde Hatsune Miku, revendiquant ainsi sa robotsexualité. Mon hypothèse se situe dans le prolongement du concept de digisexualité (attirance sexuelle pour les outils technologiques, ndlr.) développé par les sociologues Neil McArthur et Markie Twist, postulant que la digisexualité pourrait, de par son devenir mainstream, s’ériger en orientation sexuelle.
Vous y croyez vraiment?
Cette hypothèse est plausible au regard du perfectionnisme et du réalisme anthropomorphique toujours plus bluffant des robots sexuels, leur forte production et leur coût d’acquisition de plus en plus bas. Sans oublier les débats sur l’attribution d’un statut moral aux robots; attribution qui poussera certainement les activistes égalitaristes à revendiquer l’acceptation sociale de cette pratique.
Pour quelles raisons, certains en viendraient à supplanter les relations sexuelles par le seul recours à des sexbots?
Simplement parce que la robotsexualité offre à l’humain la «libre» réalisation de sa profonde nature: son caractère violent et dominateur. Toute relation humaine – y compris les relations sexuelles, – implique deux (ou plusieurs) êtres consentants, tous porteurs d’un désir et d’un pouvoir qui doivent être composés avec le désir et le pouvoir de l’autre pour justement former la «relation». Dans le cas de la robotsexualité, seuls les désirs et pouvoirs de l’être humain s’expriment. Celui-ci choisit le design corporel qu’il veut, programme au millimètre près la réalisation des fantasmes souhaités, sans oublier que le processus de drague qui précède habituellement l’acte sexuel, qui peut parfois être très pénible, est supprimé. Le partenaire sexuel n’est alors plus qu’un moyen au service de l’autre.
Selon certains observateurs, ces sexbots auraient au contraire certains avantages pour la société: réduire la prostitution, les agressions sexuelles, la frustration sexuelle, etc.
Pour moi, ce sont là des arguments capitalo-économiques, au service d’une industrie qui doit faire du chiffre. Ce qui est parfois intriguant, c’est la contradiction qui existe au sein de ces types de promoteurs: d’une part, ils militent pour la reconnaissance sociale et morale des robots en général, et d’autre part, ils œuvrent pour l’acceptation de cette pratique robotsexuelle qui bafoue précisément ce droit d’exister. Ces êtres robotiques sont donc réduits à un rôle de bouc émissaire, destiné à absorber toutes les violences et frustrations sexuelles des humains. Ce n’est pas le modèle de société pour lequel je me bats et ce n’est pas la fonction qu’il me semble juste d’attribuer aux robots qui, ma foi, méritent un statut social plus respectueux.
Vous êtes doctorant en éthique théologique à l’Université de Genève. Quels liens faites-vous entre la théologie et ces problématiques?
L’une des missions de la théologie est justement de montrer comment les textes sacrés, datant de plusieurs millénaires, peuvent être réinterprétés pour répondre aux enjeux de nos contextes pluriels et actuels. Sur ce questionnement éthique en particulier, la théologie protestante nous propose sa vision de la sexualité dite positive (ou morale), dont l’un des points définitionnels est le sacro-saint principe du désir amoureux réciproque. De fait, sachant que le robot ne saurait exprimer librement ce désir qui le met en mouvement érotique vers l’humain, alors tout acte robotsexuel serait immoral, et partant, théologiquement insoutenable.
Une pratique réelle?
Selon un sondage mené fin 2022 auprès de plus de 22 000 participants dans plusieurs pays par l’entreprise britannique LoveHoney, spécialisée dans l’industrie du sextoy, près d’un Suisse sur deux (40,3%) serait prêt à avoir une relation sexuelle avec un robot sexuel.
Réalisé au printemps 2023, un autre sondage, réalisé par l’entreprise américaine SexualAlpha sur un panel de 3292 personnes, indique que 37,5% des sondés seraient plus enclins à un rapport sexuel avec un robot plutôt qu’avec un partenaire de passage (30,1%). Des chiffres à prendre avec des pincettes, les sondés étant déjà en lien avec ces entreprises.
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