Abus sexuels en Suisse : « L’Eglise réformée fribourgeoise souhaite une enquête »
Depuis les révélations sur les cas d’abus commis au sein de l’Eglise catholique suisse mais également de l’Eglise protestante d’Allemagne, les Eglises réformées s’interrogent quant à leur passé.
Les Eglises réformées suisses doivent-elles enquêter sur leur passé? Après les révélations faites sur les cas d’abus commis au sein de l’Eglise protestante allemande (EKD), rendues public fin février, la question tourmente jusqu’au plus haut niveau.
A la tête de 24 Eglises cantonales, l’Eglise évangélique réformée de Suisse (EERS) s’interroge en effet sur la faisabilité d’une telle enquête. D’une part, celle-ci ne saurait être ordonnée unilatéralement par l’Exécutif de la faitière, mais devrait être acceptée par la majorité de son Synode (Législatif). D’autre part, contrairement à l’Eglise catholique, les archives des Eglises réformées cantonales ne sont pas centralisées.
Dans le canton de Fribourg, chaque paroisse est même autonome en matière de gestion RH. Une situation que Pierre-Philippe Blaser, président de l’Eglise évangélique réformée fribourgeoise (EERF) estime devoir évoluer. Interview.
L’’EERF a-t-elle déjà fait face à des cas d’abus?
Nous n’avons pas eu de cas à traiter durant cette dernière décennie. Nous avons eu connaissance d’un cas probable, qui se serait déroulé lors d’un camp paroissial, et qui ne concernait pas des mineurs ni des personnes engagées par l’Eglise, mais des adultes participants. Nous avons d’ailleurs renforcé nos règles d’encadrement sur la base de ces informations. Bien sûr, une étude approfondie de nos archives, ajoutée à l’écoute professionnelle des personnes concernées, serait nécessaire pour une réponse complète.
Dans le cas d’une enquête sur les abus commis au sein des Eglises réformées suisses, l’EERF pourrait-elle facilement fournir ses archives RH?
Cela représentera un long travail, mais nous savons que les procès-verbaux des séances des Conseils de paroisse doivent être soigneusement conservés, de même que ceux des séances du Conseil synodal (Exécutif). Des dispositions sont prévues dans notre Règlement ecclésiastique (RE).
Pourquoi votre gestion RH n’est-elle pas centralisée?
Deux facteurs peuvent l’expliquer. L’histoire de l’EERF, d’abord, qui s’est développée de manière régionale, en lien avec l’installation progressive de protestants dans certaines parties du canton. La volonté du Synode, ensuite, qui résiste à la centralisation, invoquant le principe de subsidiarité et le besoin de flexibilité dans les questions liées au personnel. Mais de plus en plus de signes montrent que les exigences en matière RH sont devenues aujourd’hui trop complexes pour être assumées dans les seules paroisses.
Précisément, quelle est la règlementation en vigueur quant à l’archivage des dossiers RH au sein des paroisses fribourgeoises?
L’archivage des dossiers RH au sens des documents personnels (CV, postulation, certificats, correspondances, etc. dure dix ans ans après le départ). Mais la partie décisionnelle qui les concerne est retenue dans la documentation de séance des Exécutifs, et est donc soumise aux règles de confidentialité et à la systématique de conservation des procès-verbaux. Ceux-ci doivent être gardés en sécurité pour une durée illimitée (article 119 du RE). Il convient de préciser que l’archivage est une étape dans un ensemble plus large, incluant la convocation aux séances, la transmission des informations au sein des organes, les processus de décision et la signature des documents. Ce système, fondé sur l’exigence de collégialité et la surveillance mutuelle, limite les dissimulations. Cependant, pour assurer une bonne vigilance, les responsabilités au sein des collèges exécutifs doivent être sans cesse rappelées.
Peut-on être sûr que les archives des différentes paroisses ont bien été conservées?
Les paroisses sont tenues d’appliquer les règles en vigueur.
En cas de souci, les paroisses sont-elles néanmoins tenues de faire remonter les cas problématiques au Conseil synodal?
Concernant les membres de l’assemblée des pasteurs et diacres ainsi que les autres personnes élues, les paroisses doivent faire remonter toutes les affaires disciplinaires au Conseil synodal, qui va ensuite les traiter. Concernant les autres membres du personnel paroissial, la responsabilité disciplinaire incombe aux Conseils de paroisse.
A vos yeux, cette politique d’archivage devrait-elle être améliorée ou modifiée?
Notons d’abord que l’Eglise réformée suit les normes en vigueur dans les autres institutions ou entreprises, en lien avec les lois civiles. D’autre part, la politique d’archivage obéit à l’évolution de la technique et des besoins dans notre société.
C’est-à-dire?
Nous avançons vers des archivages électroniques, qui ont de nouveaux standards. Et nous voyons, concernant les besoins, que les constellations professionnelles présentant un fort caractère relationnel (par exemple, dans les domaines religieux, pédagogiques, médicaux, sportifs ou associatifs) nécessitent des mesures accrues de prévention et de protection, en considération notamment des personnes en situation de subordination ou de fragilité. Dès lors, la liste des documents à joindre à un dossier RH augmente et va sans doute encore augmenter. Elle va aussi probablement se complexifier juridiquement, en lien avec les lois touchant à la protection des données et de la personnalité.
Pour finir, l’EERF est-elle favorable à une enquête concernant les potentiels cas d’abus commis au sein des Eglises réformées?
Oui, l’EERF souhaite qu’une enquête puisse être faite. Afin que les victimes soient entendues, et de manière professionnelle. Et pour que tout défaut de vigilance soit rapidement corrigé. L’Eglise doit être un lieu sûr.