Dérives sectaires: les églises ACER et Impact Centre Chrétien fustigées par Radio France
La Cellule Investigation de Radio France et Mediapart, qui enquêtent sur les risques de dérives sectaires dans les église évangéliques, fustigent les églises Impact Centre Chrétien (ICC) d’Yvan Castanou et l’Assemblée Chrétienne pour l’Évangélisation et le Réveil (ACER) d’Alain Patrick Tsengue. Les deux mouvements chrétiens évangéliques font partie de la Communauté des Églises d’expressions africaines en France (CEAF), qui est membre de la Fédération protestante de France (FPF).
Selon les informations de la Cellule Investigation de Radio France, entre 2021 et 2024, près de la moitié des signalements reçus par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) pour risque de dérives sectaires, au sujet de mouvances religieuses, concerneraient le protestantisme évangélique.
« Or ils ne représentent évidemment pas cette proportion parmi les fidèles d’un culte particulier en France. Donc il y a une disproportion entre le nombre de signalements qui nous est adressé et le nombre de personnes évangéliques en France. C’est quand même quelque chose de très préoccupant. » analyse Donatien Le Vaillant, responsable de la Miviludes.
La Cellule Investigation de Radio France, qui mène actuellement une enquête sur les risques de dérives sectaires dans les église évangéliques, s’est intéressée à deux méga-églises évangéliques créées et dirigées par deux pasteurs d’origine africaine.
L’église ACER
L’Assemblée chrétienne pour l’évangélisation et le réveil fait partie des rares églises évangéliques qui attirent des milliers de jeunes en France. Dans les réseaux sociaux, le pasteur Alain Patrick Tsengue a des centaines de milliers de fans.
Malgré ce succès, la Cellule Investigation de Radio France dénonce des méthodes contestable.
Radio France évoque « la culture de l’obéissance » prônée par le pasteur Alain Patrick Tsengue, leader des églises ACER durant une « masterclass » dispensée le 9 novembre 2021 au cours de laquelle il aurait incité les responsables de l’Assemblée chrétienne pour l’évangélisation et le réveil à recourir au lavage de cerveau à l’égard des nouveaux convertis.
Dans son livre « La chaîne d’impact » (2018) dans lequel le pasteur Alain Patrick Tsengue détaille le fonctionnement de son église, Radio France dit que le pasteur qualifie lui-même son église de pyramidale, inspirée des méthodes dites de « marketing de réseau ». Le pasteur aurait ainsi sous ses ordres douze personnes, qui elles-mêmes deviennent responsables de fidèles, aussi appelés « brebis ».
La Cellule Investigation de Radio France a pris le soin de copier cet extrait du livre qui parle de l’encadrement des brebis:
« Vous ne devriez pas rester passif face à une brebis insoumise. Recadrez-la tout de suite, sinon elle ne pourra pas bénéficier de vos soins, si elle ne se soumet pas à vous. L’obéissance et la soumission sont primordiales dans la vie d’un disciple. Si une de vos brebis n’a pas cela, vous pouvez la retirer du groupe car elle risque de contaminer les autres brebis. »
Un autre extrait du livre « La chaîne d’impact » montre les conseils que le pasteur Alain Patrick Tsengue délivre pour le recrutement de nouveaux membres de l’église:
« Quand vous aurez face à vous des brebis récalcitrantes, ne baissez pas les bras ! Appelez-les, encore et encore, écrit le pasteur. Si jamais elles ne veulent plus décrocher vos appels, alors appelez-en [numéro] masqué ; sinon changez de numéro. Voilà pourquoi il est important de savoir où habitent vos brebis. Connaissez ne serait-ce que le bâtiment, comme ça quand elle ne voudra plus décrocher vos appels, vous pourrez les attendre en bas de chez elles. »
Des propos qui feraient écho aux inquiétudes de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), selon la Cellule Investigation de Radio France
Par ailleurs, Radio France révèle qu’une enquête préliminaire a été ouverte en 2023 par le parquet de Bobigny pour « abus de faiblesse » visant l’église ACER et qu’elle a été confiée à la Brigade de Répression de la Délinquance aux Personnes.
