Emmanuel Macron milite en faveur d’un gouvernement de technocrates pour sauver le Liban
par Michel Rose
PARIS (Reuters) – Emmanuel Macron, premier dirigeant étranger à s’être rendu à Beyrouth après la catastrophe du 4 août, fait pression auprès de la classe politique libanaise en vue de l’installation d’un gouvernement de technocrates à même de mettre en oeuvre des réformes, restaurer un lien de confiance avec l’opinion et persuader les pays donateurs de débloquer les milliards de dollars d’aide promis.
Ce message, rapporte une source diplomatique française, a été martelé par le chef de l’Etat lors de ses entretiens avec les dirigeants libanais jeudi dernier, deux jours après l’explosion massive qui a ravagé le port de Beyrouth et une large partie de la capitale du Liban.
Le drame, qui a fait au moins 172 morts, a également déclenché la colère d’une partie de la population, qui impute l’explosion des 2.750 tonnes de nitrate d’ammonium entreposé sur le port à la corruption, à la négligence et l’incurie de leurs gouvernants.
Le gouvernement que dirigeait Hassan Diab depuis le mois de janvier a démissionné lundi et expédie depuis les affaires courantes. Selon trois sources politiques libanaises, Emmanuel Macron, lui, est en première ligne dans la recherche d’une solution à la crise profonde que traverse le Liban.
« Il y aurait un premier gouvernement dont les missions seraient de mettre en oeuvre les réformes », note une source diplomatique française au courant des propositions du chef de l’Etat. « Un gouvernement de technocrates, si on peut dire, qui puisse assurer les réformes et qui gère l’aide d’urgence, et apporte une réponse aux aspirations des Beyrouthins. »
La tâche est compliquée par les spécificités libanaises, à commencer par le délicat équilibre confessionnel entre chiites, sunnites, chrétiens maronites ou druzes. Emmanuel Macron ne veut pas non plus s’ingérer trop profondément dans les affaires intérieures de l’ancien protectorat. Il n’y a pas de solution française, a-t-il dit la semaine dernière.
Mais la France est déterminée à éviter que le Liban s’effondre, et Emmanuel Macron a insisté lors de sa visite à Beyrouth puis lors de la visioconférence qu’il co-organisait dimanche sur l’aide à la reconstruction: l’aide d’urgence sera acheminée mais le soutien financier nécessaire par la suite pour reconstruire une économie durement touchée par la crise bancaire et qui ploie sous le poids de la dette dépend des réformes.
LES MILLIARDS DE LA CONFÉRENCE CÈDRE
« Depuis qu’il est venu ici, relève une source politique libanaise de haut rang, Macron se comporte comme s’il était désormais le président du Liban. Ce qui n’est pas une mauvaise chose parce que personne ici n’est en mesure de jouer ce rôle. Personne ne fait confiance à qui que ce soit. »
Le gouvernement sortant était déjà largement formé par des ministres issus de la technocratie, mais nommés par les chefs de file des partis communautaires qui ont continué d’exercer leur influence à travers eux et fait obstacle à des réformes susceptibles de mettre fin à leurs systèmes de patronage.
Le coût de la reconstruction de Beyrouth, où l’explosion a fait 250.000 sans-abri, pourrait atteindre jusqu’à 30 milliards de dollars, ou 25 milliards d’euros, une somme que le Liban est incapable d’assumer seul.
« Plus encore qu’ailleurs, au Liban le temps c’est de l’argent », souligne une source au ministère français des Finances.
En avril 2018, la conférence CEDRE (conférence économique pour le développement du Liban par les réformes et avec les entreprises) organisée à Paris par Emmanuel Macron a débouché sur des promesses de prêts et de dons de 11 milliards de dollars pour financer des investissements en infrastructures.
Mais leur déblocage dépend de la mise en oeuvre des réformes structurelles et sectorielles promises par le gouvernement libanais, réformes qui se font toujours attendre.
« IMPORTANT QUE TOUT LE MONDE MONTE À BORD »
Selon une source gouvernementale libanaise, Emmanuel Macron souhaiterait que le futur gouvernement soit dirigé par Saad Hariri, qui a déjà été à deux reprises Premier ministre. Mais, ajoute cette source, le président Michel Aoun et les partis chrétiens s’y opposent.
On ignore aussi à quel point les projets de la France pour le Liban sont soutenus par les autres puissances européennes ou les Etats-Unis.
Signe de sa volonté d’impliquer le plus grand nombre possible d’acteurs internationaux dans sa médiation, Emmanuel Macron, rapportait l’Elysée mercredi, s’est également entretenu par téléphone avec les dirigeants russe et iranien – l’Iran soutient le Hezbollah libanais, que les Etats-Unis considèrent comme une organisation terroriste.
« Il est important de s’assurer que tout le monde montera à bord », note une source politique, précisant que si les Américains restent à l’écart et veulent « torpiller le processus », dit-il, ils en ont la capacité.
Attendu jeudi au Liban, le sous-secrétaire d’Etat américain aux Affaires politiques, David Hale, a indiqué que Washington était prêt à soutenir tout gouvernement qui s’engagerait véritablement sur la voie des réformes.
Et si au final les factions libanaises ne cédaient pas aux demandes de réformes des pays donateurs, le député français Loïc Kervran, qui préside le groupe d’amitié France-Liban à l’Assemblée nationale, indique que des sanctions pourraient s’avérer un outil efficace, une interdiction de visa par exemple.
« Les hommes politiques libanais voyagent beaucoup, et voyagent beaucoup à Paris par exemple (…) C’est un moyen de pression important », dit-il.
Faites un don au Journal Chrétien avant le 31 décembre et bénéficiez de 66% de déduction fiscale