En Afrique, football rime avec maraboutage
Joueurs et équipes africaines s’appuient-ils sur le dopage mystique pour améliorer leurs performances? Qu’en pense-t-on dans les capitales du Cameroun et du Sénégal, deux des représentants de l’Afrique francophone à la Coupe du monde 2022 au Qatar 2022? Reportage.
La frénésie de la Coupe du monde a déjà envahi les rues de la capitale camerounaise. A Yaoundé, il n’est pas rare de croiser hommes et femmes aux couleurs du maillot national – et même dans les conversations, c’est encore de la l’événement dont il est question.
Dans ce pays d’Afrique centrale où le football est presque une religion qui déchaîne les passions, ses dessous aussi soulèvent des interrogations. Et pour cause: au Cameroun, des soupçons de maraboutage (recours à des pratiques relevant de la magie, ndlr) pèsent sur la pratique de cette discipline.
Dans un quartier de la banlieue de Yaoundé, nous retrouvons le jeune Atangana Marcel. Âgé de 19 ans, il est depuis deux années pensionnaire d’une académie de football créée par un ancien sociétaire des Lions indomptables (l’équipe nationale, ndlr) du Cameroun. Comme tous les mardis après-midi, c’est jour de championnat pour Marcel et ses coéquipiers.
Le jeune homme au physique filiforme a ses habitudes avant de quitter le domicile familial. Il attache autour de sa taille deux cordages auxquels il attribue des vertus magiques. «Le premier, c’est pour que je sois plus adroit devant le gardien de but. En tant qu’attaquant, le club compte sur moi. Et si je ne marque pas de but, cela n’est pas bon pour nous. Le second me protège des blessures graves», explique-t-il. La scène se déroule en présence de son père, par ailleurs entraîneur de l’équipe. «C’est lui qui me les a donnés», avouera Marcel alors que nous l’accompagnons au stade.
Formules magiques
Yoff est l’une des plus grandes communes de Dakar, la capitale du Sénégal. C’est ici que Bâ Diagne s’est installé après une carrière de footballeur qui l’aura conduit, tour à tour, au Soudan et en Mauritanie. Il se rappelle qu’avant son départ pour l’étranger, le club dans lequel il évoluait avait un marabout attitré. «Chaque veille de match, il nous réunissait autour de lui et nous donnait des consignes, confie-t-il. Par exemple, «ne pas saluer nos adversaires avec la main, fouler l’aire de jeu avec un pied plutôt qu’un autre ou encore réciter quelques phrases avant le début d’un match», avoue-t-il.
Le lien avec le marabout doit être conservé même si l’on évolue à l’extérieur, précise-t-il encore: une situation nécessitant son intervention est vite arrivée. «Lorsque je me suis retrouvé pendant longtemps sur le banc de touche de mon club en Mauritanie. J’en ai informé mon marabout et après quelques consultations, j’ai pu réintégrer l’équipe jusqu’à la fin de la saison», se rappelle le joueur sénégalais.
Réalité africaine et «Pogba Gate»
A Yaoundé le match est terminé. Particulièrement en forme pendant les nonante minutes réglementaires de la rencontre, Marcel a inscrit deux buts, assurant ainsi une victoire précieuse à son équipe qui garde la tête du championnat. Pour le jeune attaquant, les choses se sont plutôt bien déroulées. Pas question de faire la fine bouche sur sa performance et celle de l’équipe: «Je suis très content du match et de mes coéquipiers. On n’a pas volé notre victoire, on l’a méritée.»
A l’évocation des cordages et de ce recours au surnaturel, Marcel rétorque immédiatement: «Il ne faut pas se tromper, nos adversaires s’étaient aussi préparés.» Et de pointer du doigt en direction d’un homme assis sur les tribunes: «Là-bas, c’est leur marabout. Il a assisté au match.»
Qu’on soit à Yaoundé ou à Dakar, le maraboutage dans le football est une réalité. Une tradition ancrée dans les mœurs. A l’échelon international, on se souvient du «Pogba Gate» qui a éclaboussé le milieu français de la Juventus de Turin Paul Pogba, accusé par son frère d’avoir eu recours à des pratiques de maraboutage sur son coéquipier de l’équipe de France, Kylian Mbappé.
Entre dopage mystique et tricherie
Et les amateurs du football, comment apprécient-ils cette liaison contre nature entre le monde du ballon rond et les pratiques de maraboutage? Ces pratiques ne sont-elles pas à ranger dans la même catégorie que le dopage? Nous avons pris rendez vous avec l’aumônier protestant du Collège Johnson, un établissement confessionnel de la ville de Yaoundé. Depuis un an, le pasteur Paul Emmanuel Ekoue est accompagnant spirituel de toutes les équipes sportives du collège.
Ce mercredi, il a rendez-vous avec les footballeurs. Col pastoral au cou, il prend très au sérieux son rôle. «Le talent seul ne suffit pas pour jouer au football», martèle-t-il à son auditoire. «La protection et l’appui de Dieu sont nécessaires pour l’explosion du potentiel que l’on possède, et ce d’autant plus que les tentations sont nombreuses.» Son rôle ne s’apparenterait-il pas également à celui d’un marabout? Sa réponse se fait tranchante: «Pas du tout! Les pratiques du marabout dialoguent avec les ténèbres. Elles sapent la beauté du jeu et contrefont les performances.» Et de préciser encore: «Mon rôle à moi consiste uniquement à accompagner tous ces jeunes à placer leur confiance en Dieu et être des modèles de probité dans la pratique de leur discipline sportive respective.»
S’agissant du maraboutage qui gangrène le football africain, l’accompagnant spirituel ne nie pas le phénomène et le condamne même fortement: «C’est de la dope mystique. Les équipes qui recourent au maraboutage devraient être tout autant sanctionnées que les footballeurs qui se dopent en consommant des produits interdits», estime-t-il. Un avis partagé par Benoît, un des footballeurs du collège: «C’est de la tricherie, le football est bâti sur des règles que toutes les parties prenantes doivent respecter.» A ses yeux, il est primordial que «les équipes s’affrontent à armes égales, sinon il n’existe plus cette petite incertitude qui rend un match si passionnant», explique-t-il.
Une pratique culturelle
A Dakar, où Amara tient un kiosque à journaux et passe la journée le nez plongé dans la presse sénégalaises et internationale, le son de cloche est différent. Il est d’avis que le phénomène de maraboutage dans le football africain ne devrait pas susciter tant d’émoi: «Même notre culture religieuse donne une place importante au marabout. C’est donc une pratique culturelle qui n’a rien à voir avec la tricherie», exprime-t-il.
Ainsi, pour lui, il est à établir une distinction entre la consommation de produits dopants et la pratique de maraboutage. «Ce n’est pas la même chose, l’une fait partie des us et coutumes, tandis que l’autre révèle une volonté de décupler ses performances afin de prendre avantage de ses adversaires», fait-il savoir.
Le recours à ces pratiques ne fait donc pas l’unanimité. Dans un univers où la concurrence est rude et la contre-performance mal venue, celles-ci semblent pourtant avoir encore de longues années devant elles.
Source: Protestinfo