Impact Centre Chrétien
La Cellule Investigation de Radio France s’est intéressée à Impact centre chrétien (ICC), une méga-église pentecôtiste dirigée par le pasteur d’origine congolaise Yvan Castanou et qui attire des milliers de fidèles chaque dimanche dans un bâtiment flambant neuf, baptisé « Cité Royale », situé dans la ville de Croissy-Beaubourg en Seine-et-Marne.
Radio France y a collecté plusieurs témoignages accablants contre ICC et ses dirigeants.
Une ancienne fidèle d’Impact Centre Chrétien interrogée par la Cellule Investigation de Radio France et Mediapart a déclaré avoir été sous « emprise mentale ». Dès son arrivée, elle aurait été placée sous la responsabilité d’une tutrice qui, peu à peu, se serait immiscée dans son intimité. « On devait dire tout ce qu’on faisait, y compris si on parlait avec des garçons », affirme la jeune femme. Pour chaque décision qu’elle doit prendre, elle consulte sa tutrice, qui tranche pour elle.
Après avoir consulté les échanges entre la jeune femme et sa tutrice, Radio France a conclu que « la tutrice contrôlait tout ce que Judith postait sur les réseaux sociaux, à qui elle parlait et même comment elle était habillée. »
La Cellule Investigation de Radio France est particulièrement remonté contre les dirigeants d’Impact Centre Chrétien à cause de la publication des témoignages de « guérisons divines » publiées dans les campagnes d’évangélisation du mouvement ainsi que sur la série de podcasts « Visitations Divines » et sur le site OsezJesus.com.
Yvan Castanou estime que ces témoignages « édifient la foi de beaucoup de personnes et [rendent] beaucoup plus fort ». Néanmoins, après avoir été interrogé par la cellule investigation de Radio France, Yvan Castanou a décidé de fermer tous les sites concernés. Il a demandé de mettre en maintenance le site osezjesus.com, « le temps d’indiquer clairement sur la plate-forme qu’il est fortement déconseillé et extrêmement dangereux d’arrêter le moindre traitement sans avis médical ».
Donner sa dîme est-il un péché ?
Radio France dénonce le recours à la dîme au sein des églises évangéliques. Cette dernière s’élève à 10% des revenus des croyants et constitue un prélèvement volontaire, comme le rappelle Sébastien Fath, historien et chercheur au CNRS, spécialiste du mouvement en France:
« Dans la très grande majorité des églises évangéliques, notamment en France, la dîme est une suggestion. Elle n’est pas imposée. »
Vu de l’extérieur, le fonctionnement des églises d’origine africaine implantées en banlieues des grandes villes françaises et portées par la diaspora subsaharienne peut parfois interroger:
« Dans de très nombreuses églises subsahariennes par exemple, l’offrande est un peu théâtralisée. C’est un temps festif. Et quand on n’a pas les codes, effectivement, on peut être tenté de juger facilement et de conclure à des formes de dérives. Alors qu’en réalité c’est tout simplement une autre manière de se positionner sur ces questions, mais qui n’est pas nécessairement en soi sectaire. » explique Sébastien Fath
Selon la Cellule Investigation de Radio France, le « phénomène d’emprise » serait « favorisé par l’engagement très fort qui est demandé aux fidèles : des exigences en matière de pratique religieuse, d’assiduité aux cultes, de soutien financier et de prosélytisme. »
Sébastien Fath reconnaît que cet engagement demandé aux fidèles se fait parfois au prix d’un contrôle accru.
“Il s’agit de vérifier qu’ils s’engagent, d’encadrer cet engagement et éventuellement aussi d’évaluer les résultats de cet engagement. Et pourquoi pas de pousser les fidèles à en faire encore plus”, conclut le chercheur.