Une candidate voilée sème le trouble à LaRem
« Un non sujet » : c’est ainsi que Sara Zemmahi qualifie la houle politique provoquée par l’affiche de campagne où la jeune musulmane pose avec son hijab, conduisant une République en marche (LaRem) embarrassée à lui retirer son investiture pour les élections départementales des 20 et 27 juin.
Entre les étals du marché de La Mosson, quartier populaire de la banlieue de Montpellier (Hérault) où vit une importante communauté d’origine maghrébine, la jeune femme distribue des tracts et salue les passants dont beaucoup sont des connaissances.
« C’est mon quartier, je suis née ici », rappelle la candidate de 26 ans, foulard beige sur les cheveux, tunique blanche, pantalon rose pâle et sac assorti.
Ingénieure qualité en région parisienne, elle rentre chaque week-end dans le Sud où elle oeuvre au sein de l’association « Tabassam » (« sourire » en arabe), qui fait notamment du soutien scolaire.
A son image, nombre de femmes qui flânent entre les étals de caftans et autres chapeaux pour se protéger du soleil brûlant ont la tête voilée.
Quasi muette depuis l’épisode de l’affiche de campagne qui a fait débat jusqu’au sein du gouvernement, Sara Zemmahi sort du silence, à mots choisis.
Le hijab, « ce n’est pas un sujet pour nous quatre, on ne s’est pas posé la question », dit-elle aux côtés de ses trois colistiers : les titulaires Mahfoud Benali et Hélène Qvistgaard et l’autre suppléant, Régis Morvan.
« Je ne suis la porte-parole d’aucune cause », précise-t-elle aussi.
« LA RÉPUBLIQUE NE DOIT EXCLURE PERSONNE »
Sur le tract qu’elle propose aux passants, la photo polémique est reproduite telle quelle. Diffusée début mai par Mahfoud Benali, elle a été reprise sur Twitter par le vice-président du Rassemblement national, Jordan Bardella, qui y a associé le mot « séparatisme ».
Le délégué général de LaRem, Stanislas Guerini, a répliqué sur le même réseau avant de retirer l’investiture à toute la liste au nom d’une règle tacite édictée lors élections municipales de 2020 qui interdit aux candidats tout signe religieux sur du matériel de campagne. La loi française, elle, ne le prohibe pas.
Sous le slogan « Différents mais unis pour vous », les références à la majorité présidentielle ont été effacées de la liste montpelliéraine.
Une déception pour Mahfoud Benali, fervent « marcheur » depuis les prémices du mouvement, en 2016.
« Notre affiche est à l’image du quartier », dit-il devant un café. « J’ai été vraiment étonné, c’est une règle orale peut-être à Paris, mais ici on n’en a jamais débattu. »
Pour ce directeur de société de 50 ans qui a beaucoup réfléchi à l’action politique à destination des quartiers, « la République ne doit exclure personne ».
« La République ce sont des lois, c’est l’émancipation de la femme. Et il faut arrêter de décider à la place de la femme. Sara c’est une femme libre, indépendante, elle fait ce qu’elle veut de sa vie », lance-t-il.
La candidate met pour sa part en avant les projets de l’équipe et les « nombreux soutiens » reçus ces dernières semaines plutôt que les messages hostiles charriés par les réseaux sociaux.
« JE CONTINUE L’AVENTURE »
« Je continue l’aventure, on a enlevé La République en marche de nos affiches, on ne lâche rien et on compte sur les habitants du canton le 20 juin », dit-elle entre deux visites aux commerçants dont beaucoup lui souhaitent « Bonne chance ».
A propos du parti présidentiel dont elle n’est pas adhérente, celle qui a voté Emmanuel Macron en 2017 souligne: « Maintenant toute la France est au courant de leur positionnement par rapport à ça. (Le voile) soulève une question et ça on peut dire que c’est une bonne chose, mais c’est un non sujet pour nous quatre. »
Comme elle, Mahfoud Benali fait une distinction entre le mouvement et le chef de l’Etat.
« J’ai confiance en Emmanuel Macron. Il parle à tous les Français et là, s’il n’a pas parlé, ça veut dire qu’il n’est pas contre », pense le candidat. « On respecte la loi et Emmanuel Macron sait que ce n’est pas interdit par la loi. On a du soutien même au sein de La République en marche ».
Des députés comme Stella Dupont, Coralie Dubost et Naïma Moutchou, qui a parlé de « discrimination », et même la ministre du Travail Elisabeth Borne ont en effet désapprouvé la décision de LaRem.
A Paris, le député Roland Lescure, membre du Bureau exécutif de LaRem, rappelle la règle : « Les gens s’habillent comme ils veulent mais sur du matériel électoral, une affiche, qui est un signe politique fort, on parle à tout le monde. »
A un an de l’élection présidentielle où le Rassemblement jouera un rôle de premier plan, il reconnaît que le débat reste éruptif, mêlant ceux qui considèrent le port du voile comme un acte politique, une forme de soumission, tandis que d’autres plaident la tolérance ou l’indifférence dans un pays où environ cinq millions de personnes seraient de culture musulmane.
« L’enjeu du signe religieux fait débat depuis plus de 20 ans. C’est un clivage qui traverse les partis », dit-il.
Dans l’Hérault, Jérôme Toulza, référent départemental de LaRem, cherche l’apaisement. « Si Mahfoud Benali veut faire la campagne de 2022 avec nous, c’est possible, ce sera une autre séquence », a-t-il dit à Reuters.
Sara Zemmahi entend quant à elle poursuivre son action « pour aider les jeunes dans leur parcours scolaire et d’une manière générale (…) mais aussi lutter contre toute forme de discrimination et pour l’égalité des chances. »
Karim El Ameraouy, peintre en bâtiment 35 ans né dans son quartier, lui apporte son soutien.
« Mes soeurs elles sont toutes voilées, Sara c’est comme une soeur. Nous, on n’oblige pas les femmes à le porter si elles ne veulent pas le porter », dit-il. « Moi je suis né ici et toute ma famille est née en France. Pour représenter la France ce serait bien qu’il y ait des musulmans. »
(édité par Jean-Michel Bélot)
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