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Comprendre la Shoah, l’immense défi du monde religieux juif

À quelques kilomètres de l’immense cérémonie des 75 ans de la libération d’Auschwitz ce jeudi à Yad Vashem, un cimetière-musée oublié de Jérusalem rappelle le défi théologique majeur que représente l’Holocauste.
C’est un cimetière sans corps, un musée sans commentaire. Située sur le Mont Sion de Jérusalem où se pressent en ce mois de janvier quelques touristes courageux, la Chambre de l’Holocauste est un lieu mystérieux et discret. Personne ou presque ne sait qu’il existe alors qu’il s’agit du premier lieu de commémoration de victimes de la Shoah établi dans le monde.

C’est qu’il n’a jamais eu vocation à devenir ni un musée, ni un centre de recherche: c’est un caveau funéraire. «Là-bas, ils font de la politique», commente Avraham Goldstein, le directeur de la yeshiva (ndlr. centre d’études dans le judaïsme) construite au-dessus de la Chambre de l’Holocauste, en référence à Yad Vashem où se pressent plus de 40 chefs d’État pour la commémoration des 75 ans de la libération d’Auschwitz. «Ici, les âmes disparues sont à la maison. Et nous, nous étudions la Torah pour leur élévation».

L’histoire avant l’Histoire

À peine la lumière de Jérusalem laissée derrière soi pour descendre dans les profondeurs du passé, qu’au bout de quelques marches la mort prend la place. Les stèles funéraires en hébreu grimpent jusqu’au plafond, chacune rappelant un village, une ville, un lieu où la vie juive a été anéantie. «Les réfugiés juifs arrivés en Israël à la fin des années 1940 n’avaient aucun endroit où pleurer leurs morts dont les corps avaient disparu en fumée. En 1949, ils ont donc fait de ce lieu le cimetière dont leurs proches étaient privés», raconte le gardien du musée, Aaron. Tous les objets exposés dans la Chambre de l’Holocauste ont été amenés en Israël par les survivants eux-mêmes. «Cet endroit raconte l’histoire avant l’Histoire», commente Aaron. Il dit l’ampleur intime de la perte, avant que le travail des historiens et du temps n’en révèle l’ampleur numérique et existentielle.

À mille lieues des moyens dont dispose Yad Vashem, le gardien passe sa vie, seul, à essayer de faire parler les reliques. Souvent sans succès: près de 80 ans se sont écoulés, la plupart des survivants sont morts. À quelle communauté appartenait la Torah dont les passages désacralisés par les nazis ont décoré ce sac à main? Comment ce flacon vide de Zylkon B est-il arrivé jusqu’à Jérusalem? Il n’y aura pas de réponse à ces questions.

Une intervention divine incompréhensible

Cette absence d’explications, c’est ce qui marque toute la réflexion théologique juive autour de la Shoah. Défi à l’entendement, elle l’est d’autant plus pour la tradition juive que celle-ci envisage l’Histoire comme le lieu même de la réalisation de la promesse divine au peuple juif. L’intervention de Dieu a toujours été lue comme le résultat des bienfaits ou des méfaits de la collectivité. C’est ainsi que la destruction du Temple de Jérusalem en 70 après Jésus-Christ est interprétée comme une punition pour la haine gratuite disséminée par les rabbins et Titus, l’instrument de la volonté divine. Mais quels méfaits pourraient justifier l’assassinat de plus d’un million d’enfants? «Pour les orthodoxes, ce mystère de la Providence s’ajoute à un autre: comment les rabbins européens de cette époque, qui étaient antisionistes, ont-ils pu se tromper sur le cours de l’Histoire au point de décourager les juifs de se réfugier en Palestine mandataire?», interroge Benny Benjamin Brown, professeur de pensée juive à l’Université hébraïque de Jérusalem.

Le péché de l’assimilation

Un choc auquel s’est ajoutée, pour les survivants juifs religieux, la confrontation idéologique avec le mouvement sioniste. «Il fallait prendre les armes et se battre pour la création de l’État d’Israël. L’éthos combattant et antireligieux des sionistes de l’époque les a menés dans un premier temps à condamner ce qu’ils percevaient comme la passivité des juifs européens face aux nazis», explique le professeur Brown. Il faut attendre le procès du nazi Adolf Eichmann en 1961 à Jérusalem pour que la société israélienne prenne la mesure de la Shoah.

Aujourd’hui, une certaine frange des juifs très observants appelés haredim («Craignant Dieu») continue de prendre le contre-pied du reste des Israéliens en ce qui concerne la perception et la commémoration de l’Holocauste. «Certains évoquent, pour expliquer cet événement, le péché de l’assimilation à la société non-juive. Le rabbin Ovadia Yossef, autorité des ultra-orthodoxes séfarades, avait aussi mentionné l’idée que les enfants assassinés étaient les réincarnations d’âmes ayant commis des crimes dans une vie précédente», explique Benny Benjamin Morris. Considérant que la période des «grands sages de la Torah» est terminée, et qu’eux seuls auraient pu ajouter des célébrations au calendrier juif, certains rejettent toute commémoration officielle.

Maintenir la mémoire

Cependant, au fil des années, la position des haredim s’est largement rapprochée de celle du reste du monde juif qui consiste généralement à renoncer à expliquer ce qui relève de toute évidence de l’inexplicable. Et à maintenir la mémoire des victimes de ce crime insensé, comme le fait Israel Meir Lau, un ultra-orthodoxe, ancien rabbin en chef de l’État d’Israël et aujourd’hui président du Conseil de Yad Vashem.

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